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Cherif Mahamat Zene : "Le Fact fait une fuite en avant"

10 août 2022

Interview avec le chef de la diplomatie tchadienne. Il dénonce l'attitude du Fact mais tend la main à ce groupe à l'origine du conflit ayant entraîné la mort du président Déby.

https://p.dw.com/p/4FLG4

Notre invité est cette semaine Cherif Mahamat Zene. Le ministre tchadien des Affaires étrangères a conduit la délégation gouvernementale lors des négociations à Doha avec les groupes rebelles. Ces négociations, qui ont duré cinq mois sous la médiation du Qatar, ont abouti ce lundi (08.08.2022) à un accord.

Le document prévoit entre autres un cessez-le-feu, une libération de prisonniers de guerre et la sécurisation des ex-combattants qui vont participer au dialogue national, censé démarrer le 20 août 2022.

Or certains groupes rebelles dont le Front pour l'alternance et la concorde au Tchad (Fact), à l'origine des combats durant lesquels le président Idriss Déby a trouvé la mort en avril 2021, d'après la version officielle, n'ont pas signé l'accord, accusant le gouvernement d'être de mauvaise foi.

Mais pour Cherif Mahamat Zene, il n'en est rien.

Ecoutez ou lisez ci-dessous l'interview exclusive du chef de la diplomatie tchadienne sur la DW.

Le président du CMT tchadien, Mahamat Idriss Déby lors d'une visite aux troupes tchadiennes à Téra au Niger (Archives)
Mahamat Idriss Déby dirige le Tchad depuis la mort du président Idriss Déby Itno en avril 2021Image : Facebook/Präsidentschaft Tschad

Interview avec Cherif Mahamat Zene

 

DW : Cherif Mahamat Zen, bonjour !

Cherif Mahamat Zene : Bonjour.

DW : L'accord de Doha, un accord historique selon le président du Conseil militaire de transition, Mahamat Idriss Deby Itno. Pourtant, le Fact dont l'action a provoqué la mort en avril 2021 du président Idriss Deby Itno, n'a pas signé cet accord. Est-ce vraiment un accord historique ?

Cherif Mahamat Zene : Merci. Je pense que le président du Conseil militaire de transition a parfaitement raison de dire que l'accord de Doha est un accord historique. La lecture du Fact de cet événement n'engage que lui. Vu le nombre de mouvements politico-militaires qui ont signé cet accord, cet accord est un accord de portée historique.

DW : Justement, le pouvoir tchadien est accusé d'avoir créé des petits groupes satellitaires pour faire face aux groupes plus influents comme le Fact.

Cherif Mahamat Zene : Je ne pense pas que ce soient des accusations fondées dans la mesure où pendant cinq mois de discussions, aucun des mouvements n'a apporté la preuve de ces accusations fallacieuses. Et c'était une fuite en avant puisque le gouvernement a fait des concessions majeures. Il suffit de regarder le projet initialement présenté par le gouvernement et qui, au fil des temps, a évolué pour intégrer presque 98 % de toutes les revendications des groupes politico-militaires. Je vous donne entre autres l'exemple du Fact.

L'épineuse question du DDR

Véhicule militaire tchadien lors d'une opération contre des rebelles dans le désert, à Ziguey (archive d'avril 2021)
Le Tchad a annoncé la mort du président Idriss Déby Itno lors de combats contre les rebelles du Fact en avril 2021Image : Abdoulaye Adoum Mahamat/AA/picture alliance

Le Fact a posé depuis toujours quatre conditions. La question, par exemple, de l'arrêt de la répression des manifestations. Deuxième condition, la traduction devant la justice des criminels de guerre, des deux côtés : du gouvernement et des politico-militaires. C'est inscrit noir sur blanc dans l'accord. Troisième condition dont la mise en œuvre a été rendue difficile par le Fact lui-même, c'est-à-dire la libération de ses prisonniers de guerre. Mais le Fact a choisi au moment des négociations, et surtout a insisté sur ce point que le DDR, le processus de désarmement, démobilisation et réinsertion, soit remis à plus tard, après le dialogue.

Donc, cela veut dire qu'ils peuvent conserver leurs hommes en armes, leurs équipements, tout leur matériel, leur capacité de nuisance, mais ils peuvent venir participer au dialogue. Et comment voulez-vous conserver vos hommes en armes sur le territoire d'un pays voisin, avec la possibilité de pouvoir nuire et en même temps demander la libération des prisonniers de guerre ?

Voilà où se situe le problème et je pense que c'est la seule condition dont la non-satisfaction a amené le Fact à refuser de signer. Et je l'ai dit d'autant plus que j'ai eu un entretien de près de 40 minutes avec le chef du Fact. Je pense que la condition sur laquelle il a beaucoup insisté, c'est cette question de la libération des prisonniers de guerre. Et cette question, certainement, ne peut pas être réglée comme ça.

DW : Mais Cherif Mahamat Zen, le chef du Fact dont vous parlez, Mahamat Mahdi Ali, insiste sur la question de la non-éligibilité des membres de l'actuelle transition. Pourquoi est-ce que cela pose un problème ?

Mais cette question figure en bonne place dans l'accord qui a été signé ! Le gouvernement a accepté de prendre toutes ces revendications dans l'accord pour que le dialogue national inclusif et souverain s'en saisisse.

