1. Aller au contenu
  2. Aller au menu principal
  3. Voir les autres sites DW

Tertius Zongo : "Personne ne connaît mieux les besoins des Sahéliens que les Sahéliens eux-mêmes"

27 janvier 2021

Plus de 500 projets de développement ont été examinés pour mesurer leur impact sur la vie des populations du Sahel. Ce travail a été réalisé par la Chaire Sahel de la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi).

https://p.dw.com/p/3oFtM

La Chaire Sahel est dirigée par Tertius Zongo, ancien premier ministre du Burkina Faso. Pour lui, il n'y a pas de succès possible si les partenaires ne tiennent pas compte des réalités locales.

Tertius Zongo : Lorsque vous prenez un peu tous ces pays, c'est des pays francophones et c'est pas simplement cela. Lorsque vous voyez, un des legs de la colonisation, c'est vraiment une forte tradition centralisatrice. C'est ça le leg de la colonisation. Tout partait du sommet et penser la politique de développement, c'est le sommet. Comment mettre en oeuvre, c'est le sommet et les populations n'étaient là que pour se lever un matin et voir qu'on est venu construire une école, voir qu'on a foré un puits ou qu'on a construit un dispensaire parce qu'on avait estimé au niveau central que c'était ce qui était bien pour les populations. Mais aujourd'hui, vous êtes d'accord avec moi que lorsqu'on regarde les résultats,ils sont très mitigés. Aujourd'hui, on nous faites attention, les populations savent ce qu'elles veulent. Est-ce que vous pouvez prendre un instant pour voir quels sont leurs besoins ? Le contexte dans lequel ces populations évoluent ? De quel type de renforcement de capacités elles ont besoin, mais aussi pour être des maîtres d'ouvrage, c'est-à-dire s'approprier ce développement.

DW : Précisons un peu ce que vous venez de dire. Les partenaires au développement qui sont regroupés au sein de l'Alliance Sahel ont leurs propres règles et ces partenaires arrivent avec leurs objectifs eux aussi. Est-ce que ces objectifs se recoupent avec les besoins qui existent au plan local et les besoins des États, des pouvoirs publics de la région ?

Tertius Zongo : C'est exactement pour répondre à la question que vous venez de poser que l'Alliance Sahel a été mise en place il y a trois ans. L'Alliance Sahel a compris d'une part, qu'il faut un peu plus de coordination au niveau des bailleurs de fonds. Nous avons par exemple un projet devant nous que nous voulons financer : comment allons-nous nous coordonner ? Deuxièmement, il faut harmoniser. Nous avons nos procédures. Comment on harmonise nos procédures pour assurer le resultat ? Parce que ce qui est mis en avant, ce n'est plus d'avoir dépensé de l'argent pour tel pays ou tel programme, mais c'est s'assurer que la dépense ait eu un impact sur le bénéficiaire. Je dois reconnaître que ce n'est pas quelque chose de facile, mais dans cette nouvelle approche de manière de faire, il ne s'agit pas pour les bailleurs de fonds de venir dire aux gouvernements ce qu'ils ont à faire. Il y a eu quelques avancées, mais on reconnait qu'il reste un chemin à faire autant au niveau des États qu'au niveau des partenaires au développement.

DW : Oui et dans quelle mesure l'expertise locale est-elle prise en considération ? La société civile et les experts locaux sont-ils associés lors de la définition des projets qui sont financés ensuite ?

Tertius Zongo : Personne ne connaît mieux les besoins des Sahéliens que les Sahéliens eux-mêmes. Même les bailleurs de fonds eux-mêmes le reconnaissent jusqu'à présent et l'expertise qui venait pour les analyses, était toujours une expertise qui venait d'ailleurs, alors que nous avons des chercheurs qui connaissent les problèmes. Qui connaissent la sociologie de notre environnement, qui connaissent l'économie politique des populations, qui connaissent les besoins de nos populations, qui connaissent leurs habitudes et qui connaissent comment les mettre ensemble. Comment quelqu'un peut-il venir en deux semaines, fût-il un expert de je ne sais quel domaine, et venir connaître mieux les besoins de la population que ces experts locaux ? C'est pourquoi, des structures comme la Chaire Sahel, que je dirige, ont été mises en place pour vraiment avoir une réflexion tout à fait locale. Et nous travaillons avec des chercheurs, avec des militaires, avec des experts sahéliens d'abord.

DW : Mais est-ce que vous êtes écoutés ?

Tertius Zongo : On est très écouté. On est très écouté et je dois dire que notre premier soutien, ce sont les Etats. Et vous parlez de l'Alliance Sahel. Si vous voyez le rapport sur les aspects de redevabilité de l'Alliance Sahel, c'est la Chaire Sahel qui a travaillé sur les indicateurs, les 22 indicateurs, c'est la Chaire Sahel qui a décortiqué les plus de 500 projets pour arriver à dire voilà si vous voulez mesurer l'impact dans nos pays, voilà le sens dans lequel on doit aller. Mais comme je l'ai dit, nous sommes dans un domaine scientifique. Nous essayons de jeter un pont entre les travaux que nous faisons et des experts qui sont un peu partout dans le monde. Et pour arriver vraiment à sortir des résultats qui sont robustes, des réflexions de la production de connaissances qui ne peuvent pas être remises en cause. Donc oui, de plus en plus, je pense que nous sommes écoutés parce que les bailleurs de fonds veulent aussi des résultats.

DW : Malgré tout, le Sahel continue de subir une hémorragie. Les jeunes continuent de partir. Il y a une masse considérable de migrants clandestins qui émane de cette région du Sahel. Est ce que cela ne révèle pas un manque de résultats concrets de la part de toutes ces actions qui sont censées fixer les gens, donner des perspectives aux habitants du Sahel ?

Tertius Zongo : L'Alliance Sahel a été mise en place il n'y a que trois ans ! C'est-à-dire, cette nouvelle approche sur la réflexion, elle est encore très récente pour pouvoir produire un peu, je dirais des fruits pour arrêter tout ce que nous voyons. L'essentiel, c'est comme on dit, il faut que il y ait certains résultats rapides qui permettent aux gens de croire. Et je pense que la nouvelle approche qui a été développée par le secrétariat permanent du G5 Sahel, appuyée par l'Alliance Sahel et pour laquelle, nous au niveau de la Chaire Sahel nous allons nous engager, c'est l'approche territoriale intégrée. Et vous voyez, c'est-à-dire que toutes ces réflexions sont nouvelles. Mais pour l'instant, je dois dire, la situation est déplorable. Mais je ne crois pas que les actions qui sont entreprises depuis un ou deux ans pourraient apporter un meilleur résultat que ce qu'on voit.