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Histoire

Le rôle des tirailleurs sénégalais éclairé par David Diop

23 octobre 2019

Comment les tirailleurs sénégalais ont-ils lutté aux côtés des Français pendant la Première Guerre mondiale ? C’est la question centrale du roman de David Diop "Frère d’âmes". Prix Goncourt des lycéens en 2018, l’écrivain franco-sénégalais était de passage à Bonn récemment.

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DW : Vous avez décidé d'écrire sur la participation des tirailleurs sénégalais à la guerre de 1914-1918. C'est pour éviter qu'on oublie l'histoire ? C'est important de transmettre le savoir ?

David Diop : C'est lié à un manque, c'est à dire que j'ai lu beaucoup de textes et de témoignages de poilus c'est à dire de soldats français sur la guerre et je n'ai pas trouvé de témoignages des tirailleurs sénégalais. Il y en a quelques-uns mais ce sont des lettres un peu impersonnelles, des lettres pour demander une pension en retard ou des soldes en retard mais pas de lettres qui racontent la guerre. Sauf une, qui m'a été donnée par un historien et qui dit que, dans cette lettre, on voit un tirailleur sénégalais du Sénégal qui écrit à son frère "ne viens pas, si tu peux, évite, c'est une boucherie."

DW : Pourquoi le roman pour parler de la Grande Guerre ?

David Diop : L'histoire, elle est réservée à un petit groupe de gens qui ne lisent pas ces textes là. Et on peut se rendre compte que, en tout cas c'est le cas avec mon roman "Frères d'armes", c'est que, même si mon texte n'est pas un texte historique, il peut toucher des gens qui vont ensuite aller se renseigner en lisant des travaux historiques. Donc, la fiction elle peut émouvoir tandis que l'histoire explique

DW : Comment arrive-t-on à écrire sur une tragédie qu'on n'a pas vécu soi-même ? Et puis comment est-ce que vous avez mené les recherches avant d'écrire ?

David Diop : Un écrivain peut tout écrire, il peut tout imaginer. Je suis allé me documenter justement, j'ai lu des thèses d'historiens sur le rôle des tirailleurs sénégalais dans la Première Guerre mondiale. Je pense que la fiction peut être efficace pour raconter une histoire pareille même si on ne l'a pas vécu. 

DW : De quelle classe sociale étaient-ils, est ce que c'était des soldats confirmés ? 

David Diop : Il y avait deux types de soldats. Il y avait des tirailleurs sénégalais qui appartenaient au corps des tirailleurs sénégalais depuis avant même la Première Guerre mondiale. C'était vraiment des vrais soldats qui étaient extrêmement entraînés. Et puis vous aviez progressivement, plus la guerre avançait, plus les pertes se sont multipliées, des deux côtés d'ailleurs du côté allemand et du côté français. Et donc là, on a commencé à recruter des tirailleurs qui venaient d'Afrique de l'Ouest mais qui n'avaient pas nécessairement une formation. Donc on les faisait venir, en général ils débarquaient dans le Sud-Est de la France - Marseille Saint-Raphaël, Fréjus - et on leur donnait une formation militaire avant de les envoyer sur le front. Dans ces tirailleurs là, qui n'étaient pas des soldats de métier, vous aviez deux cas de figure vous aviez ceux qui étaient recrutés obligatoirement : le chef de village désignait les jeunes gens qui devaient partir. Et puis vous avez un deuxième cas de figure où les tirailleurs étaient volontaires. 

DW : Ils étaient plus de 130.000, 134.000 d'après ce que j'ai lu. Qu'est-ce qu'ils faisaient concrètement contre les Allemands ? 

David Diop : Alors, il y avait deux, dans les tirailleurs des bataillons de tirailleurs sénégalais, il y avait deux catégories, grosso modo. Vous aviez des gens qui s'occupaient de la maintenance, qui étaient à l'arrière. Mais vous aviez aussi les combattants et les combattants étaient en première ligne. Dans toutes les grandes batailles, que ce soit le chemin des Dames, la bataille de la Marne, ils étaient là.

DW : Qu'est-ce qui motive un tireur sénégalais à aller combattre un pays qui n'est pas le sien ? La France, un pays où il n'a jamais mis les pieds avec l'hiver et tout ce qui va avec contre un pays, l'Allemagne avec qui il n'a, en réalité, aucun problème en particulier !

David Diop : On est dans un empire colonial. Dans un empire colonial, quand l'occupant, le colon dit : "vous allez me donner dix mille personnes pour aller faire la guerre," ils vont partir faire la guerre, c'est obligé. Mais il y a eu, au niveau de l'actuel Burkina Faso, il y a eu des guerres de refus contre le fait que les jeunes gens allaient en Europe.

DW: Où en est-on dans leur reconnaissance ?

David Diop : Au mois de novembre dernier pour fêter, entre guillemets, le centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale, il y a eu à Reims l'inauguration d'un monument dédié aux soldats d'Afrique qui a été d'ailleurs patronné par le président de la République,  Macron, accompagné d'un écrivain Alain Mabanckou qui lui-même a fait un discours à la mémoire de ces tirailleurs. Donc, au moment des commémorations, il y a finalement un souvenir qui est réactivé du rôle qu'ont joué les tirailleurs sénégalais.

DW : Cela ne fait pas partie de ce que vous racontez dans votre roman mais je vous pose la question quand même : savez-vous quelque chose sur la contribution des Africains aux côtés des Allemands ?

David Diop : Je l'ai appris, c'est un intervenant lors d'une lecture à Leipzig, qui m'a dit "mais il y a des soldats africains qui ont participé aux combats aux côtés des Allemands". Cela m'a vraiment surpris, je n'en savais rien

DW : Quel ressenti avez-vous en parlant de la Première Guerre mondiale aux jeunes ? L'accueil est-il le même en Afrique tout comme ici en Allemagne ? 

David Diop : Les lecteurs en fait, qu'ils soient Allemands, Africains ou Français, ils ont souvent, qu'ils soient garçon ou fille, le même âge que ceux qui sont allés combattre il y a un siècle. Parce qu'il faut se rendre compte que ceux qui sont allés combattre, ils avaient 20 ans. Et ça, je crois que ça touche tous les lycéens que j'ai pu rencontrer parce que ils réalisent que à leur âge, des jeunes gens sont allés se faire tuer pour gagner 100 mètres de terrain et les perdre le lendemain.