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La face hideuse du racisme en Italie

31 août 2018

L’Italie est-elle confrontée à un problème croissant de racisme et de xénophobie ? C’est la question qui se pose après une série d'attaques présumées ou ouvertement racistes contre des minorités.

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Italien Protest gegen Rassismus in Neapel
Image : DW/Y. Gostoli

C’était au début du mois de juillet: un coup de feu rompt la quiétude d’une route provinciale bordée d’arbres dans la ville de Forli, au centre de l’Italie. Ceux qui ne l’ont pas entendu ont eu du mal à y croire. Celui qui a été le plus surpris a été Hugues Messou, un Ivoirien de 34 ans qui rentrait chez lui en vélo quand le coup de feu l’a touché à l’abdomen.

Hugues Messou habite dans cette ville depuis plus de 10 ans, mais, malgré les remarques racistes qu’on lui lance de temps en temps, il n’a jamais pensé que c’était un endroit dangereux ou hostile.

"La voiture s'est arrêtée quelques secondes avant moi", a-t-il raconté à la Deutsche Welle," mais je ne pouvais pas distinguer exactement qui était à l'intérieur. Il y avait au moins deux personnes, d'une trentaine d'années, peut-être plus âgées." Il a déposé un rapport au poste de police local le lendemain. Il y a des caméras de surveillance à environ 200 mètres du lieu de l'incident.

"C'était tard dans la nuit, et cela s'est produit deux fois en l'espace de deux jours ", explique Hugues Messou. "Ceux qui ont fait cela sont sortis de chez eux avec l'intention de tuer un Noir."

Entre-temps, le service de police local a répondu à la demande de la Deutsche Welle et a confirmé qu'une enquête sur l'affaire était en cours.

Deux jours avant la fusillade, une Nigériane avait été atteinte par une balle tirée d'un scooter dans une rue voisine, mais elle n’a pas signalé l'incident.

Hughes Messou
Hugues Messou explique qu’il ne s’est jamais senti menacé à ForliImage : DW/Y. Gostoli

"J’étais au bar du coin, et je parlais de ce qui m'est arrivé quand on m’a attaqué", affirme Hugues Messou. "S'ils utilisent des armes, c'est vraiment inquiétant."

Au cours des 50 derniers jours, au moins neuf personnes appartenant à des minorités ethniques ont été tuées ou blessées par balle dans toute l'Italie. Huit des attaques ont été menées avec des fusils à balles BB - des fusils à air comprimé dont les balles rondes et métalliques peuvent toutefois entraîner des blessures graves - et l’une avec des balles réelles. L'un des incidents concernait un enfant rom âgé d'un an qui a été abattu d'une balle dans le dos à Rome. Le tireur, un employé du gouvernement, a dit plus tard à la police qu'il avait tiré pour "tester l'arme à feu".

Un scénario bien connu

Le 11 juin, deux réfugiés maliens vivant dans un centre d'accueil près de Naples ont déclaré aux médias locaux qu'on leur avait tiré dessus : les tirs provenaient d’une voiture dont les occupants criaient des slogans à la gloire de Matteo Salvini, ministre italien de l'Intérieur et chef du parti d'extrême droite de la Ligue.

Un mois plus tard, à Latina, une ville au sud de Rome, deux Nigérians ont été touchés par des coups de feu de fusils à balles BB tirés d’une voiture. Les auteurs ont ensuite été identifiés et signalés à la police pour blessures corporelles avec circonstance aggravante de discrimination raciale.

Dans la même ville, fin juillet, un homme originaire du Cap Vert a été touché dans le dos par un coup de feu tiré depuis un balcon alors qu'il travaillait sur un échafaudage. Selon les médias locaux, le responsable a dit plus tard aux enquêteurs qu'il avait eu l'intention de tuer un pigeon.

Et à Naples au début du mois, un vendeur de rue sénégalais de 32 ans a été pris pour cible à trois reprises par deux personnes à bord d'un scooter, cette fois avec des balles réelles. Une des balles l'a touché et lui a fracturé la cuisse. Une autre fusillade a été signalée à Pistoia, en Toscane, où deux jeunes de 13 ans ont tiré à blanc sur un Gambien. Après avoir été identifiés par la police, ils ont prétendu que l'acte n'était qu'une farce et qu'il n'avait pas de motivations raciales ou politiques.

