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Émission spéciale : où en est la restitution du patrimoine africain

27 décembre 2019

Du Sénégal au Bénin, en passant par le Kenya ou la Namibie, la restitution de biens culturels par les anciennes puissances coloniales s’accélère un peu partout sur le continent africain. Parallèlement, les musées européens commencent à repenser leur rapport à ces collections souvent obtenues dans des contextes de violence.

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À Kinshasa, Noël est arrivé avec un mois d’avance pour le président Tshisekedi : le 23 novembre, il a inauguré un musée flambant neuf qui abrite 400 œuvres et objets du patrimoine national. Une étape qui pourrait ouvrir la voie à la restitution des nombreuses pièces ethnographiques encore conservées en Belgique. 

Nouveau musée et appels à la restitution en RDC

Des danseurs, couverts d’immenses masques rouge et blanc, défilent au son des tambours devant un parterre d’officiels, pour conjurer la corruption, le pillage des ressources, ou encore l’enrichissement illicite… tant de maux dont souffre la République démocratique du Congo.

Le tout nouveau musée national de la RDC, offert par la coopération sud-coréenne
Le tout nouveau musée national de la RDC, offert par la coopération sud-coréenneImage : AFP

C’est la « procession de masques vers un exorcisme collectif » - un spectacle proposé par des artistes de l’Institut national des Arts à l’occasion de l’inauguration du Musée national de la RDC, le 23 novembre dernier à Kinshasa.

À la tête de cette procession, le metteur en scène Alexandre Mwambayi Kalengayi. Lors de la cérémonie d’inauguration, il interpelle le chef de l‘État Felix Tshisekedi sur la restitution de tous les objets du patrimoine national.

« Qu’ils nous restituent ces objets sacrés… Ces objets, Excellence, ne sont pas des œuvres d’art. Qu’ils soient en Hollande, en Belgique… qu’ils nous restituent nos objets parce que nous avons un lieu où les conserver désormais. »

Au moins deux tiers des objets du patrimoine congolais se trouve encore dans des collections privées ou des musées à l’étranger. Et alors que les appels se multiplient en RDC pour les rapatrier, le président Tshisekedi temporise. 

« Un jour, il faudra bien que ce patrimoine revienne, mais il faut le faire de manière organisée. Il faut reconnaître que les Belges nous ont aidés à le conserver donc on ne peut pas tout reprendre comme ça, il faut le faire de manière concertée. »

La République démocratique du Congo n’a pas encore présenté de demande officielle de restitution à l’État belge...

Le Bénin construit un musée pour accueillir ses œuvres restituées

Le Bénin, en revanche, devrait bientôt retrouver la propriété de 26 objets conservés au musée parisien du Quai Branly. 

Ces statues et autres trésors, dérobés à Abomey lors du pillage du palais des rois du Dahomey par les troupes coloniales françaises en 1892, sont réclamés de longue date par Porto-Novo. 

Après des années de refus, la France a donné son accord pour leur retour au Bénin. Un geste symbolique, juste après la remise du rapport Savoy-Sarr en novembre 2018 au président français.

Le rapport avait lui-même été commandé à la suite d'un discours remarqué d'Emmanuel Macron à Ouagadougou, un an plus tôt. Pour la première fois, un dirigeant français avait évoqué ouvertement la possibilité de restitutions du patrimoine africain en Afrique.

Quelques unes des statues du trésor royal d'Abomey
Quelques unes des statues du trésor royal d'AbomeyImage : picture-alliance/dpa/S. Glaubitz

Mais le Bénin a réclamé un délai pour pouvoir accueillir les œuvres dans de bonnes conditions. L’historienne de l’Art Bénédicte Savoy nous expliquait en septembre les raisons de cette hésitation.

« La République du Bénin réclamait depuis plusieurs années cette restitution et recevait des réponses négatives. Comme d’autres pays africains, elle avait renoncé à l’espoir que lorsqu’on demande une restitution, elle soit acceptée. Le fait qu’Emmanuel Macron l’ait acceptée a peut-être pris de court le Bénin qui a voulu d’abord construire un musée adéquat pour accueillir ces collections. Ce musée est en cours de construction, donc il se passe des choses et la restitution aura lieu quand le musée sera prêt. » 

La semaine dernière (16.12.2019), le dossier de la restitution s’est accéléré entre le Bénin et la France avec la visite à Cotonou du ministre français de la Culture. Franck Riester a annoncé le retour des œuvres en 2020 ou début 2021. 

La restitution se fera soit à travers une « remise » - c'est-à-dire un dépôt provisoire, soit directement par un transfert de propriété en bonne et due forme… si la loi française est votée d’ici là. 

