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"Le G7 doit lutter contre la spéculation sur l'alimentaire"

18 mai 2022

Entretien avec le directeur-exécutif d'Action contre la faim, Jan Sebastian Friedrich Rust.

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Plus de 800 millions de personnes souffrent actuellement de la faim dans le monde, tendance à la hausse
Plus de 800 millions de personnes souffrent actuellement de la faim dans le monde, tendance à la hausseImage : Mohammed Mohammed/Xinhua/IMAGO

Faciliter l’aide d'urgence, augmenter la production alimentaire et accroître les investissements dans l’agriculture et les systèmes de sécurité sociale. Voici les premières mesures recommandées par l'ONG Action contre la faim, qui estime à plusieurs milliards de dollars les fonds qu’il faut que le G7 accepte de débloquer, pour parvenir à une véritable "transition vers des systèmes alimentaires durables et équitables". (voir interview ci-dessous).

L’ONG Oxfam appelle quant à elle les responsables à faire preuve de "courage politique". Elle cite les fonds mis à disposition pour lutter contre la pandémie pour montrer que "quand on veut, on peut" faire d’un sujet une priorité des gouvernements.

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Car la situation est grave. Déjà plus de 800 millions de personnes souffrent de la faim dans le monde, selon le Programme alimentaire mondial des Nations unies (PAM) – tendance à la hausse. Dans la Corne de l’Afrique – et surtout au Kenya et en Somalie – une personne meurt toutes les 48 secondes de famine, affirme Oxfam.

La guerre en Ukraine et les autres conflits, mais aussi la pandémie de Covid-19 et les changements climatiques ont accentué les pénuries sur les marchés alimentaires, rendant plus difficiles les récoltes et les exportations.

Les ministres du G7 doivent profiter de leur réunion à Berlin pour lancer officiellement l'Alliance pour la sécurité alimentaire mondiale. Ce regroupement, proposé par le gouvernement fédéral et la Banque mondiale, est censé assurer un financement supplémentaire et la coordination des actions de la communauté internationale en matière de sécurité alimentaire.

Action contre la faim en mission à Madagascar en 2018
Action contre la faim en mission à Madagascar en 2018Image : Rijasolo/AFP/Getty Images

Interview Action contre la faim

Jan Sebastian Friedrich-Rust, le directeur-exécutif d'Action contre la faim en Allemagne, explique en quoi réside l'Alliance pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle que propose son organisation. Au micro de Sandrine Blanchard, il appelle également de ses vœux un système plus juste sur le long terme. Et pour cela, les pays riches doivent agir, mais aussi deux touchés par une insécurité alimentaire record, comme le Burkina Faso, le Niger, le Tchad, le Mali ou le Nigeria, en Afrique de l’ouest ou encore le Kenya et la Somalie dans la Corne de l’Afrique.

Jan Sebastian Friedrich Rust, vous êtes directeur d'Action contre la faim en Allemagne. Les ministres du développement des pays du G7 se réunissent aujourd'hui à Berlin pour une rencontre de deux jours. La crise alimentaire mondiale, déjà rendue plus aiguë par la guerre en Ukraine ces derniers mois, est à l'ordre du jour parmi d'autres sujets. A cette occasion, votre organisation Action contre la faim appelle les ministres du G7 à mettre en place une alliance pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Quelle forme cette alliance doit-elle prendre, c'est-à-dire avec quels pouvoirs et quels moyens ?

Cette alliance pour la sécurité alimentaire c’est un paquet d'aide de plusieurs milliards qui pourrait être mis en œuvre rapidement et de manière flexible. 
Il est toutefois important de ne pas se contenter de fournir une aide humanitaire d'urgence, mais de conclure enfin des accords sur la manière dont nous produisons les denrées alimentaires dans le monde et de mettre enfin en place un système alimentaire mondial équitable et durable. 

 

Aujourd'hui, à Berlin les ministres du G7 doivent lancer officiellement l'Alliance pour la sécurité alimentaire mondiale. Ce n'est pas ce que vous réclamez ?

La ministre allemande au Développement, Svenja Schulze, a proposé une alliance pour la sécurité alimentaire mondiale. Ce qui y est proposé est avant tout une extension des moyens humanitaires. C'est en tout cas un pas important dans la bonne direction.
Mais cela ne suffit pas. 
En raison de nombreux problèmes structurels, le système alimentaire tel que nous le connaissons fait que les gens souffrent de la faim sur le long terme. 
C'est dû à un système alimentaire mondial, au changement climatique, aux inégalités sociales. C'est également dû au pouvoir des entreprises agricoles mondiales et au manque de pouvoir des personnes qui souffrent de la faim. 
70 % de la population mondiale est constituée de petits agriculteurs, c'est-à-dire de personnes qui se nourrissent elles-mêmes. Mais ils ont de plus en plus de mal à se nourrir parce que les champs sont touchés par la sécheresse, parce que les prix des denrées alimentaires évoluent négativement, ce qui rend leurs conditions de vie de plus en plus difficiles.

