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HistoireBurkina Faso

"Nous voulons que l'âme de Thomas Sankara repose en paix"

Bob Barry8 février 2023

Interview avec Mariam Sankara, veuve de Thomas Sankara. La famille de l'ancien président burkinabè assassiné conteste le lieu choisi par les autorités pour réinhumer Thomas Sankara.

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La veuve de Thomas Sankara n’est pas d'accord avec le lieu choisi par les autorités militaires de transition pour l'inhumation des restes de l'ancien président burkinabè.

Pour la famille, le Conseil de l’entente, où Thomas Sankara et douze de ses compagnons ont été assassinés, le 15 octobre 1987, ne peut pas abriter les restes de Thomas Sankara. Elle dénonce le fait que ce lieu leur a été imposé par les autorités.

Ecoutez ci-dessus la réaction de Mariam Sankara, l'épouse de Thomas Sankara qui est notre invitée de la semaine

DW : Madame Sankara, que pensez-vous de l'initiative de réinhumation des restes de votre époux telle que proposée par les autorités de transition au Burkina Faso ?

Mariam Sankara : Nous ne sommes pas d'accord sur le lieu parce que pour nous, le lieu est trop chargé d'émotion. C'est le lieu où [Thomas Sankara et ses compagnons] ont été assassinés [en 1987], où il y a eu d’autres assassinats. Et nous leur avons dit que cet endroit chargé d'émotion devait être préservé pour l’histoire.

DW : Avez-vous échangé avec les autorités de transition sur cette question directement ?

Mariam Sankara : Un colonel a été mandaté pour l’organisation des obsèques. Le colonel a contacté les familles et il nous proposait le cimetière de Gounghin [à Ouagadougou], le cimetière militaire. Nous lui avons dit que le cimetière de Gounghin n'est pas approprié parce que là où seront inhumés le président Sankara et ses compagnons, ce sera un endroit qui sera visité. Beaucoup de personnes viendront leur rendre hommage dans un cimetière, ce n’est pas possible.

Les familles ont été conviées à une réunion par le président Traoré le 28 décembre. A l'issue de cette rencontre, il a dit qu'il veut procéder aux inhumations le 10 ou le 12 janvier. Il a demandé aux familles de se concerter et lui communiquer le lieu des inhumations de leur choix. Ainsi, nous avons déposé une lettre à la Présidence avec ampliation au directeur de la justice militaire et au colonel chargé des inhumations disant que notre choix portait sur le Monument des martyrs. A notre grande surprise, cette lettre a été diffusée dans la presse écrite. Et puis elle a été publiée sur les réseaux sociaux, ne savons pas par qui.

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DW : Pensez-vous que cela ait été fait sciemment et pourquoi ?

Mariam Sankara : Nous ne savons pas. Et donc, à partir de ce moment, nous entendions des rumeurs. Le 16 janvier, le président Traoré a donné suite à notre lettre en demandant au colonel en charge de l'organisation des obsèques en collaboration avec le directeur de la justice militaire et des familles, de procéder aux obsèques dans un mois à partir de la réception de la lettre.

Et aussi que le colonel prenne attache avec les représentants de la commune de Ouagadougou et des coutumiers pour étudier la faisabilité de ces inhumations au Monument des martyrs. Mais quand le colonel a reçu les familles des victimes, il a dit que c'est le Conseil de l'entente qui est approprié et que les inhumations ne peuvent pas se faire au Monument des martyrs - parce que le plan du Mémorial a prévu la place de l'inhumation au Conseil de l'entente.

DW : Et vous, vous n'acceptez pas cette décision? 

Mariam Sankara : Oui, nous on dit que non, on avait dit qu'on ne voulait pas que cela soit au Memorial. Thomas est né dans une famille, a grandi dans une famille, a une épouse, des enfants. Ces personnes sont sentimentalement liés à Thomas. Depuis le 15 octobre 1987, nous sommes impactés par ce qui s'est passé. Donc nous restons sensibles à tout ce qui le concerne.

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Nous avons dit que nous ne voulons pas que son âme soit enfermée dans ce lieu où il a été assassiné, où on a on a assassiné d’autres personnes, où des gens ont été torturés, ceux qui aujourd'hui défendent l’idée du Mémorial, ce sont des personnes qui n'étaient pas nées [à l’époque].

DW : Vous voulez dire qu'il y a un conflit d'intérêts autour des restes de votre époux et de ses compagnons assassinés ?

Mariam Sankara : Moi, je ne sais pas quel est l'intérêt. Nous, nous voulons qu'il repose en paix. Nous voulons qu'il soit quelque part où son âme repose en paix. Et nous, nous pouvons faire notre deuil, pourvu que ce ne soit pas au Conseil de l'Entente. C'est ce que nous avons dit.

DW : Pensez-vous que le capitaine Traoré vous écoute ? Veut-il vous rencontrer pour savoir ce que vous voulez exactement, vous ?

Mariam Sankara : Je ne sais pas mais j'ai tenté de lui parler au téléphone. Il a désigné une personne pour m'écouter. Alors j'ai dit ce que je pensais, mais lui-même, je n'ai pas pu lui parler.

DW : N'avez-vous pas le sentiment d'être abandonnée ?

Mariam Sankara : Ben oui, pour ces inhumations, nous avons l'impression qu’il ne nous appartient pas. Mais quand même, avant d'être président, Thomas Sankara est issu d'une famille et cette famille ne peut pas rester à l'écart.

DW : Que pensez-vous de la junte militaire au pouvoir aujourd'hui au Burkina ?

Mariam Sankara : Ceux qui sont là, ils travaillent pour que la sécurité revienne. C'est une approche politique que je soutiens. Je vois qu’ils sont en train de tout faire pour que la sécurité revienne dans le pays et ils essaient de reconstruire le pays ; ça c'est une très bonne chose.