"Un patient, c'est d'abord un patient" (Dorian Job, MSF) | PROGRAMME | DW | 30.08.2021
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PROGRAMME

"Un patient, c'est d'abord un patient" (Dorian Job, MSF)

Médecins sans frontières opère dans des zones de conflit, mais veut garder sa neutralité et soigner tous ceux qui en ont besoin, sans distinction.

Nous poursuivons la discussion entamée la semaine dernière avec Vincent Cochetel, du HCR, sur le travail humanitaire.

Notre invité, dans ce second volet, c'est Dorian Job, qui dirige le nouveau bureau de Médecins Sans Frontières pour l'Afrique de l'ouest et centrale, basé en Côte d'Ivoire.

 

"Les besoins des gens varient beaucoup, il faut les écouter, les associer" (Vincent Cochetel, UNHCR)


Lui aussi nous donne un apercu des coulisses, de la facon dont travaillent les structrures et les personnes engagées dans l'humanitaire au jour le jour. Malgré les conditions difficiles, malgré la violence. Et quand une ONG décide de suspendre ses activités voire de retirer ses équipes d'une zone donnée, comme cela a été le cas de MSF dans le nord du Cameroun, début août.

***

Quand on est travailleur humanitaire, qu'on est quelque part, il peut arriver qu'une organisation comme Médecins sans frontières suspende ses opérations. Comment ça se passe? Comment est-ce que ça se décide? Est-ce qu'il y a des critères, un moment clé où on se dit que le travail n'est plus possible?

Finalement, lorsqu'on travaille dans un pays, on essaye d'avoir une bonne acceptance et une sorte d'accord pour pouvoir travailler. Actuellement, ça devient beaucoup plus compliqué avec les lois antiterroristes. Donc, c'est beaucoup plus difficile de travailler dans toutes les zones. Mais c'est le principe de base, si je me rends par exemple en Allemagne, je demande aux autorités qui contrôlent la région, souvent les autorités gouvernementales, de voir s'ils sont intéressés à ce qu'on travaille là dessus, c'est le principe de base dans toutes les zones. Sinon, ça devient très, très dangereux.

Il se peut que la situation se détériore et qu'on ne puisse plus garantir la sécurité des équipes. La ligne rouge, bien souvent, c'est quand on devient des cibles. Là, c'est clairement la ligne rouge qui peut nous amener à décider de nous retirer... ou lorsqu'on a été victime directement d'attaques. Parce que l'objectif, bien sûr, ce sont les bénéficiaires. Mais on ne souhaite pas non plus être des cibles et mettre en danger des personnes qui travaillent avec nous.

Il peut arriver aussi que des responsables politiques, des autorités locales, par exemple, vous empêchent d'intervenir. Comment ça se passe dans ces cas là, quand il y a des équipes qui sont là, des médecins, et puis des populations dans le besoin, mais un empêchement de leur prodiguer des soins. Comment ça se vit, ça, au sein des équipes?

C'est compliqué pour les équipes parce qu'elles connaissent les besoins. Après, il y a les aspects politiques. Bien souvent, on essaye de minimiser tous ces aspects en ayant une transparence, une clarté des intentions et parfois, on est en désaccord. On discute avec l'ensemble des autorités qui sont présentes, gouvernementales notamment, pour pouvoir travailler. Parfois aussi, on ne se comprend pas. Nous, nous ne considérons pas les différentes parties d'un conflit : un patient reste un patient.

Concrètement, cela veut dire, par exemple, quand il y a une guerre ou un conflit armé, qu'on pourrait vous autoriser à soigner certaines personnes, mais pas d'autres, parce qu'elles font partie du conflit, être considérées par exemple comme étant du camp adverse?

Oui, or pour nous, quand on a une femme et un enfant, ce sont d'abord une femme et un enfant, avant d'être une personne d'un côté ou de l'autre. C'est un point critique ces dernières années sur lequel plusieurs organisations travaillent pour redonner cet espace aux civils. 

Pour promouvoir une vision plus neutre de votre action ou une compréhension de votre neutralité. Vous, vous intervenez pour soigner qui que ce soit? 

Exactement. Donc, c'est pour ça que parfois, il y a un conflit entre le droit des patients à être soignés qui se retrouve dans les lois de certains pays et les lois antiterroristes qui compliquent l'accès à certains patients.

Et alors, comment vous, personnellement, ou les gens que vous fréquentez dans le milieu humanitaire, vous parvenez à trouver un équilibre personnel et psychologique entre votre envie de prêter assistance, et de surmonter  la violence des situations auxquelles vous êtes confrontés, soit parce que vous y assistez, soit parce que vous-même êtes pris pour cibles? Comment fait-on pour continuer?

Cela dépend de l'angle que l'on perçoit, le verre à moitié vide ou le verre à moitié plein.

On a quand même aussi un gros avantage, comme bien d'autres organisations, c'est qu'on n'a aucune obligation d'aller dans une zone. Et donc, c'est pour ça que lorsqu'on discute avec les différentes autorités, si les préconditions ne sont pas présentes à ce niveau-là, qu'il n'y a pas d'accord, on ne va pas envoyer nos équipes.

On a une certaine indépendance, basée sur une attente et une volonté des autorités à nous recevoir. On ne va pas forcer la main. Donc oui, dans ces conditions, on peut accepter un certain niveau de risque mais nous avons notre ligne rouge. Donc, il y a moyen de faire quelque chose, même si c'est pour une période à durée limitée.

Et ça, c'est déjà quelque chose d'assez satisfaisant. Personnellement, je ne suis pas trop déçu. Je suis davantage déçu pour les bénéficiaires qui n'ont pas accès à ce qu'on pourrait offrir ou ce que d'autres organisations pourraient offrir.

Comment est-ce qu'on arrive à gérer ça, psychologiquement? A voir le verre toujours à moitié plein?

Le verre se remplit. Si on regarde aussi la capacité humanitaire ces 50 dernières années, elle a quand même fortement augmenté. Bien sûr, on peut pas être satisfait de tout ce qui se passe. C'est peut-être le plus grand avantage des urgences : on apprend à prioriser les choses parce qu'on sait qu'à vouloir tout faire, on finit par ne rien faire. Il faut regarder de l'avant. 
 

Droits et Libertés est une émission préparée, produite et présentée par Sandrine Blanchard
Avec un merci cette semaine à Dorian Job et Scheherazade Bouabid de MSF