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"Il n'y aura pas d'élection le 11 avril au Tchad"

Blaise Dariustone
7 avril 2021

Interview avec Laoukein Kourayo Médard. L'ancien maire de Moundou plaide pour un dialogue national inclusif et des élections transparentes.

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L'interview de la semaine nous conduit cette semaine au Tchad, et plus précisément à Moundou, dans le sud du pays.

A quatre jours de l’élection présidentielle, notre interlocuteur aujourd’hui est l'ancien maire de Moundou, Laoukein Kourayo Médard, arrivé troisième à la présidentielle d'avril 2016.

Laoukein Kourayo Médard et ses camarades de l'opposition, notamment Saleh Kebzabo et Ngarledji Yorongar, ont refusé de prendre part au scrutin présidentiel. D'autres figures de l'opposition et de la société civile continuent d’ailleurs aussi de militer pour le boycott de cette élection.

Laoukein Kourayo Médard est interrogé à Moundou par Blaise Dariustone, notre envoyé spécial.

***

Laoukein Kourayo Médard, bonjour. Pourquoi avez-vous décidé de boycotter la présidentielle du 11 avril alors que vous êtes arrivé troisième en 2016 ?

Idriss Déby a tout ficelé pour finir en 2033. Ce n'est un secret pour personne. [Le président sortant] a tout ficelé, en commençant d'abord par la composition même de la Céni, truffée de caciques du MPS. Tout le monde la connaît. Ensuite, le Bureau permanent des élections, qui est également truffé de ces mêmes personnes et enfin du CNDP.

La parité a disparu au profit du parti au pouvoir et l'élection en cours est à 99 pourcents au profit de Déby. On ne peut pas l'accompagner et j’en profite pour dire à ceux qui sont en ce moment en train de l'accompagner – il y en a qui ont été payés. On a des preuves. A ceux-là : qu'ils sachent honnêtement que l'histoire a toujours été très têtue. Elle risque de les rattraper un jour. Vouloir, à cause de l'argent, accompagner un dictateur pour malmener cette pauvre population. C'est eux qui seront plus sanctionnés que Déby. S'ils ne l'avaient pas accompagné, Déby serait en ce moment dos au mur et serait en train de lâcher le tablier. Mais c'est à cause d'eux qu'il est en train de faire encore le gros dos. C'est quatre ou cinq personnes bien connues qui ont pris de l’argent pour l'accompagner. On verra bien ce qu'ils vont faire le jour J ?

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La Coordination des actions citoyennes, composée de partis politiques et des associations de la société civile, appelle à une série de marches pacifiques dénommées "L’heure est arrivée", en arabe tchadien, contre un sixième mandat du président Déby. Mais on ne voit pas trop votre parti ni nos militants dans les rues à N’djamena ou à Moundou. Qu'est-ce qui se passe ?

Revoyez bien les photos des différentes manifestations : la CTPT est toujours présente. Avant-hier encore, nos militants ont été arrêtés et à l'heure où je vous parle, leurs téléphones n'ont pas encore été restitués.

Baba Ladé et Idriss Déby : une énième réconciliation

Est-ce que cette stratégie de l'opposition ou de la société civile peut marcher ?

Je sais que ça va marcher avec ce qui se passe aujourd'hui. Si ça continue jusqu'au 11 avril, quand la police va commencer par tirer, même les présidents de bureaux de vote vont fuir. Il n'y aura pas d'élections.

Et s'il n'y a pas d'élections, Déby sera obligé d'engager un dialogue national inclusif. Il y aura certainement un gouvernement de transition qui va préparer des élections transparentes pour désigner quelqu'un qui va prendre la destinée de ce pays sans Idriss Déby. Moi, j'ai foi : en ce moment, Déby est dos au mur. Tout le monde le sait.

 

Laokein Kourayo Médard, il y a quelques semaines, des rumeurs relayées sur Facebook ont fait état d'une audience que vous aurait accordée le président Idriss Déby Itno. Celui-ci vous aurait promis de vous nommer vice-président. Est-ce que vous confirmez ces informations ?

(Rires) Je ne sais pas si c'est un rêve. Il faut que je vous dise la vérité. Déby a envoyé des gens me voir ici à Moundou quatre fois. Je leur ai dit d'aller se faire prendre ailleurs. Qu'est-ce qu'on va discuter avec lui ? J'ai dit à ces gens : "Allez dire à Déby que s'il aime ce pays, il faut qu'il organise un dialogue national". Pourquoi Déby veut faire une réconciliation au coup par coup alors que nous avons toujours exigé un dialogue national inclusif ? La dernière date à laquelle j'ai vu Déby et que je l'ai salué, c'était le 20 mars 2018, quand ils ont invité tous les partis politiques de l'opposition à la présidence. Là, ce jour, j'ai salué depuis le 20 mars 2018. Je ne l'ai pas vu de près depuis.

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Quel était le contenu du message de ces émissaires ?

C'était pour prendre attache avec Déby et s'il y a possibilité d'intégrer le gouvernement. C'était juste ça.

 

Vous n'êtes pas prêt ?

Non ! Je fais partie d'une opposition et nous collaborons ensemble pour une alternance. Comment pourrais-je laisser les autres pour aller dans le gouvernement. Ceux qui ne veulent pas entrer dans l'histoire sont tenus par le ventre et le ventre leur dictent certains comportements.

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Il y a quelques jours, l'un des jeunes opposants, très critique contre le président Déby, Succès Masra a été reçu en audience par le président Déby. Une rencontre qui a suscité beaucoup de réactions dans les milieux politiques et de la société civile. Quel est votre avis par rapport à cette rencontre ?

On communique très souvent, avec Succès. Il devait quand même nous poser des questions : "Le chef de l'Etat m'appelle. Qu'est-ce qu'il faut faire ? Quelle conduite tenir ?" Mais dans la précipitation, il est parti… alors même s'il lui a dit de vraies choses, ceux qui l’ont vu entrer et sortir ne vont pas penser qu'il est allé lui dire la vérité. Ils vont certainement penser qu'il est allé pour le phagocyter. C'est la manière dont il est parti qui n'est pas bien. Il aurait dû composer une équipe, y aller en délégation avec un document en main, mais ils sont allés précipitamment et c'est ce qui a créé toutes ces interprétations. D’aller comme ça, rencontrer le président et discuter…