1. Aller au contenu
  2. Aller au menu principal
  3. Voir les autres sites DW

La lutte de la Commission contre les cartels

16 juillet 2007

Le commerce et la concurrence sont deux compétences exclusives de la Commission européenne, deux compétences garanties par les Traités. La Direction générale de la Concurrence, dirigée par la commissaire néerlandaise Nelly Kroes, a fait ainsi de la lutte contre les cartels sa priorité numéro un. L’an dernier, ses services ont infligé près de deux milliards d’euros d’amendes à sept cartels. Cette années, ce chiffre est déjà dépassé et Nelly Kroes compte épingler une dizaine de cartels d’ici le mois de décembre. Un reportage à Bruxelles de Jean-Michel Bos.

https://p.dw.com/p/C5ww
Le groupe allemand ThyssenKrupp, épinglé en 2006 par Nelly Kroes pour partage illégal du marché avec deux autres entreprises.
Le groupe allemand ThyssenKrupp, épinglé en 2006 par Nelly Kroes pour partage illégal du marché avec deux autres entreprises.Image : AP

S’il est parfois un peu difficile de comprendre le travail des 25000 fonctionnaires de la Commission européenne, il est une direction générale dont le travail s’illustre facilement : c’est celui de la Direction générale de la concurrence, la DG Concurrence. Tout simplement parce que son action anti-cartel se solde par des amendes colossales qui se chiffrent en millions d’euros. Des amendes dont le montant peut atteindre 10% du chiffre d’affaires d’une société et qui peuvent être majorées de 100% en cas de récidive. Des amendes qui font trembler les plus grandes entreprises, y compris Microsoft.

A la tête de cette campagne destinée à protéger les intérêts du consommateur : la commissaire néerlandaise Nelly Kroes qui considère cette action anti-cartel comme une priorité:

"Le but n’est pas d’imposer les amendes les plus fortes possibles. Je serais moi-même soulagée le jour où mes services n’auront plus de cartels à me signaler. Ce n’est donc pas seulement une question d’amendes. Mais aussi de réputation des entreprises. Je souhaite sincèrement que tous les managers des grandes entreprises européennes soient conscients qu’on ne peut pas se payer le luxe d’avoir une mauvaise réputation et de ne pas suivre les règles de l’Union européenne".

Ainsi, au mois de février, la Commission a infligé plus d’un milliard d’euros d’amendes à un cartel d’ascenseurs entre l’allemand ThyssenKrupp, l’américain Otis et le suisse Schindler. Au mois d’avril, c’est cette fois un cartel de la bière aux Pays-Bas qui a été sanctionné : 274 millions d’euros en tout, dont 219 millions pour le brasseur néerlandais Heineken. Nelly Kores, lors d'une conférence de presse s'explique sur le montant si élevé de cette amende:

"La Commission considère qu’il est inacceptable que les principaux fournisseurs de bière se soient mis d’accord pour augmenter les prix et se partager le marché. Les plus hautes instances de ces entreprises ont participé à ce cartel en sachant pertinemment que leurs agissements étaient illicites et malgré tout, ils ont poursuivi dans cette voie et ont tenté de brouiller les pistes en organisant leurs réunions dans des hôtels, des restaurants, et en utilisant des noms de code pour ces réunions... Le message que je voudrais adresser aux entreprises est très clair : la Commission européenne ne tolérera aucun cartel et si vous prenez part à un cartel, alors vous devrez affronter des conséquences très sérieuses. Donc ne vous laissez pas tenter... Et si vous êtes déjà dans un cartel, alors je vous conseille d’en informer la Commission pour bénéficier de notre système d’immunité. Faites-le avant que quelqu’un d’autre ne nous transmette des informations sur vous".

Des propos très clairs dans lesquels la commissaire Nelly Kroes faisait référence à un système très particulier qui est celui de la clémence. Ainsi, toute entreprise qui fait partie d’un cartel, mais qui aura transmis à la Commission des renseignements exacts et complets sur la constitution de ce cartel, pourra bénéficier d’une immunité. Ainsi, le site Internet de la DG Concurrence donne un numéro de téléphone destiné à ceux qui veulent dénoncer une entente illégale sur un marché. Dans le cas le plus récent, qui est celui du cartel de la bière, c’est le brasseur belge InBev qui a dénoncé l’entente illégale avec Heineken, Grolsch et Bavaria. Celui-ci n’a donc payé aucune amende. Nelly Kroes:

"Avec la clémence, on attrape, pour ainsi dire, les voleurs avec les voleurs. Et je dois dire que c’est un assez bon instrument. Bien sûr, la clémence n’est pas le seul moyen avec lequel nous luttons contre les cartels. Nous menons aussi des enquêtes sur le terrain. Quand nous sommes conscients qu’il y a quelque chose de pourri dans un état membre, alors nous allons voir sur place."

Soixante-dix fonctionnaires de la Commission sont ainsi chargés d’enquêter sur l’existence de cartels. Ils bénéficient d’un pouvoir de police administrative, assez comparable à celui d’une administration fiscale, un pouvoir qui leur permet de conduire des investigations et, en fonction des preuves récoltées, d’imposer des amendes. Ces décisions étant bien entendu contestables devant la Cour de justice européenne.

Alors, un tel pouvoir suscite bien entendu des interrogations et des critiques. Dans l’équilibre des pouvoirs à Bruxelles, le Parlement européen depuis plusieurs années a, pour ainsi dire, gagné du pouvoir face à une Commission qui apparaît affaiblie dans certains domaines. Quel est donc l’avis des eurodéputés dans ce bastion de la Commission qu’est la concurrence et la lutte anti-cartels ? Le député finlandais libéral Alexander Stubb, lui, est tout à fait en accord avec le travail conduit par Nelly Kroes:

"Je suis en faveur de ce système où on a une société qui peut être, comme on dit en anglais, une sorte de whistle blower, c’est-à-dire quelqu’un qui dénonce une autre société. Parce que ça crée une certaine peur entre les entreprises. Et il n’y a rien qui marche mieux avec les entreprises qu’une certaine incertitude. De savoir que si on est dans un cartel, quelqu’un va peut-être vous dénoncer... Donc c’est un grand jeu entre les entreprises et je suis pour cette méthode."

En revanche, le député écologiste Alain Lipietz s’interroge, lui, sur ce point en effet sensible, et qui est celui de la méthode de clémence:

"Il y a quand même un problème : c’est dans le cas de la clémence. Car évidemment personne ne fera appel de la clémence dont on bénéficie. Le scandale le plus notoire est celui de la clémence dont a bénéficié une entreprise à propos du cartel des vitamines. Et il s’est trouvé que le commissaire à la concurrence s’est retrouvé plus tard membre du board de cette compagnie. Là, il y a un vrai problème et il faudrait donc qu’un pouvoir des consommateurs émerge, un pouvoir pouvant aller en Cour de justice contre les mesures de clémences... Le problème de la récompense du délateur, de celui qui donne l’alerte, est évidemment, du point de vue de la morale, problématique. Tous les pays ont accepté ce système... On ne voit pas très bien comment on pourrait faire autrement que d’en appeler à la délation, à la dissociation du cartel, et donc récompenser d’une certaine façon le repenti pour des fautes qu’il a effectivement commises. Mais je crois que malheureusement nous sommes obligés d’appâter en quelque sorte le délateur. Comme disait Goethe : « Une injustice vaut mieux qu’un désordre. » C’est le prix à payer pour faire éclater la vérité".