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Restitution du patrimoine et coopération germano-africaine

24 mars 2022

Interview avec Hermann Parzinger, qui préside la Fondation du patrimoine prussien (Stiftung Preußischer Kulturbesitz). Cette institution compte de nombreux objets acquis par l'Allemagne durant la colonisation.

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L'architecte nigérian David Adjaye et Hermann Parzinger, président de la Stiftung Preußischer Kulturbesitz lors d'une visite du Humboldt Forum à Berlin (juillet 2021)
L'architecte nigérian David Adjaye et Hermann Parzinger, président de la Stiftung Preußischer Kulturbesitz lors d'une visite du Humboldt Forum à Berlin (juillet 2021)Image : SPK/photothek.net/Thomas Imo

Hermann Parzinger est le président la Fondation du patrimoine prussien (Stiftung Preußischer Kulturbesitz), à Berlin. Cette institution aussi, qui dépend du ministère fédéral de la Culture, a engagé une réflexion sur la restitution de biens culturels  présents dans sa collection et acquis par l'Allemagne durant la colonisation

Voici l'entretien que Hermann Parzinger a accordé à la DW sur le processus en cours : 

Hermann Parzinger, président de la Fondation du patrimoine prussien
Hermann Parzinger, président de la Fondation du patrimoine prussienImage : Christoph Soeder/picture-alliance/dpa

Comment avez-vous été confronté à ce débat de la restitution de certaines œuvres d'art à des pays africains ?

Je pense que c'est une tâche importante des musées que de rechercher les provenances des biens culturels qu'ils possèdent en provenance de pays africains, mais aussi d'Amérique du Sud, de la région du Pacifique, d'Asie, et bien sûr de reconstituer l'histoire parfois difficile de cette provenance, les chemins sinueux qui les ont menés dans nos collections, et d'en tirer les conséquences.   

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 Tirer les conséquences signifie bien sûr qu'il faut également procéder à des restitutions. Et surtout, il est important que nous travaillions ensemble sur ces problématiques et que nous ne nous contentions pas de restitutions, mais que les restitutions s’inscrivent dans une collaboration que nous devons poursuivre. Nous avons l’opportunité de développer réellement une nouvelle relation commune avec les pays du Sud, à partir de l'Europe, au 21e siècle. C'est aussi un défi. Mais les projets que nous avons lancés maintenant se développent déjà très bien.

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Quelles formes prend cette coopération ?

Eh bien, nous avons par exemple des projets avec la Tanzanie, avec l'Angola, avec la Namibie, avec le Nigeria, donc pas seulement avec d’anciennes colonies allemandes, mais aussi avec d'autres pays dont nous possédons des objets du patrimoine culturel. Or il y a eu parfois un contexte historique d'injustice [au moment de l’acquisition de ces objets]. Dans ce cas, il faut bien sûr parler de restitution, mais dans d'autres cas, le contexte n'est pas clair, mais nous travaillons quand même sur les collections.   

Nous venons de recenser des objets de Namibie qui sont arrivés très tôt en Allemagne, avant même l'établissement du protectorat allemand et donc l’arrivée des missionnaires et des commerçants. Et donc ces objets sont particulièrement intéressants. Les biens matériels les plus anciens, c'est-à-dire ceux des années 1860 et 70, sont ceux qui proviennent de cette région et qui illustrent le développement culturel.

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Et ils vont maintenant retourner en Namibie, parce que les chercheurs et chercheuses du pays veulent travailler avec. Ces objets n’ont pas été acquis [par l’Allemagne] dans un contexte d'injustice. Mais nous les laisserons quand même en Namibie, c'est-à-dire que nous sommes également prêts à restituer certains objets si ceux-ci sont d'une importance capitale pour l'identité de la culture d'origine.

Certains objets ne sont pas des œuvres d'art.

Beaucoup ne sont même pas des œuvres d'art ! Cela s'explique par le fait que l'on collectionnait vraiment très, très largement. C'était une approche très positiviste à la fin du 19e et au début du 20e siècle. On collectionnait tout. Tout ce que l'on pouvait obtenir comme héritage matériel de ces cultures, de ces civilisations, a été collecté. Cela va des œuvres d'art aux objets du quotidien, aux ustensiles, aux pointes de flèches, cela va dans tous les sens.  

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D'ailleurs, bien sûr, pas seulement en Afrique, en Amérique ou en Asie, mais aussi en Europe. Les collections dites folkloriques, comme on les appelle ici, ont également rassemblé toute la culture matérielle. Ce n'est pas seulement de l'art, bien sûr.

N'est-ce pas une tâche énorme pour vous de déterminer l'origine de tous ces objets ? Ils n'ont probablement pas toujours été inventoriés de manière systématique...

C'est en effet une tâche énorme. A Berlin par exemple, le musée d'ethnologie a une collection de 500.000 objets, soit un demi-million. Mais ce n'est pas comme si on devait faire des recherches pendant six mois sur chaque objet avant d'avoir des résultats, ce sont de grands ensembles. 

On a des collectionneurs, on a des fonctionnaires coloniaux qui ont constitué de grandes collections et les ont données à un musée. Si l'on sait quelque chose sur la manière dont ces personnes, ces collectionneurs, ont agi, si par exemple ce sont des officiers coloniaux qui ont peut-être utilisé la menace, qui ont fait usage de la violence, alors cela ne concerne évidemment pas un seul objet, mais tout un ensemble.

