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Un historien malien revient sur les racines du conflit

Yousra Hallak22 septembre 2016

Konaté Doulaye, historien et professeur d'Université à Bamako, explique que les problèmes qui perdurent au Mali découlent de la gestion faite de la rébellion de 1963. Ou quand le passé éclaire le présent. Interview.

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le Mali fête ses 56 ans d'indépendance
Image : picture-alliance/MAXPPP

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DW: Est-ce que les rébellions actuelles prennent leurs racines dans la période de l'indépendance du Mali ?

Konaté Doulaye: Oui, la première rébellion touareg est datée de 1963, trois ans après l’indépendance du Mali, qui date du 22 septembre 1960. Et la première difficulté de ce côté, c’est en 1963.

Je pense que lorsqu’on parle avec les gens qui travaillent sur cette question-là, on s’aperçoit que la gestion de cette première rébellion a aussi eu des conséquences, très lointaines, mais certaines sur ce qui s’est passé après. C'est-à-dire très clairement, que certains analystes considèrent que la façon dont cette rébellion a été gérée a créé des frustrations, des rancœurs, des rancunes même.

Vous savez, les mémoires douloureuses, ça se transmet. Les enfants des acteurs n’ont peut être pas connu les événements, mais bon, la mémoire fait le reste. Effectivement cette dimension mémorielle est extrêmement importante.

Il faut voir le contexte; nous sommes des historiens et le pouvoir de l’époque avait considéré que cette rébellion n’était pas quelque chose d’autonome et que c’était aussi une question de politique extérieure. Je rappelle que le Mali est voisin d’un grand pays, qui est l’Algérie. La lutte pour l’indépendance en Algérie est bien connue. Le Mali a servi non seulement de zone de repli pour les combattants algériens mais la position du Mali était très claire dans ce conflit-là. On peut parfaitement comprendre que les dirigeants de la dernière République ont vu quelques influences sur cette rébellion de 1963. Je pense que cela a beaucoup compté sur la manière dont elle a été gérée. C'est-à-dire elle a été gérée de manière assez sécuritaire et cela a eu des effets à long terme.

DW : Pourquoi, depuis l’indépendance, les rebelles touaregs s’opposent-il au pouvoir central de Bamako ?

KD : C’est compliqué, je pense à un président français qui disait : "La France n’est pas responsable des problèmes des Africains". C’est un peu vite dit!

Pour aller vite, il faut voir que ce pays n’a pas été géré par l’administration partout de la même façon. Les zones nomades, n’ont pas été gérées exactement de la même manière que les zones sédentaires. C’est ce que nous appelons dans notre jargon une gestion différenciée. Le résultat, c’est que cela a créé une différence de mentalités au nord et au sud. Je n’aime pas bien cette division nord-sud mais cela permet de comprendre.

Quand je parle de sud, je pense surtout aux sédentaires, mais même dans le nord, les sédentaires n’ont pas été gérés par l’administration française de la même façon que les touaregs. Je m’explique: l’administration française a eu une espèce de "direct rule" [ndlr: gestion directe]. C’est-à-dire qu’ils se sont appuyés sur les chefferies locales, ont laissé le système fonctionner à l’interne sans remplacer les chefs qu’ils ont trouvé là, et je crois qu’en zone nomade, ça été a peu près, alors qu’en zone sédentaire, les Français ont procédé a des nominations de chefs de canton et ces chefs de canton n’étaient que des auxiliaires. Donc vous voyez cela crée déjà des déséquilibres au niveau d’un même pays. Donc lorsqu’on a voulu soumettre tout le monde aux mêmes lois, vous comprenez que cela a provoqué un certain nombre de difficultés.

La scolarisation était très faible en pays touareg parce qu’ils avaient des réticences. En zone sédentaire, les réticences existaient mais la colonisation a souvent utilisé la méthode forte pour contraindre les sédentaires à aller à l’école. Donc, au moment de l’indépendance, il y avait aussi ces clivages et tout ça a crée des sentiments de frustration et le sentiment que l’on n’est pas suffisamment intégré au cadre national.

Du moins, ça été notre première compréhension des rébellions, que c’était un problème d’intégration. Mais aujourd’hui les choses sont beaucoup plus compliquées, on va au-delà de la question d’intégration, et aujourd’hui, on est dans des questions qui touchent à la mondialisation.

