Deux femmes sont côte à côte à Berlin devant la presse : Annalena Baerbock et Svenja Schulze, ministre fédérale des Affaires étrangères pour la première, de la Coopération économique et du Développement pour l'autre. Elles présentent ce 1er mars à Berlin leurs directives pour une nouvelle politique : une diplomatie féministe. Une politique attendue, elle était annoncée dans le contrat de coalition du gouvernement actuel dès sa formation en 2021. C'est aujourd'hui acté : les deux ministères concernés ont livré deux documents distincts, près de 130 pages au total, pour donner le cadre de cette nouvelle politique.
Série des directives
Dans le détail, les documents des deux ministères rassemblent des "Leitlinien", des directives diverses. L'Allemagne veut par exemple faire davantage pression aux Nations unies pour que les femmes soient plus impliquées dans les actions de processus de paix. Elle s'assurera aussi que les besoins des femmes sont pris en compte avant de financer un projet d'aide humanitaire.
L'idée est la même pour le financement de projets de lutte contre le réchauffement climatique : l'Allemagne veut s'assurer que lorsqu'elle participe à un tel projet, des femmes, mais aussi des minorités, comme des personnes homosexuelles, soient parties prenantes. La République fédérale veut aussi soutenir la création des réseaux de travail, où les femmes sont spécifiquement impliquées.
"Cela signifie par exemple que si nous soutenons un village qui doit être reconstruit au Nigeria, cela fait la différence de se demander au préalable qui vit dans ce village pour planifier les installations sanitaires", expliquait la ministre des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, lors de la conférence de presse présentant sa nouvelle politique. "Si l'on se base sur l'odeur, on pourrait planifier cela à la périphérie du village. Mais si l'on se demande ce que cela signifie pour un enfant de 10 ans d'atteindre ces installations sanitaires la nuit, ou pour une femme, dans ce cas, on ne choisit peut-être pas de construire cela à la périphérie du village. Si l'on n'avait pris en compte que l'aspect masculin, on aurait peut-être fait un autre choix."
Le ministère des Affaires étrangères veut que d'ici 2025, la plupart de ses financements, 93% exactement, soient conditionnés à des projets qui ont pour objectif principal ou secondaire l'égalité des sexes. Le ministère fédéral de la Coopération économique et du Développement veut aussi augmenter sa part des projets qui contribuent à cette égalité des sexes. "L'argent ne sera presque plus mis à disposition que pour des projets qui impliquent les femmes et les aident par exemple à décider elles-mêmes du nombre d'enfants qu'elles veulent avoir", a dit la ministre allemande Svenja Schulze. Elle insiste aussi sur les projets permettant aux femmes de devenir propriétaires foncières.
Des conséquences en Afrique ?
Cette nouvelle politique pourrait avoir des répercussions sur les projets allemands en Afrique. "Les stratégies féministes sont très utiles dans le contexte africain", réagit Ottilia Maunganidze, de l'institut d'étude et de sécurité ISS. "Comme dans le reste du monde, la majorité de la population est composée de femmes et de filles. Elles restent toutes vulnérables, que ce soit en raison des normes patriarcales ou d'autres problèmes."
L'Organisation mondiale de la santé estime que 33% des femmes africaines sont maltraitées par un partenaire ou un ex-partenaire au cours de leur vie, les mariages d'enfants sont aussi un fléau dans certains pays encore. Selon l'étude Afrobaromètre, environ 80% des personnes sur le continent africain rejettent aussi les gays et les lesbiennes.
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Mais cette politique allemande pourrait, compte tenu des contextes sociaux et politiques, ne pas plaire, voire poser des problèmes, à certains endroits au moins. "Compte tenu du passé colonial, des hiérarchies raciales et de la dynamique du pouvoir entre l'Allemagne et d'autres pays, cette directive politique, bien que bien intentionnée, pourrait faire l'objet d'un examen minutieux et, dans certains cas, d'un rejet de la part de certains secteurs de la société", met en garde Grace Mbungu de l'Africa Policy Research Institute, un groupe de réflexion sur la politique africaine basé à Berlin.
Des mises en garde
"Nous voyons, par exemple, dans le cas des femmes, qu'il y a encore des contestations dans un certain nombre de pays et parmi les dirigeants africains sur, par exemple, les droits à l'avortement", ajoute Ottilia Maunganidze, de l'institut d'étude et de sécurité, ISS. "Certains pays africains inscrivent le droit à l'avortement dans leur législation, d'autres ne le font pas. Ainsi, dans les pays où l'avortement n'est pas légal, cet aspect particulier sera contesté".
