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"Pas de réconciliation sans soigner toutes les blessures"

31 août 2022

L'opposante rwandaise Victoire Ingabire en entretien. Elle appelle de ses vœux, pour le Rwanda, l'établissement d'une Commission vérité, justice et réconciliation sur le modèle de l'Afrique du Sud.

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Victoire Ingabire Umuhoza est l'une des grandes figures de l'opposition au Rwanda. Depuis des années, elle dénonce les dérives autoritaires de Paul Kagame et réclame une démocratisation des institutions de son pays.

En 2010, Victoire Ingabire avait voulu se présenter à la présidentielle, mais les autorités n'ont pas reconnu son parti d'alors, le FDU, disqualifiant ainsi sa candidature.

Depuis, l'opposante est dans le collimateur du FPR au pouvoir. Elle a été condamnée à 15 ans de prison, a passé huit années derrière les barreaux, avant d'être innocentée par la Cour africaine des droits de l'Homme et graciée par le président rwandais. Aujourd'hui, malgré la surveillance, les perquisitions et les interpellations, Victoire Ingabire préside le parti Dalfa-Umurinzi. Et, malgré la répression au Rwanda, elle entend bien continuer à se battre contre l'arbitraire du régime Kagame. C'est ce qu'elle nous explique au micro de Sandrine Blanchard.
 

Interview avec Victoire Ingabire
 

Victoire Ingabire Umuhoza, bonjour.

Oui, bonjour.

Vous êtes l'une des principales figures de l'opposition au président Paul Kagame, au Rwanda. Vous présidez le parti Dalfa-Umurinzi. Vous avez déjà une longue carrière politique qui a été parsemée d'embûches. Vous avez notamment été condamnée en 2010 à quinze ans de prison, à l'époque pour "conspiration contre les autorités par le terrorisme et la guerre, minimisation du génocide de 1994 et propagation de rumeurs dans l'intention d'inciter le public à la violence". Vous avez été libérée huit ans plus tard, mais vous avez quand même passé, sur ces huit ans en prison, six à l'isolement. Ensuite, votre domicile ou celui de vos proches ont souvent été perquisitionnés. Vous avez été souvent auditionnée aussi par les forces de l’ordre. Comment est-ce que vous continuez malgré tout vos activités politiques ? Comment faites-vous ?

Oui, j'ai passé six ans à l'isolement. Mais il faut savoir que j'ai été innocentée de tous ces crimes par la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples. Donc, mon combat, c'est pour démocratiser notre pays, pour qu'on puisse mettre en place des institutions qui sécurisent et rassurent chaque couche de notre société.

Le 22 août dernier, vous avez publié une tribune qu'on retrouve sur le site LeVif.be, un média belge, dans lequel vous appelez à une réforme des méthodes de gouvernance au Rwanda. Vous y retracez l'histoire du pays depuis l'indépendance et dénoncez aussi les dérives autoritaires du FPR, qui est au pouvoir depuis 1994. Qu’appelez-vous de vos vœux quand vous préconisez, par exemple, l'établissement d'assises nationales, d'un dialogue ?

Ce que je vois, c’est que les Rwandais ont besoin de s'asseoir ensemble comme enfants du pays, pour trouver ensemble une solution qui convienne à notre situation, des façons de partager le pouvoir entre les Rwandais.

Aujourd'hui, nous avons le système du FPR qui a mis en place ce que l'on appelle la "démocratie consensuelle". Mais on se rend compte qu’au fil du temps. Le FPR s'est transformé en un parti d'Etat où il n'y a que le parti au pouvoir qui contrôle tout.

Moi, je vous le dis, il faut que nous essayions ensemble que chaque couche de la société se sente sécurisée et participe aux institutions et aux décisions du pays, pour que chacun puisse être sûr que, s'il y a un danger pour sa sécurité ou que ses droits fondamentaux sont violés, qu'il y ait quand même les marges de manœuvre pour se protéger.

Jusqu'à aujourd'hui, on parle de réconciliation. Il y a un certain pas qui a été fait mais il y a encore un long chemin à faire. Par exemple, en 1994, avant le génocide commis contre les Tutsis, au moment du génocide commis contre les Tutsis et après le génocide, il y a eu d'autres crimes, des crimes commis contre l'humanité, commis contre le peuple. Ce sont des crimes qui ont été documentés par l'Onu. Or de ces crimes, au Rwanda, les gens ne peuvent pas en parler. On ne peut pas parler de réconciliation si on n'est pas prêts à soigner toutes les blessures.

Donc je propose par exemple qu'on puisse avoir une commission réconciliation, justice et vérité comme celle de l'Afrique du Sud car la justice ce n'est pas pour punir, c'est plutôt pour réconcilier.

Cependant, il y a aussi encore des groupes armés, par exemple, qui sont actifs en territoire congolais, comme les FDLR. Comment faire pour entamer un dialogue avec eux alors qu'ils sont recherchés par les autorités ?

Oui, c'est vrai, il y a des groupes armés. Il y a certains des éléments du FDLR qui sont recherchés par les autorités. Mais je veux souligner une chose : au fur et à mesure, il y a certains éléments des FDLR qui rentrent au Rwanda. Ces éléments, on les sélectionne. Ceux qui sont recherchés la justice, ils sont traduits en justice et les autres, on les intègre à la vie normale de la société rwandaise. Je ne comprends pas pourquoi le régime dit : "On ne veut pas discuter avec ces gens"... alors qu'on discute avec eux chaque jour.

Et s’il y a vraiment [parmi eux] ceux qui ont commis le génocide, ce sont ceux qui doivent être traduits en justice. Mais il y en a qui n'ont rien à se reprocher, ceux qui n'ont rien fait. Parce qu'il faut se rappeler que les FDLR ont été créés dans les années 2000.

Je pense qu'il y a des jeunes qui n'osent pas rentrer au Rwanda parce que dans leur tête, il y a toujours ce qu'ils ont vécu dans les forêts du Congo. Quand ils ont été massacrés. Et ils ont peur de rentrer [au pays]. Peut-être ont-ils choisi de prendre les armes parce qu'ils pensent que c'est la solution pour eux de se protéger. Le gouvernement rwandais devrait plutôt les accepter, leur tendre les bras, les rassurer et les faire retourner dans notre pays.

Victoire Ingabire Umuhoza, merci.

Merci à vous aussi.