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Comment des passeurs ont brisé une famille iranienne

Marion MacGregor
27 février 2020

Selma et son mari ont fui l'Iran. Ils ont été séparés en route avant de se retrouver en Allemagne… dans deux villes différentes.

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Les "centres d'ancrage" sont très critiqués pour offrir peu de contact avec le monde extérieur à ses résidents.
Les "centres d'ancrage" sont très critiqués pour offrir peu de contact avec le monde extérieur à ses résidents.Image : picture-alliance/dpa/S. Puchner

"Tout ce que souhaite ma mère est d'être avec son mari. En Iran, nous faisions tout ensemble, mais ici notre père n'est pas là. On voudrait qu'il puisse être assis à notre table pour qu'on puisse se parler et être ensemble."

A seulement 14 ans, Mala* se présente confiante et pleine de maturité. Pendant notre interview, elle fait les traductions pour sa mère Selma*, qui ne parle pas l'anglais. Pendant que les deux discutent, Nelson, le petit frère de Mala, fait des allées et venues dans la pièce. Il a deux ans.

Dans la chambre que les deux enfants partagent avec leur mère se trouvent trois lits simples serrés les uns contre les autres, une petite table, trois chaises et un placard. Une odeur de cuisine se dégage de la plaque électrique installée sans autorisation dans un coin de la pièce. Les coordinateurs du centre d'accueil de migrants de Bamberg en Bavière feignent de ne pas être au courant.

Le logement est pour le moins spartiate. Selma et ses enfants partagent un appartement avec d'autres familles. Chacun dispose de sa propre chambre. Dans la pièce commune censée faire office de salon, il n'y a ni canapé, ni table, ni cuisine. Alors chacun passe son temps dans sa chambre.

Dans celle de Selma, un carnet d'exercices d'allemand est posé ouvert sur la table. Elle doit apprendre la langue elle-même, alors que sa fille a la possibilité d'assister à des cours avec un professeur.

Une chambre dans un centre d'ancrage sert de chambre à coucher, de cuisine et de séjour.
Une chambre dans un centre d'ancrage sert de chambre à coucher, de cuisine et de séjour. Image : picture-alliance/dpa/S. Puchner

Selma, Mala et Nelson vivent en Allemagne depuis bientôt trois mois. Les Iraniens représentent la majorité des migrants dans ce centre dit "d'ancrage", un centre à guichet unique pour les demandeurs d'asile.

La famille a fui l'Iran il y a plus d'un an. A ce moment-là, ils étaient encore quatre, avec le mari de Selma. Quand la précédente femme de ce dernier apprit qu'il attendait un enfant avec une autre femme, Selma s'est retrouvée menacée de mort.

C'est ainsi qu'ils ont décidé de quitter le pays à l'abri des regards. S'ils avaient fait une demande de passeports pour sortir de l'Iran, on les aurait pourchassés, explique Mala. "Pour cette raison, nous avons marché." La famille finit par atteindre à pied la frontière entre la Turquie et la Grèce. Il ne reste alors plus qu'à franchir le fleuve Evros, pour atteindre l'Europe. C'est là que des passeurs peu scrupuleux profitent de leur situation.

"La première rivière a été facile à traverser, mais la deuxième était beaucoup plus difficile. Les passeurs nous ont dit que les hommes devaient monter dans un bateau, et les femmes dans un autre bateau. C'est ce qu'on a fait, mais en arrivant, je ne pouvais plus voir mon père."

Des économies parties en fumée

Selon Mala, les passeurs étaient albanais. "Ils ont dit à ma mère qu'on allait retrouver mon père dans deux jours pour ensuite partir ensemble en Allemagne. Mais cela n'a pas été le cas. Au lieu de cela, on est restés pendant un an en Grèce, pendant que mon père se trouvait en fait déjà ici. Et vous savez quoi ? Les passeurs ont raconté à mon père que ma mère, mon frère et moi étions aussi en Allemagne."

Mala explique que son père avait dû donner toutes leurs économies au groupe d'Albanais, soit 30.000 euros, dont 8.000 pour le passage vers la Grèce. "Ils avaient compris que mon père était celui qui avait tout l'argent sur lui. C'est pour cela qu'il a dû prendre un bateau et nous un autre. Ils voulaient lui prendre son argent."

"On ne savait pas quoi faire, on n'avait plus un seul cent sur nous. C'était très compliqué. Nous avons dormi dehors dans un petit parc devant une église. Puis un homme iranien est arrivé et nous a dit que nous pouvions aller dans le camp de Malakasa et qu'on nous laisserait éventuellement rester là-bas. C'est ce que nous avons fait. Ils nous ont d'abord refusé l'entrée, mais après leur avoir expliqué que nous n'avions aucun autre endroit où aller, ils ont fini par nous laisser dormir dans un conteneur. On a eu beaucoup de problèmes en Grèce."

Mala poursuit : "Nous sommes restés un an en Grèce avec tous ces problèmes, pendant que ma mère essayait de nous faire passer en Allemagne avec des trafiquants, d'abord moi, puis elle-même, et enfin mon frère."

Des patrouilles surveillent la rivière-frontière d'Evros
Des patrouilles surveillent la rivière-frontière d'Evros

"Je trouve que le système est mal fait."

Mala et son frère sont ainsi arrivés à Erfurt, dans le centre de l'Allemagne, à l'automne dernier. L'adolescente explique qu'ils ont été enregistrés par les autorités avant d'être dirigés vers un centre d'accueil à Donauwörth, dans le sud, à seulement 50 kilomètres de la ville d'Augsbourg, où se trouve leur père.

Puis, par un concours de circonstances défavorables, les autorités ont décidé de les transférer à Bamberg, soit quatre fois plus loin d'Augsbourg.

"On aime être ici mais le problème est que nous ne sommes pas ensemble. Mon père à 53 ans. La dernière fois qu'il a pris Nelson dans ses bras mon frère avait cinq mois. Il ne l'a pas encore vu marcher. Il n'a rien vu de tout cela. Je trouve que le système est mal fait."

Mala explique qu'ils peuvent rendre visite à son père, "mais nous n'avons aucun endroit pour rester là-bas. Ils ne nous laissent pas dormir dans le logement de mon père. Alors il vient les dimanches."

La situation n'a pas évolué depuis près de trois mois. Pendant ce temps, le mari de Selma a vu sa demande d'asile rejetée, alors qu'elle-même pense avoir de bonnes chances de pouvoir rester en Allemagne. Elle raconte à quel point la vie est difficile en Iran, où les femmes n'ont que très peu de droits. Son premier mari était violent, dit-elle en montrant une cicatrice sur sa main. Mala était également victimes d'Abus.

"Nous ne voulons rien de plus de l'Allemagne que de pouvoir rester ici, dit Mala. Nous ne voulons pas retourner en Iran. Nous voulons simplement vivre ici, travailler et étudier et avoir une vie normale, si les autorités nous laissent cette chance."

*Les noms ont été changés

Infomigrants a rencontré Selma and Mala dans leur chambre dans le centre d'ancrage de Bamberg.

Traduction et adaptation : Marco Wolter