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Les pays riches accueillent moins de réfugiés que les autres

Jean-Michel Bos
13 mars 2020

Contrairement au mythe d'une "invasion" de l'Europe, les populations qui fuient les conflits restent le plus souvent en Afrique ou au Moyen-Orient.

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Malawi Mwanza Flüchtlings Camp
Image : picture-alliance/dpa/E. Waga

Plus d'un million de réfugiés sont arrivés en Grèce entre 2015 et 2016. Un mouvement de population qui a provoqué un séisme politique en Europe : les Etats membres se sont divisés sur la prise en charge de ces populations, les pays d'Europe centrale et orientale refusant un plan de relocalisation obligatoire décidé par Bruxelles.

Cette crise migratoire s'est soldée par une crise politique avec le succès électoral des partis d'extrême droite anti-migration comme l'AfD en Allemagne.

La crise avait été désamorcée par un accord conclu en mars 2016 avec la Turquie. Cet accord prévoyait le renvoi systématique de tous les migrants arrivés en Grèce vers la Turquie, y compris les demandeurs d'asile.

C'est cet accord que le président turc Recep Tayyip Erdogan remet en cause aujourd'hui au motif que l'Union européenne n'aurait pas tenu ses promesses, à savoir notamment le versement de six milliards d'euros pour financer l'accueil et la prise en charge des réfugiés sur le territoire turc.

Mécontent, Recep Tayyip Erdogan a donc ouvert ses frontières avec la Grèce et incité les réfugiés à reprendre la route de l'Europe. Des témoignages évoquent des transports par l'armée turque de réfugiés depuis Istanbul jusqu'à la frontière terrestre avec la Grèce.

Spectre de 2015

Désormais, les gouvernements européens sont terrorisés à l'idée d'affronter une crise des réfugiés similaire à celle de 2015. Le "chantage" de la Turquie a fait resurgir de vieilles peurs et des crispations identitaires.

Pourtant, l'Europe est loin d'accueillir "toute la misère du monde", selon la formule prononcée en 1989 par l'ancien Premier ministre français Michel Rocard.

Selon le Haut-commissariat aux réfugiés (HCR), la Grèce accueille 137.757 réfugiés et demandeurs d'asile.

L'ouverture des frontières par la Turquie a provoqué un afflux d'environ 10.000 personnes vite découragées par les violences de la police grècque. Cette actualité a fait la Une de tous les journaux européens avant d'en être chassée par l'épidémie de coronavirus.

Le Burkina Faso, pays de 20 millions d'habitants, doit gérer pour sa part une situation d'urgence avec près de 800.000 déplacés internes qui fuient les régions du nord soumises à des attaques djihadistes, auxquels s'ajoutent environ 30.000 réfugiés maliens et nigériens.

Mais très peu de médias parlent de cette situation.

L'Afrique accueille plus de réfugiés que l'Europe

Pour élargir la perspective, il est bon de constater que sur les 20,4 millions de réfugiés recensés dans le monde par le HCR, le continent africain en accueille près d'un tiers (31,5%), la Turquie 18% et l'Europe seulement 13,7%.

Réfugiés par régions du monde
Réfugiés par régions du monde

Pourquoi cela ? Pour deux raisons essentielles. Premièrement, les réfugiés rechignent à partir loin de chez eux et trouvent asile le plus souvent dans un Etat voisin – comme les Congolais en Ouganda, les Nigérians au Cameroun ou les Soudanais au Tchad.

Ils espèrent en effet rentrer un jour chez eux et pour cela, s'efforcent de s'éloigner le moins possible de leur région d'origine, de leur famille ou de leurs biens.

La seconde raison tient au fait que la plupart d'entre eux n'ont pas les ressources financières pour faire le voyage vers l'Europe.

Ceux qui parviennent jusqu'en Grèce ou en Italie sont – même si l'usage de ce terme est paradoxal et ne doit pas faire oublier le drame des migrants – des "privilégiés" qui ont pu réunir les fonds pour financer leur voyage et payer les passeurs.

Voilà pourquoi la plupart des réfugiés restent sur le continent africain.

Une analyse par pays permet ensuite de confirmer cette tendance.

En effet, une comparaison entre le nombre de réfugiés accueillis dans les principaux pays de destination, et la richesse par habitant dans ces mêmes pays, montre que les pays pauvres ou en développement supportent une charge supérieure à celle des pays riches.

Nombre de réfugiés comparé à la richesse par habitant des pays d'accueil
Nombre de réfugiés comparé à la richesse par habitant des pays d'accueil

Trois pays africains (Ouganda, Soudan et Ethiopie) apparaissent ainsi dans les dix premiers en termes d'accueil de réfugiés, tandis qu'on dénombre un seul pays européen : l'Allemagne.

Si on élargit la liste, on dénombre alors des pays comme la RDC et le Tchad qui, à l'instar de l'Ouganda et du Soudan, font partie des pays les moins avancés du monde selon les critères de l'Onu.

Or, ces quatre pays pris individuellement accueillent plus de réfugiés que la France ou les Etats-Unis qui disposent de revenus par habitant 20 à 30 fois supérieurs.

Les petits pays en première ligne

Enfin, une analyse reposant sur le nombre de réfugiés mis en rapport de la population démontre que des pays relativement peu peuplés comme le Liban, la Jordanie ou le Tchad supportent un effort presque impossible en termes d'accueil de réfugiés.

Si le Liban et la Jordanie accueillent surtout des Syriens, le Tchad et l'Ouganda donnent refuge principalement aux Soudanais, Soudanais du Sud, Centrafricains et Congolais.

Nombre de réfugiés en rapport de la population du pays d'accueil
Nombre de réfugiés en rapport de la population du pays d'accueil

Le constat est donc celui de populations civiles fuyant des conflits ou des persécutions et qui se contentent de franchir la frontière du pays voisin pour trouver la sécurité et le début d'une nouvelle vie.

Le mythe de l'invasion brandi comme une menace par les partis d'extrême droite en Europe ne correspond à aucune réalité statistique.

Les seuls qui pourraient s'en plaindre sont les habitants de pays qui comptent parmi les plus pauvres de la planète. Mais sur place, les autorités n'érigent pas des barbelés comme en Grèce ou en Hongrie.

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Jean-Michel Bos Journaliste au programme francophone de la DW.JMBos