Des contestations possibles sur d'autres points aussi pour Grace Mbungu. "Nous avons des valeurs sociales et culturelles qui existent depuis très longtemps et il faut souvent des générations pour les faire évoluer", prévient-elle. "Nous l'avons vu en Allemagne, aux États-Unis et dans d'autres pays où les droits des personnes LGBTQ+ sont seulement en train d'être reconnus et cimentés dans les lois et les politiques. Je ne dis pas que ce type de politiques et de reconnaissance devrait prendre autant de temps dans les pays africains, mais le gouvernement allemand et d'autres gouvernements occidentaux doivent être conscients que leurs lignes directrices pourraient être perçues comme une ingérence dans les valeurs sociales et culturelles de certains pays ou de certaines parties de la société dans ces pays."
Des problèmes dont les ministres allemandes ont conscience. La ministre des Affaires étrangères a d'ailleurs anticipé les critiques en présentant son concept. "Le féminisme n'est pas une baguette magique", a déclaré Annalena Baerbock. "Nous ne sommes pas naïves. Nous ne résoudrons pas tous les problèmes du monde avec une politique étrangère féministe. Mais nous y regarderons de plus près".
C'est un travail de longue haleine qui débute, avec des milliers d'acteurs impliqués et de nouvelles habitudes à mettre en place. Pour y arriver, quatre des dix lignes directrices du ministère allemand des Affaires étrangères prévoient aussi des changements au sein de l'institution, de ses méthodes de travail : plus de femmes dans la diplomatie, aux postes à responsabilités dans le ministère ou les instituts d'aide au développement.
En attendant, si ces annonces ont été applaudies par beaucoup, on a aussi entendu des critiques. "Deux poids, deux mesures", estiment certains et certaines. "Dans quelle mesure la nouvelle politique étrangère est-elle donc féministe si, dans la réalité, même les femmes afghanes obtiennent difficilement l'asile en Allemagne ?", questionnait récemment chez nos confrères de Deutschlandfunk Jasamin Ulfat-Seddiqzai, maître de conférences à l'université de Duisbourg-Essen. Des opposantes iraniennes en exil voient cela aussi avec un goût amer, regrettant que l'Allemagne n'ait pas condamné plus tôt et plus vite la répression contre la contestation actuelle menée par des femmes.
Au sein même de la coalition en Allemagne, les conservateurs et les libéraux sont très prudents, pour ne pas dire réticents aux politiques féministes. Et ne le cachent pas. "On ne peut imposer notre vision à d'autres", disait par exemple encore le porte-parole du groupe libéral dans le quotidien FAZil y a quelques jours. Beaucoup regardent aussi coté Suède, pays pionnier de la "diplomatie féministe" en 2014. Là-bas le nouveau gouvernement de droite a annoncé en fin d'année dernière stopper cette politique, la jugeant contre-productive.
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Au Canada, menace sur la pêche sur glace
Le grand reportage de Vu d'Allemagne nous emmène cette semaine au Canada, dans la partie francophone du pays, le Québec, où c'est l'hiver en ce moment. Les températures sont négatives et de la glace se forme sur les eaux en extérieur là-bas jusqu'en avril normalement. Mais les hivers se radoucissent face au réchauffement climatique. C'est un vrai problème pour la pêche sur glace, car il y a moins de glace justement, la couche d'eau gelée est moins épaisse sur les dizaines de lacs où on installe des cabanes sur la glace en hiver pour pêcher.
Cette coutume pour certaines familles, activité qui représente aussi plusieurs milliers d'emplois à travers tout le pays, est en danger. Reportage dans la baie Missisquoi au Canada au sud de Montréal, auprès de pêcheurs rencontré par Alexis Gacon.
Vu d’Allemagne est un magazine radio hebdomadaire, proposé par Hugo Flotat-Talon et Anne Le Touzé, diffusé le mercredi et le dimanche à 17h30TU, et disponible aussi en podcast.Le magazine ci-dessous a été préparée avec l'aide de Rosalia Romaniec, Daniel Pelz et Gerd Georgii. Vous retrouvez tous les numéros sur cette page, à écouter en ligne ou à télécharger en format MP3. Le podcast est également disponible sur certaines plateformes.