Si le dialogue effectivement, demain, décide que les membres du CNT ne se présentent pas aux élections, mais il appartient au dialogue donc d'en décider et que cette décision doit être respectée. Donc, quelque part, il y a effectivement la mauvaise foi.

DW : Vous parlez de mauvaise foi, mais le Fact accuse également la délégation gouvernementale de mauvaise foi.

Cherif Mahamat Zene : Oui, mais par rapport à quoi ? Moi, je suis en train de vous parler de faits concrets.

DW : Donc vous nous assurez que ce point figure noir sur blanc sur l'accord qui a été signé à Doha ?

Cherif Mahamat Zene : Bien sûr, cela y figure.

 

Le défi de sécuriser le dialogue national souverain et inclusif

 

Des invités assis dans une salle lors d'une réunion à la présidence, à N'Djamena, en décembre 2020
Le pouvoir militaire tchadien a convoqué un dialogue national souverain qui devrait démarrer le 20 août 2022Image : PR der Präsidentschaft des Tschad

DW : Que compte faire le gouvernement pour éviter que les groupes non-signataires perturbent le dialogue censé démarrer dans les prochains jours ?

Cherif Mahamat Zene : Je ne pense pas qu'il soit sage de leur part de quitter la table de négociations et de chercher à perturber le dialogue décidé et voulu par l'ensemble des Tchadiens. Toutefois, si jamais ils pensent qu'ils ont le droit de perturber le dialogue, le gouvernement n'a pas d'autres choses à faire que de continuer à assumer ses responsabilités régaliennes. Et je ne pense pas que, en quittant la table de négociations, on devienne beaucoup plus menaçant que par le passé.

DW : Est-ce que ce n'est pas imprudent de minimiser l'influence de de ce groupe dont je rappelle que l'action a entraîné la mort du président Idriss Déby Itno ?

Cherif Mahamat Zene : Non, nous ne minimisons personne, et ce n'est pas à nous vraiment de jauger la capacité de nuisance des uns et des autres. Mais nous sommes venus pour négocier et quand vous venez pour négocier, vous devez écouter tout le monde. Et moi, je suis convaincu que l'accord qui a été signé répond à plus de 95 % aux attentes des politico-militaires. Et je dois vous dire que si le gouvernement a accepté de venir à Doha pour engager des négociations avec les politico-militaires, ce n'est pas parce que le gouvernement avait le couteau à la gorge. Pas du tout.

DW : Est-ce qu'il y aura peut-être un régime spécial pour le Fact après la signature par les autres, de cet accord ?

Cherif Mahamat Zene : Je ne pense pas qu'il puisse y avoir des exceptions par rapport à tel ou tel groupe. Maintenant, si à un moment donné, le Fact ou un autre mouvement veut se joindre à cet accord, celui-ci reste ouvert à tout moment. Donc la paix n'a pas de prix, la guerre n'a jamais réglé quoi que ce soit. Je pense que tout le monde en est conscient.

DW : Deux défis se présentent donc pour la tenue de ce dialogue : le défi de la sécurisation des délégués qui vont arriver à ce dialogue et le défi de l'inclusivité.

Cherif Mahamat Zene : Certains politico-militaires ont dit qu'ils ne souhaitaient pas être protégés par les forces tchadiennes, mais qu'ils souhaiteraient être protégés par des forces étrangères. Certainement, nous ne pouvons pas permettre, puisque nous ne sommes pas sous tutelle, qu'une force externe soit déployée au Tchad uniquement pour protéger quelques dizaines de délégués de groupes politico-militaires.

Mais pour répondre à cette revendication, nous avions dit que nous avons déjà une force mise en place par les quatre Etats membres de la Commission du bassin du lac Tchad dans le cadre de la lutte contre Boko Haram. Il y a la Force multinationale mixte et nous avions dit qu'il est possible peut être de négocier avec les instances de cette force et en accord avec l'Union africaine, pour obtenir une décision du Conseil de paix et de sécurité permettant peut-être de déployer juste une unité, une unité de quelques dizaines de soldats non-tchadiens faisant partie de cette force pour protéger ceux des politico-militaires qui auront besoin d'une protection spéciale.

 

Le rôle du Qatar 

 

DW : Cherif Mahamat Zen, beaucoup se posait la question de savoir pourquoi le Qatar est entré en action et a assuré la médiation. Quel sera le rôle désormais du Qatar après la signature de cet accord pré-dialogue ?

 

Cherif Mahamat Zene : Mais le Qatar a accepté de jouer le rôle de médiateur, à la demande certainement du gouvernement tchadien. Tout comme dans le passé, il y a eu beaucoup d'autres accords de paix qui ont été signés ici à Doha.

DW : Oui mais Monsieur le ministre, vous pensez que le Qatar ne gagne rien dans toute cette intervention ?

Cherif Mahamat Zene : Pourquoi pas ! Cela certainement renforce aussi la crédibilité et la réputation de ce pays qui excelle dans ce domaine de pourparlers et de négociations internationales. La réussite certainement de cet accord dépendra de la mise en œuvre du programme "Désarmement, démobilisation et réinsertion" des combattants des mouvements politico-militaires signataires de l'accord.

Ce DDR nécessite beaucoup de ressources financières et certainement pour les mobiliser, il faut que l'ensemble de la communauté internationale soit impliquée fortement. Et pourquoi pas le Qatar en tête ?

DW : Chérif Mahamat Zen Merci.

Cherif Mahamat Zene : C'est à moi de vous remercier.