La saga d'un enfant-soldat
20 janvier 2011« Allah n'est pas obligé » est un véritable livre coup de poing, non seulement par la violence des évènements qui sont racontés mais aussi par l'intensité du style et la critique de l'auteur Ahmadou Kourouma sur les acteurs de cette époque. Mais commençons par l'histoire. Birahima est un petit Ivoirien de douze ans qui, à la mort de sa mère, essaye de rejoindre une tante au Libéria accompagné d'un certain Yacouba, « marabout, féticheur et multiplicateur de billet ».
Road movie en enfer
A peine nos deux héros mettent-ils le pied au Libéria qu'ils sont dépouillés par des enfants-soldats armés de mitraillettes et emmenés dans un camp que nous décrit Birahima: « Le camp était limité par des crânes humains hissés sur des pieux et gardé par des enfants soldats. »
Le ton est donné. Ce premier camp, celui de Papa le Bon, sera suivi par d'autres. Biharima, kalachnikoff en bandoulière, devient lui aussi enfant-soldat. Et le lecteur, un peu malmené, découvre les horreurs de la guerre civile du Libéria et de Sierra Leone à travers son regard à la fois innocent et souvent plein d'humour. Alors qui sont ces enfants-soldats ? Birahima nous explique: « Quand on n'a pas de famille, et qu'on a rien, le mieux est de devenir un enfant-soldat. Les enfants-soldats c'est pour ceux qui n'ont plus rien à foutre sur terre et dans le ciel d'Allah. »
Seul sur terre
Allah est invoqué presque à chaque page de cet ouvrage, et notamment dans ce titre étrange « Allah n'est pas obligé ». En fait, il s'agit d'une phrase employée pour la première fois lorsque Biharima parle de sa mère, victime d’une excision mal faite qui a tourné à la gangrène par manque de soin. Elle se traîne par terre avec une infection purulente. Alors pour éteindre son mauvais destin, on fait des sacrifices à Allah et aux mânes des ancêtres. Mais comme rien ne se produit, Birahima en conclut : « Allah fait ce qu’il veut : il n’est pas obligé d’accéder – ça veut dire donner son accord – à toutes les prières des pauvres humains. » Une constatation que Birahima fait à plusieurs reprises et qui revient comme un leitmotiv ponctuer ce récit.
Un "guerrier" de la langue
On ne présente plus Ahmadou Kourouma, auteur entre autres du fameux « Soleil des Indépendances ». Cet Ivoirien de nationalité et de cœur a été condamné à l'exil par l'ancien président Félix Houphouet-Boigny. Son nom signifie « guerrier », paraît-il, en malinké. Et c'est bien un guerrier de la langue qui, armé comme son héros le petit Birahima, du « dictionnaire des particularités du français d'Afrique », adapte le français à sa langue maternelle, le malinké, et au rythme africain.
Auteur : Elisabeth Cadot
Edition : Anne Le Touzé