Car si elle a ratifié la Convention Unesco de 1970 qui oblige les États signataires à restituer le patrimoine de leurs collections publiques acquis lors de pillages ou de trafics, la France doit encore modifier son code du patrimoine, dans lequel est inscrit le principe d’ina-liéna-bilité, afin de restituer leurs biens aux pays africains.

C’est aussi la raison pour laquelle le Sénégal n’est pas encore propriétaire du sabre d’El Hadj Oumar Saïdou Tall, qui figure en tête de la liste des recommandations du rapport Savoy-Sarr. 

Le sabre du fondateur de l'Empire Toucouleur "de retour" à Dakar

Le sabre d'Oumar Tall est désormais exposé au musée des Civilisations noires de Dakar
Le sabre d'Oumar Tall est désormais exposé au musée des Civilisations noires de DakarImage : AFP

Le dimanche 17 novembre à Dakar, des applaudissements et des prières ont accompagné la remise pour cinq ans de belle pièce, faite de divers métaux et bois, au président Macky Sall, lors d’une cérémonie célébrée en marge du Forum paix et sécurité. 

Le sabre, qui fait partie des collections du Musée de l'Armée à Paris, est exposé depuis un an déjà au Musée des Civilisations noires de la capitale sénégalaise. 

Le geste de la France a relancé le débat au Sénégal sur les enjeux de la restitution des objets du patrimoine culturel africain. Certains émettent des réserves sur l’authenticité du sabre d’Oumar Saïdou.

« Pour nous, El Hadj Oumar Saïdou n’avait pas de sabre. Il avait un bâton. C’est ce que nous avions appris à l’école », explique par exemple Lamine Dramé, issu d’une famille d’artistes.

Officiellement, le Sénégal attend dans les prochaines années le retour de 5000 objets d’art dans son patrimoine culturel. 

D'autres options que les musées pour accueillir les objets 

Depuis son ouverture il y a un an, le Musée des civilisations noires de Dakar attire de nombreux visiteurs. Mais l’institution « musée », sur le modèle occidental, est-elle l’unique option possible pour la conservation du patrimoine culturel africain ? La question fait débat, en Afrique et en Europe. 

Exposition sur les objets spoliés du Bénin au musée des Arts et Métiers de Hambourg
Exposition sur les objets spoliés du Bénin au musée des Arts et Métiers de Hambourg Image : picture-alliance/dpa/D. Bockwoldt

D’un côté, il y a les opposants au processus de restitution, entre autres ceux qui ont peur de voir se vider les musées européens. Ils mettent en avant les mauvaises conditions de conservation des musées d’Afrique – humidité, chaleur ou poussière par exemple. 

Mais c’est omettre que de nombreux objets conservés depuis des décennies comme des œuvres d’art dans les musées et collections d’Europe, étaient ou sont toujours des objets de la vie quotidienne, intimement liés à la vie sociale ou culturelle des individus et communautés locales.  

Le juriste béninois Ibrahim Tchan, spécialiste en droit du patrimoine culturel, tient régulièrement des conférences sur ce sujet.

« Quand on nous dit : ‘vos objets, vous ne savez pas les conserver’, nous on dit qu’on tue nos objets. Quand vous mettez un objet qui doit servir au culte, aux rituels ou à une pratique culturelle dans une vitrine, vous le tuez parce que nous conservons ces objets par la pratique. »

Au sein de la communauté muséale européenne, certains experts comme Nanette Snoep balaient également cet argument des opposants à la restitution. 

Nanette Snoep, conservatrice du musée ethnographique Rautenstrauch-Joest de Cologne
Nanette Snoep, conservatrice du musée ethnographique Rautenstrauch-Joest de CologneImage : DW/S. Oelze

L’ancienne responsable de l'unité patrimoniale Histoire au musée du Quai Branly est depuis janvier 2019 conservatrice du musée ethnologique Rautenstrauch-Joest à Cologne, dans l’ouest de l’Allemagne.

« Qui peut dire que les musées ne sont pas en mesure de conserver leur propre patrimoine culturel ? Je connais de nombreux dépôts en Europe dont on ne peut pas être fier. On devrait faire preuve de modestie. Il y a aussi des objets qui ont été volés ou qui ont été apportés en Europe par la force. En quoi puis-je dire, moi, que les musées africains ne sont pas prêts ? »

Nanette Snoep soulève un point important, longtemps ignoré des visiteurs de musées européens : le fait que la plupart des œuvres africaines présentes dans les collections européennes ont été acquises dans la violence, lors des guerres coloniales ou pendant la domination européenne sur le continent, entre 1885 et 1960. 