Deuxième chose qui me parait importante et je ne suis pas de ceux qui veulent tout renvoyer à la colonisation, ce n’est pas vrai, nous avons eu nos propres responsabilités dans ce qui s’est passé.

Il y a des questions qui méritaient peut-être, d’être traitées de façon plus politique mais qui ont été traitées de façon sécuritaire, parce qu’il y avait le soupçon chez les autorités maliennes de l’époque que ces rébellions étaient quelque chose de manipulé de l’extérieur. Parce qu’il faut bien comprendre que ce sont souvent les enfants de ceux qui ont été réprimés qui sont revenus souvent de Lybie et de pays voisins, où leur parents s’étaient réfugiés et qui avaient la mémoire transmise de leurs parents… Les enfants l’ont intégrée et c’est pour ça que dans la crise malienne il y a cette question mémorielle qu’il faut prendre en considération, qui a été évoquée dans l’accord pour la paix qui a été signé à Alger, et dans lequel il y a cette notion de mémoire douloureuse qui s’est transmise de génération en génération.

DW : Et comment peut-on expliquer que ces nouvelles générations qui n’ont pas connu ces événements se sentent aussi blessés ?

KD : Le phénomène de mémoire est bien étudié. Vous voyez la Shoah, je prends un exemple d’un autre contexte, c’est un autre sujet mais vous savez les enfants de ceux qui ont connu les camps de concentration, ces enfants vivent avec cette mémoire-là et c’est normal, la mémoire se transmet. C’est clairement important, c’est pourquoi dans les conflits, ce sont des aspects qu’il faut absolument gérer parce que la réconciliation, c’est aussi d’apaiser ces mémoires-là.

Ce n’est pas simplement ce qui explique les rébellions ultérieures, ce n’est pas ce qu’on est en train de dire. Il y a beaucoup d’autres questions, qui sont d’ordre économique, de la mondialisation parce que les choses se sont compliquées. Parce que nous ne sommes pas seuls au monde, il y a aussi des questions géostratégiques. Cette région, sa position sur la carte du monde est une position qui explique qu’il y a beaucoup d’enjeux autour de ces territoires là. Donc tout cela donne un cocktail explosif.

DW : Est-ce qu’on peut dire aujourd’hui que les nordistes voudraient leur propre Etat ?

KD : Nordiste ce ne veut pas dire grand-chose ici.

Pour ceux qui veulent simplifier les choses en excès, ils raisonnent même en termes de race, ce qui est aberrant parce qu’au Mali on est très métissé. Je connais très peu de pays en Afrique qui sont aussi métissés que le Mali.

En gros au Nord vous avez les sédentaires, les négro-africains, vous avez les touaregs… vous avez beaucoup de communautés. Même à l’intérieur d’un même groupe, et c’est important pour comprendre ce qui se passe, il y a des différences. Même au sein du groupe touareg, tout les touaregs ne sont pas dans l’unanimisme. Il y a des contradictions. Les touaregs ne sont pas tous unis contre l’Etat malien, il y a entre eux des contradictions qui tiennent aux statuts et aux positions sociales. La société touareg est une société très stratifiée avec des hiérarchies et donc tout cela crée des tensions à l’intérieur même de la société touareg. Parler d’un Etat nordiste, la question ne se pose pas en ces termes. L’Azawad dont il a été question n’est pas un Etat nordiste, c’est un territoire purement géographique auquel on a voulu donner une signification politique.

DW : Est-ce qu’on peut dire que les Accords d’Alger signés il y a un an sont mis en application ?

KD : Je pense qu’il y a quand même beaucoup de difficultés dans l’application de l’accord. Il y a des choses qui ont été faites, c’est incontestable mais on savait dès le départ que cet accord ne serait pas un long fleuve tranquille.

Il faut beaucoup d’intelligence pour mettre cet accord-là en œuvre. C’est pourquoi on a parlé d’accord pour la paix. Je pense que les signataires de l’accord ont expliqué très clairement qu’il s’agissait d’un processus.

Nous n’avons pas dit, accord de paix, nous avons dit accord pour la paix. La nuance sémantique est importante. C’est un processus et manifestement ce processus connaît quelques ratés parce que tous les jours nous avons de nouvelles confrontations entre groupes et surtout, plus dangereux, il y a des dissidences il y a une démultiplication des groupes sur le terrain et tout ça tient aux enjeux économiques connus.

Des propos recueillis par Yousra Hallak.