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C'est-à-dire qu'on peut déjà séparer les lots les uns des autres. Et pourtant, cela prendra beaucoup de temps, c'est certain. Mais il n'est pas si utopique que cela d'en avoir fini un jour. 

Restitution d'un bronze du Royaume du Bénin emporté en 1897 par les forces coloniales britanniques
Restitution d'un bronze du Royaume du Bénin emporté en 1897 par les forces coloniales britanniquesImage : Joe Giddens/PA Wire/picture alliance

Mais vous avez raison de soulever un autre point important ! Il est évident que tous les détails de chaque objet et de chaque lot ne sont pas documentés de manière à ce que l'on puisse dire s’ils ont été acquis illégalement ou non.  

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Si le contexte historique d'illégalité n'est pas démontrable, alors, bien sûr, les objets resteront ici. Mais encore une fois, nous sommes également prêts, et nous l'avons déjà fait en partie, à restituer des objets, même s'il n'y a pas de contexte d'injustice prouvé, mais qu'ils sont particulièrement importants pour la culture d'origine.

Et qui détermine le "contexte d'injustice" ou la légitimité du contexte ? Y a-t-il des critères valables dans toute l'Allemagne ?

Il n'y a pas de liste de critères qui soit fixée. Ce qui est important, je pense, c'est que l'on se penche ensemble sur cette tâche. Donc s'il s'agit de biens culturels africains, les conservateurs des musées allemands, en collaboration avec des spécialistes des pays et des communautés africaines concernées, doivent décider ensemble. Je pense que c'est la meilleure solution.

 

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Et bien sûr, ce qui était issu d'une expédition punitive- prenez par exemple les bronzes du Bénin, qui ont été pillés par la force militaire, dans ce cas par les Britanniques, mais que les Allemands et beaucoup d'autres ont ensuite achetés, acquis auprès des Britanniques. Là, c'est clair.

Pour d'autres, ce n'est pas aussi clair. Il y a des choses qui ont en fait été échangées et ainsi de suite. Mais il y a aussi des cas qui se situent entre les deux, où certains objets font l'objet de recherches. Par exemple, dans le nord-ouest du Cameroun, où les Allemands n'ont pas directement extorqué des objets par la force des armes, mais où les troupes coloniales allemandes se sont rendues dans des zones de construction de nuit dans la région et où on peut bien sûr déjà dire, ok, les communautés locales savaient en fait seulement que c'était là. Y avait-il une menace dans l'air ? Et dans ce cas précis, il s'agit d'une sculpture importante, nous allons probablement la restituer.

Retour à Cotonou de trésors royaux d'Abomey, rendus par la France en novembre 2021
Retour à Cotonou de trésors royaux d'Abomey, rendus par la France en novembre 2021Image : Séraphin Zounyekpe

Ce n'est évidemment pas si simple au cas par cas. Ce n'est pas une liste de critères qu'il suffit de cocher. Mais je pense que ce qui est important, c'est que les musées allemands ont ici une attitude très ouverte et que l'on peut aussi trouver des solutions en collaboration avec nos partenaires dans les pays d'origine.

A propos de solutions, que pensez-vous de la numérisation ?

La numérisation est importante. La numérisation est essentielle pour mettre les informations à disposition. La numérisation exige que nous ayons numérisé, je crois, 70.000 objets avec la mise à disposition de toutes les métadonnées. Ce n'est pas une mince affaire. On pense toujours que oui, il suffit de scanner et c'est fini. Non, il faut que les spécialistes les examinent à nouveau. On ne peut pas simplement retirer les informations des livres. Il faut les vérifier encore . Il faut que ce soit correct, que la provenance soit indiquée. Ce n'est donc pas aussi simple qu'on l'imagine généralement. 

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 Et nous avons la Deutsche Digitale Bibliothek, qui est une association de tous les musées, bibliothèques, archives et institutions culturelles allemands, un peu comme Europeana pour l'Europe. La Deutsche Digitale Bibliothek est l'accès numérique et virtuel au patrimoine culturel des institutions culturelles allemandes. Et là, nous sommes en train de mettre en place un portail qui rassemble les biens culturels coloniaux de tous les musées allemands. C'est également un objectif important, et même central.

Et comment les Africains peuvent-ils être encore plus impliqués dans un avenir proche ?

Il est bien sûr important qu'ils reçoivent les informations sur ce qui se trouve dans nos collections, et que l'élaboration de ces contenus et de ces informations se fasse, idéalement, en commun.  

Nous avons par exemple un projet avec des communautés amazoniennes, c'est-à-dire des groupes indigènes du Brésil, du Venezuela et de Colombie, avec lesquels nos spécialistes travaillent depuis de nombreuses années sur l'ensemble de la collection, et leurs informations sont également intégrées dans les données, qui sont pour ainsi dire accessibles en libre accès. 

L'idéal est toujours de collaborer et de faire cela ensemble. Et pour cela, il existe dans le contexte du Humboldt Forum des programmes de résidence qui nous permettent d'inviter des spécialistes des pays d'origine à venir travailler sur ces collections pendant une période prolongée.