La réconciliation entre Allemagne et Namibie passe par la restitution

C’est le cas des objets originaires de Namibie présents dans les collections en Allemagne. Leur restitution fait partie d’un processus de réconciliation entre les deux pays, plus de cent ans après le premier génocide du XXème siècle, celui d’environ 70.000 Hereros et Namas par les troupes coloniales allemandes.

En février dernier, Berlin a restitué la célèbre bible et le fouet du chef nama Hendrik Witbooi à ses descendants. Des objets qui étaient entreposés depuis 1902 dans un musée de Stuttgart, dans le sud-ouest de l’Allemagne et qui étaient réclamés depuis longtemps par la Namibie. 

L'Allemagne va rendre la croix de Cape Cross à la Namibie
L'Allemagne va rendre la croix de Cape Cross à la NamibieImage : picture-alliance/dpa/B. Pedersen

Et la secrétaire d’État fédérale à la Culture, Monika Grüters, doit se rendre prochainement à Windhoeck pour restituer une croix de pierre vieille de 500 ans. Cela ne remplace pas les réparations réclamées par les descendants des Herero et Nama, mais c’est une étape importante pour la réconciliation.

Outre les objets, il y a aussi les restes humains, rapportés d’expéditions anthropologiques. Les dépôts des musées allemands en comptent encore des milliers, récoltés à l’époque pour des études scientifiques sur les races. 

Ces dernières années, l’Allemagne a rendu plusieurs dizaines de crânes et d’ossements à la Namibie. 

La restitution de restes humains figure d’ailleurs en tête des priorités du guide des musées, réactualisé en janvier 2019 et qui vise à aider les conservateurs dans leur démarche de restitution de biens acquis pendant l’époque coloniale.

Révolution en cours dans les musées d'Allemagne

Selon la conservatrice Nanette Snoep, une véritable révolution est en cours dans les musées allemands en ce qui concerne la provenance de leurs collections.

Des crânes de combattants herero et nama ont été restitués à la Namibie
Des crânes de combattants herero et nama ont été restitués à la NamibieImage : Imago/epd

« Les musées réfléchissent tous activement aux moyens de faire une recherche systématique sur la provenance. Le débat sur la restitution s’élargit de plus en plus, non seulement dans les institutions culturelles ou universités mais il atteint désormais aussi le public. »

Le plus grand défi à relever pour les musées allemands reste la transparence, notamment celle des inventaires. Sur ce point, l’Allemagne est clairement en retard sur ses voisins. 

Pour exemple, le musée du Quai Branly fondé par l’ancien président français Jacques Chirac propose, depuis son ouverture en 2006, un inventaire détaillé de ses 350.000 objets, consultable en ligne. 

En Allemagne en revanche, certains musées ethnographiques savent à peine quels trésors ils ont dans leurs dépôts. 

Et lorsque l'inventaire existe, il n'est souvent pas mis à la disposition du public… Une des raisons étant un retard sur la numérisation. Mais c'est en train de changer.

Au musée Rautenstrauch-Joest, tous les objets sont répertoriés

Visite dans les sous-sols du musée Rautenstrauch-Joest de Cologne avec Nanette Snoep et sa collègue restauratrice Christine Hopp... Le musée a déménagé dans un bâtiment tout neuf en 2010. Cela a non seulement permis d’améliorer les conditions de conservation des objets du dépôt mais aussi de faire un inventaire détaillé des objets de la collection !

Au musée Rautenstrauch-Joest de Cologne, les objets sont désormais bien rangés et inventoriés
Au musée Rautenstrauch-Joest de Cologne, les objets sont désormais bien rangés et inventoriésImage : DW/S. Oelze

Aujourd’hui, explique Christine Hopp, chaque objet est systématiquement étiqueté et conservé sur une étagère avec un numéro d’inventaire, soigneusement enveloppé dans une mousse taillée sur mesure.

Dans l’ancien bâtiment, qui datait du XIXème siècle et était situé tout près du Rhin, l’humidité avait abimé plusieurs objets qui étaient par ailleurs entassés les uns sur les autres… Cela appartient donc au passé et l’idée, aujourd’hui, est retrouver les objets plus rapidement dans le dépôt du musée et d’assurer une plus grande transparence des collections.
 
Bénédicte Savoy, co-autrice du rapport sur la restitution, avait démissionné en 2017 du conseil d’experts du Forum Humboldt, le futur musée ethnographique de Berlin, reprochant justement un manque de transparence à l’équipe dirigeante. Elle aussi a remarqué une évolution positive ces dernières années.

