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"Cessons de chercher l'approbation à l'extérieur" (S. Masra)

Julien Adayé
20 octobre 2021

Interview avec Succès Masra, leader du parti d'opposition au Tchad, "Les Transformateurs", sur le panafricanisme.

https://p.dw.com/p/41s62

Notre invité de la semaine est l'homme politique tchadien Succès Masra. Il a participé, à Abidjan, au congrès fondateur du nouveau parti de Laurent Gbagbo. Le président du mouvement "Les Transformateurs" s'exprime ici au micro de Julien Adayé sur le panafricanisme dont il se revendique et, selon lui, demande plus des actes que des paroles.


Tschad | Succès Masra Politiker
Image : Julien Adayé/DW

DW : Succès Masra bonjour. Vous êtes le président du parti Les Transformateurs au Tchad, vous êtes à Abidjan pour le lancement du parti de l'ancien président ivoirien Laurent Gbagbo, qui parle du panafricanisme. Quel sens le panafricanisme a aujourd'hui sur le continent, selon vous?

Il y avait déjà eu Kwame Nkrumah, Thomas Sankara, John Rawlings qui faisaient partie des panafricanistes. Le panafricanisme vaut aujourd'hui pour les peuples africains, c'est le leadership serviteur. Vous voyez le planteur ivoirien qui cultive le cacao dans un village, la question qu'il se pose est quel type de leader il a au sommet? Le panafricanisme, c'est le leadership serviteur. Il doit transmettre ce qu'ils ont de meilleur aux nouvelles générations qui vont porter le combat du panafricanisme du 21ème siècle en étant des serviteurs. C'est d'abord ça l'enjeu majeur.

Aujourd'hui, vous prenez l'Afrique francophone, l'Afrique arabophone, l'Afrique lusophone. Vous mélangez tout ça. Nous sommes plus d'un milliard et demi aujourd'hui. Bientôt, une personne sur quatre à travers le monde sera un Africain. Mais quand vous réunissez toutes ces Afrique ensemble, nous ne représentons que deux pour cent du commerce et de l'économie mondiale, malgré les ressources que nous avons. Le problème, est-ce que c'est la monnaie, est-ce que ce sont les organisations? Ou la langue?

Mon intime conviction, c'est que le problème c'est le manque de leaders serviteurs. C'est ça, ma conception du panafricanisme du 21ème siècle.

>>> A lire aussi : Le panafricanisme, un concept qui mobilise

DW : Est-ce que pour vous, Kadhafi était un panafricaniste?

Il avait cet art. Le panafricanisme n'appartient pas à une seule catégorie de personnes. Il avait envie de faire un certain nombre de choses.

Mais je crois que l'un des défis majeurs auxquels le président Kadhafi à l'époque faisait face était le défi de la cohérence. Parce que je crois aussi que l'Afrique a besoin d'avoir des dirigeants capables d'être choisis et qui sont capables aussi de savoir partir.

L'un des drames de notre continent, c'est de vouloir indexer l'avenir de notre continent sur des individus et sur des personnes.

Lorsqu'on a échoué à partir, en réalité, on a en grande partie échoué à faire des choses qui sont des choses durables et soutenables.

Si vous, à un moment donné, à près de 20 ans, 30 ans, 40 ans, vous ne réussissez pas à faire émerger des successeurs. Vous avez échoué.

 

DW : Est-ce que vous voulez dire par là que la conception de Kadhafi sur le panafricanisme était du leur, du bluff parce qu'il n'a pas su partir? N'est pas qu'on voit un peu aujourd'hui en Afrique, en Guinée et en Côte d'Ivoire, au Mali et ailleurs ?

Je vais parler de Kadhafi, mais aussi, par exemple, du Tchad. L'un des messages forts que j'ai voulu rappeler au président Déby, c'était le piège d'un homme qui est un homme avec tous les pouvoirs. Vers la fin de sa vie, il est devenu le maréchal que les gens connaissent tout en étant président, tout en étant Premier ministre, tout en étant ministre des Affaires étrangères. Lui aussi il affichait en tout cas, dans le verbe des élans, panafricanistes. Mais il a pas préparé même le Tchad à être un pays uni.

Aujourd'hui, l'un des défis du Tchad, c'est la construction de la nation tchadienne. Peut-on être un grand panafricaniste lorsqu'on n'a pas réussi à unir même son peuple?

Donc, il y a eu en Afrique beaucoup de gens qui ont affiché un panafricanisme, mais qui n'avaient pas porté vraiment ce panafricanisme là au fond d'eux-mêmes.

 

DW : Le panafricanisme nouveau aujourd'hui au 21ème siècle, c'est qui donc?

Ce sont les peuples africains eux-mêmes? Parce que il faut que ces peuples africains fassent émerger des serviteurs numéro 1 puis 2. Mais c'est des serviteurs dont nous avons besoin.

 

DW :  Comment expliquer de votre présence à Abidjan en vue? Qu'est-ce que vous aviez à l'esprit?

C'était un message d'abord aux peuples africains et notamment aux nouvelles générations. Donc, venez avec l'esprit de Toumaï pour porter un message totalement panafricain, pour demander aux nouvelles générations, notamment, de ne pas se laisser emprisonner dans certains reflexes d'hier qui nous ont enfermés dans la lusophonie, l'anglophonie, l'arabophonie, la francophonie, etc., qui nous ont enfermés dans l'Internationale libérale, l'Internationale socialiste, etc., qui nous ont enfermés dans des découpages géographiques qui nous ont enfermés aussi à chercher une sorte d'approbation ailleurs, notamment dans les pays occidentaux.

Si on continue à vouloir chercher plutôt l'approbation ailleurs que l'approbation en nous-mêmes, alors nous ne nous en sortirons jamais. Nous serons comme des girouettes qui vont évoluer en fonction de la direction du vent.

Et donc, c'est pour ça que mon message a été un message qui s'adressait non pas seulement au président Gbagbo, qui a fait des choses intéressantes, mais qui doit avoir aussi l'humilité de reconnaître qu'il n'a pas peut être pas fait un certain nombre de choses. Et ensuite, les autres leaders à qui je dis que celui qui n'a jamais péché jette la première pierre.

C'est une manière de les appeler aussi à cette humilité, mais surtout de les appeler à se poser la question : qu'est-ce qu'ils veulent laisser aux générations ivoiriennes d'aujourd'hui? Mais aussi, je demande aux nouvelles générations de ne pas attendre. Face de la place, il faut aussi se frayer ce chemin.