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"Ne viens pas en Europe"

Marie-Ange Pioerron11 octobre 2013

Les journaux allemands continuent de s'intéresser au dernier drame de Lampedusa. Il a fait plus de 300 morts. Parmi eux un Ghanéen, Matin, dont le frère vit à Berlin.

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Campement de réfugiés sur une place de Berlin
Campement de réfugiés sur une place de BerlinImage : picture-alliance/dpa

Il s'appelle Johnson Takyi. die tageszeitung l'a rencontré dans le campement de protestation, érigé depuis un an par des réfugiés sur une place de la capitale allemande. Johnson Takyi est lui même passé par Lampedusa avant d'arriver en Allemagne. Il raconte au journal comment il a appris la mort de son frère. Je savais, dit-il, qu'il vivait en Libye. Il a travaillé là bas pendant un an et demi sur des chantiers pour nourrir sa femme et ses deux enfants restés au Ghana. On s'était parlé au téléphone il y a deux semaines. Auparavant il m'avait déjà dit qu'il voulait venir en Europe. Je lui ai toujours répondu: non, ne viens surtout pas en Europe. Ce n'est pas le paradis que tout le monde imagine. Les gens comme nous ne trouvent ici aucun travail et doivent dormir dans la rue. Mais donc, le frère est quand même parti, et il est mort noyé. C'est mon père, précise Johnson, qui me l'a annoncé. Il m'a appelé pour me dire: ton frère est mort. Il était parti sur un bateau pour l'Europe.

Cercueils de victimes à Lampedusa
Cercueils de victimes à LampedusaImage : Reuters

Paranoïa en Erythrée

La presse est en convaincue: la tragédie de Lampedusa ne sera pas la dernière. En Libye des dizaines de milliers de migrants attendent un moment propice pour tenter l'aventure en direction de l'Europe. C'est ce que relève notamment la Neue Zürcher Zeitung, de Zurich en Suisse. Le journal note que selon Frontex, l'Agence européenne de surveillance des frontières, et l'Organisation internationale pour les migrations, les traversées entre la Libye et l'Italie ont fortement augmenté cette année. Les chiffres sont à peu près les mêmes qu'il y a deux ans, à la différence près que ce ne sont plus tant des Libyens et des Tunisiens qui cherchent à fuir les troubles dans leurs pays. La majeure partie des migrants est constituée aujourd'hui de réfugiés de guerre syriens et de ressortissants de la Corne de l'Afrique. Depuis le début de l'année on a dénombré 8 000 Erythréens, poursuit le journal, qui explique cette hémorragie par la paranoïa du dictateur Isaias Afeworki. Garçons et filles sont enrôlés à partir de 15 ans dans un service militaire qui peut durer bien au-delà des deux années réglementaires. Et faute d'argent pour cette armée pléthorique, qui ne sert à rien, les soldats sont astreints à des travaux obligatoires dans les fermes d'Etat ou la construction de routes. Cela dure depuis si longtemps, poursuit le journal, que la hiérarchie militaire se double de rapports de vassalité comme au Moyen-Age: qui le peut accomplit des corvées pour ses supérieurs et espère en retirer des avantages, ceux qui ne le peuvent pas cherchent à fuir le pays. Ce pays, l'Erythrée donc, se voit qualifier dans la Berliner Zeitung par une comparaison qui revient souvent maintenant dans les médias: la Corée du nord de l'Afrique. Toute critique est étouffée, souligne le journal, il y aurait dans les prisons érythréennes plus de 10 000 prisonniers politiques.

Au-dessus du fleuve Zambèze à Tete au Mozambique
Au-dessus du fleuve Zambèze à Tete au MozambiqueImage : DW/Johannes Beck

Que les Africains se prennent en main

La misère et le manque de liberté. C'est ce qui pousse beaucoup d'Africains à vouloir tenter leur chance en Europe. mais selon un quotidien allemand, il serait injuste d'incriminer seulement l'égoïsme des Européens. Les Africains doivent se prendre en main. Sous le titre "la maladie africaine", le Handelsblatt écrit, en référence à l'Erythrée précisément, que l'Union africaine ne fait pratiquement rien pour débarrasser le continent de ses nombreux despotes. Le journal propose aussi diverses pistes pour promouvoir le développement de l'Afrique et donc freiner l'émigration: tout d'abord stopper la très forte croissance démographique qui anéantit le moindre progrès. Mais par crainte d'être accusés de racisme le occidentaux préfèrent se taire plutôt que d'appeler les choses par leur nom. Le Handelsblatt, un journal économique, plaide aussi pour une réduction de la dépendance de l'Afrique vis-à-vis de l'aide au développement qui corrompt les élites et paralyse le continent depuis des décennies. Il faut promouvoir, non pas l'aide, mais le commerce avec l'Afrique, ce qui implique d'abolir les barrières commerciales. Plus important encore, les Africains doivent enfin commercer entre eux, plutôt que de continuer à exporter, comme à l'époque coloniale, une seule matière première non transformée.

Rebelles du M23 près de Goma en novembre 2012
Rebelles du M23 près de Goma en novembre 2012Image : picture-alliance/dpa

Ne pas isoler le Rwanda

Enfin la presse allemande ne peut s'empêcher de regarder aussi vers la région des Grands Lacs. Cette semaine c'est à cause de la décision des Etats Unis de suspendre leur aide militaire au Rwanda. Ils n'avaient pas le choix , souligne die tageszeitung. Il y a de nouvelles preuves selon lesquelles des enfants rwandais sont recrutés par la rébellion du M23 pour combattre en RDC. Les Etats Unis sont juridiquement contraints de cesser toute forme d'aide aux armées qui recrutent des combattants de moins de 18 ans. Sur leur liste noire de cette année figurent aussi des pays comme la Syrie, Myanmar, le Tchad, le Yémen et le Soudan du sud. Jusqu'à présent Kagamé passait pour l'un des plus proches alliés de Washington. Il est mis à présent sur le même plan que Bachar al-Assad. La décision américaine poursuit le journal, est avant tout symbolique - la somme en jeu n'est que de 500 000 dollars. Elle n'en est pas moins importante. Elle est un avertissement clair à l'adresse de Paul Kagame: il doit définitivement cesser de soutenir le M23 et le contraindre à désarmer. Mais ajoute le journal, il est quand même dangereux d'isoler politiquement le Rwanda. La dernière fois, cela s'est traduit par des millions de morts. Pour empêcher cet isolement Kagame doit rompre avec le M23. Mais rien ne dit qu'il le fera.