« Les musées berlinois continuent de penser que le processus prendra du temps, mais ce qui a changé, c’est la posture d’arrogance qui était très forte jusqu’en 2017, au début de cette institution, qui avait tendance à considérer que la question de la provenance n’était pas importante… cette arrogance ou ce sentiment de toute-puissance a disparu et la nouvelle direction du Humboldt Forum a compris la nécessité d’être plus humble. On peut dire qu’il s’agit d’un changement d’attitude ou changement psychologique majeur. »

Les pays africains doivent faire pression pour obtenir le retour de leur patrimoine

Certains objets étaient utilisés pour des cultes dans leurs pays d'origine, comme cet autel ikegobo du Nigeria
Certains objets étaient utilisés pour des cultes dans leurs pays d'origine, comme cet autel ikegobo du NigeriaImage : picture-alliance/akg-images/A. Held

Les pays africains devraient donc un jour savoir exactement où se trouvent les objets de leur patrimoine culturel, une condition essentielle pour la restitution. Et pour laquelle il existe des moyens juridiques comme la convention Unidroit de l’UNESCO, rappelle le juriste béninois Ibrahim Tchan.

« Dans beaucoup de pays, il n’existe pas d’inventaires donc quand un objet disparaît on ne peut pas le ramener. La convention Unidroit fixe les règles des trafics… Les moyens juridiques existent et beaucoup de pays doivent ratifier la convention de l’Unidroit pour que l’Afrique rentre en possession de ces objets. Si la pression est plus forte, le résultat sera au rendez-vous. »

Des coopérations entre musées européens et africains

Depuis que le débat sur la restitution a pris de l'ampleur, de nouvelles formes de coopération ont émergé entre les musées européens et africains. Le musée ethnographique de Cologne, par exemple, a entamé un projet avec des responsables de musées et artistes kényans. 

L’idée est de recenser tous les objets kényans dispersés à travers l'Europe, mais aussi de faire une exposition commune pour retracer le chemin des objets entre le Kenya et l’Europe. Le projet passionne Nanette Snoep, la conservatrice du musée de Cologne.

« Nous, en tant que musées ethnologiques, nous avons de nombreux objets dans nos collections qui ont encore une signification dans la société d'aujourd'hui. Nous parlons de culture vivante ! Les données historiques et les informations que nous avons sur ces objets sont parfois très insuffisantes. Mais si on mélange ces différentes informations et les relations avec ces objets, alors arrive à quelque chose d’intéressant et c’est très excitant pour les différents partenaires qui travaillent sur ces projets. »

Le musée Rautenstrauch-Joest a engagé un projet de coopération avec un musée du Kenya pour faire l'inventaire des objets kényans dispersés dans les collections européennes
Le musée Rautenstrauch-Joest a engagé un projet de coopération avec un musée du Kenya pour faire l'inventaire des objets kényans dispersés dans les collections européennesImage : picture-alliance/dpa/H. Galuschka

Nanette Snoep est par ailleurs persuadée que la restitution des objets pourrait avoir un impact positif sur l’enseignement de la culture dans les pays africains. 

« Si les objets sont renvoyés, de nouveaux projets peuvent émerger, ou de nouvelles sortes de musées... Il n'y a pas qu'un seul modèle de musée. Et je pense que pour l’enseignement à l'école, c'est aussi une fierté nationale. Beaucoup d'enfants et de jeunes en savent trop peu sur leur histoire, donc la restitution d'objets peut apporter beaucoup de bonnes choses et de nouvelles relations peuvent s'établir. »

La co-autrice du rapport sur la restitution, Bénédicte Savoy, en est elle aussi convaincue : les idées pourront naître dans les communautés et à travers les échanges une fois que les objets seront retournés dans les lieux où ils sont chez eux.

« On peut imaginer une multiplicité des formes de retour. Certains au Bénin imaginent qu’on pourrait réactualiser des formes anciennes de présentation des œuvres du roi qui par exemple sortait plusieurs fois dans l’année en procession. Les choses sont à inventer, à réinventer. Tout cela n’est pas figé. C’est vraiment important de se souvenir que dans tous les cas historiques de restitution se mettent en place des discussions qui peut durer parfois dix ou quinze ans mais on ne peut pas imaginer ce qu’on va faire des œuvres quand on ne les a pas. »

Soixante ans après les indépendances, les lignes semblent bouger pour de bon dans les relations culturelles entre les pays africains et les anciens colonisateurs. Même s'il reste encore du chemin pour atteindre la nouvelle éthique relationelle appelée de leurs vœux par les auteurs du rapport sur la restitution.