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EconomieSénégal

"Le Sénégal présente tellement d'opportunités... mais il faut que les Sénégalais en profitent"

27 mars 2024

Interview de l'économiste sénégalais Dr. Mamadou Samba Hane (UCAD)

https://p.dw.com/p/4dyVJ

Au Sénégal, le programme de Bassirou Diomaye Faye avait pour mot d'ordre la rupture. Le candidat a su convaincre les électeurs en dressant un constat peu amène des réalisations de Macky Sall, notamment sur le plan économique... et en proposant un changement radical de politique.

Mamadou Samba Hane, professeur à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), et expert consultant en économie, nuance lui aussi les réalisations du président sortant.

Certes, explique-t-il, Macky Sall a investi plusieurs milliards de FCFA dans son Plan Sénégal émergent, et il a construit des routes, des hôpitaux, des nouvelles universités, des infrastructures de transport. Mais ces projets ne répondent pas suffisamment aux besoins réels de la population sénégalaise. Selon le chercheur, les Sénégalais réclament une agriculture qui permette l'autosuffisance alimentaire, de moins importer de produits transformés et surtout la création massive d'emplois pour les jeunes.

C'est pourquoi Mamadou Samba Hane aussi préconise de changer la donne économique au Sénégal.

Ecoutez ci-dessus l'entretien avec Mamadou Samba Hane
 

DW : Quel bilan économique dressez-vous des deux mandats de Macky Sall ?

Si vous prenez l’exemple du TER…

 

DW : C'est le Train express régional qui relie la capitale à l'Aéroport Blaise Diagne.

Absolument, à l'intérieur il y a une succursale française qui s'appelle Seter, qui, aujourd'hui, est l'entreprise d'exploitation. Si vous prenez [le bus électrique rapide] BRT, c'est une entreprise française, Meridiam. Si vous prenez tout ce qui est agroalimentaire, c'est Auchan, etc, tout ce qui est communication, c'est Free ou France Telecom.

Et derrière, les Sénégalais ne sentent pas les retombées.

C'est vrai qu'aujourd'hui il y a une croissance économique, mais ce que l'on constate, c'est que cette croissance économique est exportée, parce que cette croissance économique est faite par ces mastodontes étrangers et ne profite pas réellement au Sénégal.

Il y a une nouvelle élite qui commence à contester cela et qui commence à dire que oui, c'est bien de s'ouvrir, mais qu’il faut s'ouvrir aussi en pensant à l'intérêt du Sénégal, principalement, au lieu de penser ailleurs.

 

DW : Et concrètement, sur le plan économique, comment est-ce que ce serait viable de se détourner de ces multinationales, notamment françaises, pour avoir un commerce, par exemple, d'abord inter-sénégalais ou interafricain?

Moi, je dis que la meilleure solution, c'est de penser à industrialiser notre tissu économique. Ça veut dire que, la plupart du temps, ce que l'on a, on ne le transforme pas, on prend les produits, les matières premières et on exporte.

Il est temps maintenant de penser à une industrialisation. Comment changer même le programme par rapport à l'enseignement supérieur, de telle sorte qu'aujourd'hui on ait tous les moyens qui nous permettent de faire les choses nous-mêmes au lieu d’aller ailleurs, au lieu de faire des succursales qui appartiennent à 100 % à une entreprise étrangère, il faut changer de forme. En faisant des joint ventures et aussi en faisant venir des organismes pour faire ce qu'on appelle des transferts de compétences, et mettre à tous les niveaux de décision un Sénégalais au centre de toutes les décisions.

Il faut exiger aussi que ces entreprises réinvestissent au moins 50 % de leurs profits au Sénégal et que ça puisse permettre aux Sénégalais de vivre de cela, parce que, finalement, tout ce qui a été fait l’a été fait grâce aux ressources du Sénégal. Les Sénégalais doivent en profiter.

 

DW: Comment est-ce qu'un état comme le Sénégal peut imposer ces conditions dans une renégociation des rapports de force? Est-ce qu'il n'y a pas le risque que, dans ces cas-là, les grands investisseurs se détournent du pays et aillent dans un pays qui soit plus accommodant?

Le problème, c'est quoi? C'est qu'aujourd'hui le Sénégal offre des opportunités extraordinaires.

Qu'on le veuille ou non, les gens sont obligés de venir [au Sénégal] parce que ça va être un grand producteur de gaz en Afrique, et de pétrole. Il y a aussi la stabilité.

Comment renégocier ces contrats? Il faut qu'on puisse expliquer à ces mastodontes [les multinationales, ndlr] qu'en réalité, on doit continuer à travailler avec eux, mais il faut que ce soit du win-win au lieu du win-loose.

C'est dans leur intérêt que ces relations changent, parce que si ça ne change pas, ce vent [de contestation des pays occidentaux, ndlr] va prendre encore beaucoup plus de l'ampleur il y aura beaucoup plus d'incertitude dans le futur.

Ils ont intérêt à ce qu'aujourd'hui la relation entre ces entreprises et l’Afrique change pour l'intérêt de tout le monde. On va vers ça. C'est une question de temps, mais on va vers ça.

Il y a tellement d'opportunités [au Sénégal] ! C'est un pays où tout est à faire. Il suffit seulement d'avoir une vraie volonté de changer les choses. Tout est à faire et il y a des opportunités extraordinaires. Quand vous prenez l'agriculture, la pêche, l'industrialisation future à faire pour créer des centaines, des milliers voire des millions d'emplois… tout est à faire, mais il faut une volonté politique, il faut donner de l'espoir à ces jeunes.