A Madagascar, les familles ramassent ce qu'elles trouvent dans les champs pour se nourrir
A Madagascar, les familles ramassent ce qu'elles trouvent dans les champs pour se nourrirImage : Fenoarisoa Ralaiharinony/Welternährungsprogramm WFP/dpa/picture alliance

Mais comment stimuler rapidement la production - notamment pour que la pénurie alimentaire ne soit plus aussi aiguë qu'actuellement - tout en travaillant à un système de production agricole et alimentaire plus équitable ?

Nous nous situons à deux niveaux. Ce que je viens de mentionner, c'est que nous devons travailler à long terme pour avoir un système alimentaire mondial juste et équitable, dans lequel le nombre de personnes souffrant de la faim pourra être réduit de manière significative à long terme.
Je tiens à rappeler que l'Onu s'est fixé pour objectif d'atteindre la "faim zéro" d'ici 2030 dans le cadre des objectifs de développement. Or, nous sommes actuellement plus éloignés que jamais de cet objectif. 
Que peut-on faire pour l'instant ? Le G7 doit bien sûr voir comment nous pouvons compenser le manque actuel d'exportations en provenance d'Ukraine et de Russie. Cela peut se faire d'une part en regardant où se trouvent actuellement les réserves. Il faut notamment augmenter la pression sur la Chine. Les réserves y sont énormes. Mais il y a bien sûr aussi des réserves en Amérique du Nord ou en Europe. 
Là aussi, nous devons nous demander comment nous pouvons aider le monde et comment nous pouvons mettre nos réserves à la disposition du monde.

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Il s'agit également de savoir comment nous pouvons traiter la malnutrition aiguë. Actions contre la faim se concentre fortement sur le traitement des personnes qui souffrent déjà de malnutrition aiguë. Nous le faisons avec un aliment thérapeutique prêt à l'emploi, composé d'une pâte d'arachide, qui nous permet de faire passer des enfants et des adultes de la malnutrition aiguë à un état sain en l'espace de six semaines. 
Mais le problème, c'est que seule une minorité de personnes souffrant de malnutrition aiguë ont réellement accès à cette alimentation thérapeutique. C'est pourquoi il s'agit à nouveau de mettre immédiatement des moyens financiers à la disposition d'organisations telles qu'Action contre la faim, afin que nous puissions élargir considérablement notre aide dans ce domaine.

 

Diriez-vous avec Oxfam qu'il y a aussi un manque de courage politique dans ce domaine ?

Il manque en tout cas de volonté politique pour la mise en œuvre. Les pays du G7 se sont souvent fixé des objectifs. J'ai mentionné tout à l'heure les objectifs mondiaux de développement de l'Onu, mais lors de la réunion du G7 à Elmau en 2015, le G7 s'est également fixé comme objectif de sortir 500 millions de personnes de la faim et de la malnutrition d'ici 2030. Mais ce chiffre a augmenté, ce qui signifie que les objectifs sont fixés, mais le bilan est plus que décevant. 
Il faut donc dire très clairement que les pays du G7 voient le problème, mais qu'il manque vraiment une mise en œuvre très concrète. Bien sûr, ces dernières années, la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine ont encore aggravé la situation de la faim dans le monde. Mais il n'en reste pas moins que l'action doit être d'autant plus forte. Et jusqu'à présent, nous devons tout simplement constater une chose : la mise en œuvre que nous voyons jusqu'à présent de la part du G7 est défaillante.

En Somalie, après des inondations, en février
En Somalie, après des inondations, en févrierImage : Farah Abdi Warsameh/AP Photo/picture alliance

Que peuvent également faire les pays concernés ?  Je pense par exemple au Kenya, à la Somalie, à la Corne de l'Afrique ou aux pays du Sahel, qui souffrent déjà d'une grave crise alimentaire.

Il est important que ces pays disposent de systèmes de sécurité sociale, c'est-à-dire qu'ils garantissent une redistribution au sein du pays et que les personnes les plus pauvres de ces pays soient prises en charge. 
Il faut faire beaucoup plus à l'intérieur de ces pays pour que la protection sociale soit également disponible pour les plus pauvres des pauvres.

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Mais il est également important que l'Occident ou le G7 fassent beaucoup plus pour lutter contre la spéculation actuelle sur les denrées alimentaires, afin d'aborder le sujet à l'échelle mondiale, car les pays d'Afrique de l'Ouest seuls sont impuissants à cet égard.

Nous voyons qu'actuellement, la spéculation alimentaire, les investisseurs financiers spéculent fortement sur les denrées alimentaires. Cela revient à parier sur la famine. C'est un mépris de l'être humain et il faut que les responsables politiques posent très rapidement une limite à ces entreprises ou à ces investisseurs financiers. Pour que cela ne continue pas ainsi et que les prix des denrées alimentaires ne cessent d'augmenter.