Italien Protest gegen Rassismus in Florenz
Le gouvernement populiste italien alimente-t-il les peurs à l’égard des étrangers ?Image : Reuters/A. Bianchi

Serge Diomande est membre du comité des citoyens du conseil municipal de Forlì et président d'Anolf, l'Association nationale au-delà des frontières. L'Ivoirien, qui vit en Italie depuis près de 10 ans et travaille comme gardien d’entrepôt, dit qu'il est difficile d'ignorer ce qui s'est passé.

"Jusqu'à ce que[les responsables] soient arrêtés, nous serons toujours dans le doute ", a-t-il dit à la Deutsche Welle. "Nous voulons savoir qui c’était et pourquoi ils ont fait cela. Cela ne s'est jamais produit ici avant. Forlì a toujours été une ville très ouverte", explique-t-il. "Les partis politiques ne devraient pas jouer avec la migration. C'est comme jouer avec la culture italienne."

Depuis son entrée en fonction le 1er juin, le gouvernement de coalition, qui comprend la Ligue de l'extrême droite et le Mouvement contestataire Cinq Étoiles, rejette les bateaux de sauvetage des migrants en Méditerranée. Matteo Salvini a également annoncé qu'il accélérerait les déportations des migrants illégaux.

Aux accusations selon lesquelles sa politique et sa rhétorique alimentent les craintes et légitiment la violence, le gouvernement a répondu en disant qu’il n’y avait pas de problème. Selon Matteo Salvini, le racisme est "une invention de la gauche".

Le journaliste Luigi Mastrodonato a cartographié plus de 30 attaques physiques contre des minorités à travers l'Italie depuis le début du mois de juin. Le Cronache di Ordinario Razzismo (Chroniques du racisme ordinaire), qui fait partie de l'ONG Lunaria, a publié plus tôt cette année un rapport qui a recensé 169 incidents discriminatoires au cours des trois premiers mois de l'année.

Les chiffres ne racontent qu'une partie de l'histoire.

Il n'y a pas de chiffres officiels de la police sur les crimes de haine en Italie. Les dernières données disponibles du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme de l'OSCE, qui recense les crimes motivés par la haine entre les pays participants, remontent à 2016, année où l'organisation a recensé 803 cas de crimes motivés par la haine signalés par la police. La majorité d'entre eux trouvent leurs racines dans le racisme ou la xénophobie.

Lorsque la police enquête sur des affaires, les antécédents racistes ne sont pas toujours reconnus, et ils sont souvent minimisés, en particulier lorsqu'il existe d'autres motifs possibles ou des motifs multiples. Un jour après les élections italiennes en mars, un vendeur de rue sénégalais, Idy Diene, a été tué à Florence par un homme qui, plus tard, a prétendu vouloir se suicider, mais qui, au lieu de cela, a retourné son arme sur une personne au hasard. La police a classé le meurtre comme étant basé sur des "motifs triviaux".

Lors du dernier incident en date survenu le 15 août, trois jeunes, dont deux mineurs, ont tiré des balles à partir d'une fenêtre à Aprilia, une ville au sud de Rome, et blessé un Camerounais au pied. Un accident qui survient alors qu'un Marocain a été tué dans la même ville lors d'une poursuite en voiture plus tôt ce mois-ci : trois hommes, qui ont dit plus tard qu'ils l'avaient pris pour un voleur, ont décidé de rendre justice eux-mêmes. Les circonstances de l'assassinat font l'objet d'une enquête. Les trois nient tout mobile racial.

"Au fil du temps, nous avons assisté à un processus de légitimation croissante de comportements qui, dans le meilleur des cas, sont hostiles et intolérants envers les minorités ", a déclaré Grazia Naletto, directrice de Lunaria, qui documente et sensibilise au racisme en Italie depuis 10 ans.

"Les reportages des dernières semaines sont préoccupants, peu importe le nombre, parce qu'il s'agit d'agressions physiques, parfois graves. Dans certains de ces cas, les autorités chargées de l'enquête n'ont pas reconnu l'élément racial. Il y a sans aucun doute un climat culturel, social et politique dans le pays qui tend à attiser certains comportements sociaux. Nous voyons ce climat devenir de plus en plus agressif", a-t-elle expliqué à la Deutsche Welle.

 

Cet article écrit par Ylenia Gostoli et traduit par Audrey Parmentier a été publié pour la première fois en anglais sur le site InfoMigrants le 17 août 2018:  http://www.infomigrants.net/en/post/11352/9-shootings-in-50-days-italy-s-ugly-face-of-racism