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Economie

Quand la Chine lorgne sur l'Afrique

Antonio Cascais | Sandrine Blanchard
3 septembre 2018

Pékin accueille pour deux jours le FOCAC, le Forum de coopération Afrique-Chine. Le pays hôte a bien compris ses intérêts vis-à-vis du continent, mais la réciproque n'est pas toujours vraie.

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Nairobi - China in Afrika
Image : DW/E. d. Vries

Pékin accueille pour deux jours le FOCAC, Forum de coopération Afrique-Chine. "Une manifestation d’importance mondiale que la Chine attend avec enthousiasme", a annoncé le chef de la diplomatie chinoise Wang Yi, qui promet qu’il s’agira "du plus grand sommet de tous les temps".

Au-delà de cette rhétorique emphatique, il est vrai que la Chine et l’Afrique comptent à elles deux plus de deux milliards et demi d’habitants et que la rencontre concerne donc près d’un tiers de la population mondiale. Mais quels sont les intérêts de la Chine et des Etats africains dans cette coopération et celle-ci profite-t-elle aux populations civiles du continent ?

Principal partenaire

La Chine est devenue il y a neuf ans le principal partenaire commercial de l’Afrique. Le ministre chinois des Affaires étrangères parle d’une coopération à bénéfices mutuels ("win-win"). Le président Xi Jinping a déjà effectué quatre voyages d’Etat sur le continent, soit davantage que n’importe lequel de ses prédécesseurs.

Le ministre libérien de l’Economie et des Finances, Augustus Flomo, résume ainsi l’importance capitale du partenaire chinois :

"Dans son nouveau programme de développement, le Liberia a surtout besoin d’infrastructures, de développer son réseau électrique, de moderniser son système de santé."

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Xi Jinping et Macky Sall en juillet 2018, à DakarImage : Getty Images/AFP/Seyllou

Partisan d’un rapprochement économique avec Pékin, Uhuru Kenyatta, le président du Kenya, plaide pour des marchés ouverts, loin du protectionnisme. Mais si les produits chinois n’ont pas de mal à pénétrer les pays africains, la réciproque n’est pas forcément vraie, rappelle pour sa part Robert Kappel.

Economiste spécialiste des politiques de développement à l’Université de Leipzig, il estime au contraire que "Kenyatta aurait des raisons de critiquer la Chine, qui, avec ses exportations subventionnées de produits à bas prix – soit d’entreprises étatiques soit de grands groupes industriels – détruit les marchés africains qu’elle inonde : du vélo à la lampe de poche, de la bougie au réfrigérateur. La libéralisation des échanges avec la Chine a aussi contribué à empêcher l’industrialisation des pays africains."

China Beijing - Kameruns Präsident Paul Biya
Image : picture-alliance/AP Photo/L. Zhang

Dépendance africaine

D’autant, poursuit Robert Kappel, que la dépendance des Etats africains à la Chine va croissant, du fait des crédits que distribue Pékin, notamment pour la réalisation de grands projets. "La Chine accorde de gros crédits pour les chantiers d’infrastructures, comme la ligne ferroviaire Djibouti-Addis Abeba ou le train entre Mombasa et Nairobi, explique le chercheur de Leipzig. Ces constructions coutent très cher et les Etats doivent les payer, les Chinois ne font pas de cadeaux.  C’est  bien là le problème : de nombreux Etats africains tombent dans le piège de la dette."

La Chine renforce aussi sa coopération militaire avec l’Afrique. Elle participe à la mission de paix au Soudan du Sud, a installé une base à Djibouti… autant d’indices qui contredisent le discours officiel de Pékin qui revendique sa non-ingérence politique dans les affaires intérieures africaines, contrairement aux partenaires occidentaux qui, eux, posent de plus en plus de conditions à leur aide.

Nairobi - China in Afrika
Cours de chinois à NairobiImage : DW/E. d. Vries

Pas de philanthropie de Pékin

Helmut Asche, professeur de Leipzig spécialisé dans la politique de développement en Afrique, estime que cette posture de la Chine n’est qu’une façade. Il existe de nombreux cas dans lesquels la Chine joue de son influence en sous-main. Comme lors du départ précipité de Robert Mugabe du pouvoir au Zimbabwe : son successeur Emmerson Mnangagwa était allé peu de temps auparavant chercher l’aval de Pékin.

Autre exemple : la Chine a réussi à ce que tous les Etats africains – hormis le Swaziland – rompe leurs relations diplomatiques avec Taïwan. Parmi les derniers en date à avoir cédé à cette exigence de Pékin : le Burkina Faso.

Helmut Asche analyse ainsi que "la Chine critique le "néocolonialisme" des Européens et des Etats-Unis, qui tentent de maintenir leur influence par le biais de l’aide au développement. Cela existe, cette tentative de maintien d’influence, mais l’Union Européenne pose aussi des conditions en matière de droits humains, par exemple, ce qui est positif. La Chine ne fait pas cela. Le gouvernement chinois n’a jamais critiqué nulle part les violations des droits de l’Homme."

Infografik Chinas neue Seidenstraße NEU! ENG
"Une ceinture, une route". La Chine prévoit de réactiver la "route de la soie" et mise notamment sur l'Afrique de l'Est et la Corne de l'Afrique

Retournement dans l'opinion publique africaine

Ce qui attire les faveurs des gouvernements africains pourrait toutefois nuire à termes à la Chine au sein de l’opinion publique éclairée en Afrique, estime pour sa part Germain Ngoie Tshibambe, professeur en relations internationales à l’Université de Lubumbashi en République démocratique du Congo qui estime que la coopération telle qu'elle s'effectue avec les gouvernements africains ne bénéficie pas aux populations africaines (Ecoutez à ce sujet son interview dans le magazine Droits et Libertés, voir lien ci-dessous).

Multipliée par vingt

Il faut admettre que les chiffres sont impressionnants : d’après la CNUCED, les échanges commerciaux entre la Chine et l’Afrique s’élevaient à environ 10 milliards de dollars en l’an 2000. Dix-sept ans plus tard, leur volume a été quasiment multiplié par vingt pour atteindre près de 200 milliards de dollars d’année dernière.

Et au Forum de Pékin, la Chine a promis de débloquer une enveloppe de 60 milliards, de quoi attiser les appétits des dirigeants et hommes d’affaires africains.