Au Cameroun, l'actualité reste polarisée par la guerre des clans dans la préparation de l’après Paul Biya. Le président camerounais, âgé de 89 ans et au pouvoir depuis bientôt 40 ans, a éludé la question de son avenir politique lors de la récente visite à Yaoundé du président français, Emmanuel Macron.
Ce flou entretenu par le président Paul Biya quant à son maintien ou non au pouvoir n'est-il pas inquiétant ? Nous avons posé la question au politologue et historien camerounais Achille Mbembe. L'intellectuel camerounais insiste sur la relance de l’agenda démocratique en Afrique, afin de faire place aux nouvelles générations.
DW : Vous avez accompagné Emmanuel Macron lors de sa récente mini-tournée sur le continent africain, au Cameroun, au Bénin et en Guinée-Bissau. Au cours de la conférence de presse qui a sanctionnée cette visite à Yaoundé, Paul Biya, le président camerounais, a botté en touche au sujet de son avenir politique immédiat. Cela vous a déçu ?
Achille Mbembe : Non. L'objectif de la visite d'Emmanuel Macron à Yaoundé n'était pas d'obtenir du président Paul Biya qu'il se prononce sur son avenir immédiat. La question qui est sur toutes les lèvres, c'est évidemment la question de la succession de Paul Biya. Et au-delà de la succession en tant que telle de la transition, la grande transition qui va s'amorcer de toutes les façons, dans ce pays pivot.
DW : Dans une tribune parue cette semaine dans Jeune Afrique, vous avez écrit que "la manière dont la France accompagnera la fin de l'ère Biya donnera le ton de ce que seront les relations de Paris avec le continent."
Pourquoi avoir sollicité le président français alors que la France est vertement critiquée pour son ingérence dans les affaires intérieures de certains Etats africains ?
Achille Mbembe : Le verbe accompagner ne veut pas dire pratiquer l'interférence ou dicter quoi que soit. La grande question de la transition exige la contribution de tous les acteurs qui, de toutes les façons, ont intérêt à ce que les choses se passent bien au Cameroun.
DW : Vous écrivez que le Cameroun est l'un des États les plus complexes et les plus énigmatiques du continent africain. Craignez-vous des soubresauts si l'après Biya n'était pas bien préparé ?
Achille Mbembe : Le système politique en Afrique en particulier éprouve énormément des difficultés à organiser les transitions. C'est-à-dire le passage d'une génération à l'autre. La plupart des grands Empires ou des grands Royaumes africains à l'ère précoloniale ont connu de très graves crises de succession. La guerre dans les provinces anglophones, l'eventrement potentiel du pays sur son flanc oriental, la frontiere avec la Centrafrique, l'arc du terrorisme islmaiste sur le pourtour du Lac-Tchad - tout cela constitue un véritable cocktail. La question évidente est de savoir comment s'y prendre pour faire en sorte que tout cela se termine bien. Et la seule manière d'y arriver, c'est effectivement de permettre aux Camerounaisde choisir librement qui doit les diriger une fois ce moment venu.