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Histoire

Hommage à Berlin pour les cent ans de la pétition anticolonial Dibobe en Allemagne // Jinn, la série qui fait polémique en Jordanie

Hugo Flotat-Talon | Daniel Pelz | Jérôme Boruszewski
7 août 2019

Cent ans après l’initiation de sa pétition demandant l’égalité des droits pour les Allemands et les peuples colonisés, le camerounais Martin Dibobe vient d’être mis à l’honneur à Berlin. Dans ce magazine aussi, reportage en Jordanie, où une série fait polémique, illustrant le conservatisme encore très présent dans la société.

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Elle s'affiche depuis quelques jours sur le mur de la Wilhelmstraße, au numéro 52, à Berlin, en plein cœur du quartier "Mitte", dans le centre de la capitale allemande. Une plaque rectangulaire, sur un mur blanc, avec un texte en bleu. Un texte en souvenir de Martin Dibobe sur le bâtiment qui fût, au siècle dernier, le siège de l'administration coloniale allemande.

Martin Dibobe c'est celui qui, comme on le lit sur la plaque, demandera "indépendance et égalité des droits" pour les Africains en Allemagne originaires des colonies allemandes mais aussi pour tous ceux qui sont restés sur le continent sous administration allemande. On est alors en 1919.

Premier conducteur de train noir

Quelques années plus tôt, en 1876, Martin Dibobe naît au Cameroun, qui est à l'époque une colonie allemande. Le jeune viendra bientôt à Berlin en Allemagne, pour être exhibé lors d'un "spectacle", comme ça se fait à l'époque, où l'on présente les habitants des colonies comme des curiosités. 

Martin Dibobe reste ensuite en Allemagne. Il sera bientôt le premier conducteur de train noir. Il se marie même avec la fille de son propriétaire d'appartement, berlinoise et blanche. Un mariage qui n’est pas du goût de tous. Heureusement, l’union a bien lieu.

Berlin Zugführer Martin Dibobe
Image : BVG-Archiv

Association d’entraide africaine

Martin Dibobe se bat pour aller de l’avant. Il prend même bientôt la défense des personnes noires, Car, comme beaucoup de personnes originaires des colonies, il n'a pas les mêmes droits. Tous rencontrent des difficultés quand ils veulent se marier, ils n'ont pas le droit d'étudier comme les Allemands...

Ces différences se ressentent dans la société. Alors dès 1918, un an avant cette pétition, une association d'entraide africaine se crée en Allemagne. La "Afrikanische Hilfsverein" est montée par des Camerounais, des Marocains, des Guinéens ou encore des Libériens.

Elle a officiellement pour but l'entraide dans la recherche d'un emploi, d'un logement et veut aider à combattre le "sentiment de solitude au milieu de la population blanche". Officiellement, et surtout pour ne pas s’attirer les foudres des autorités, l’association n’a rien de politique.

Une pétition en 32 points

Mais un an après sort la pétition Dibobe. Elle n’est pas liée à l'organisation directement, mais on retrouve des personnes membres dans les signataires. Ils sont alors dix-huit à apposer leur nom sur le document adressé à l'Assemblée nationale et au ministère des colonies.

Un document unique en son genre, véritable affront aux colonisateurs allemands. La pétition comprendre 32 points. "Les 18 signataires exigeaient l'indépendance, l'égalité des droits et la sécurité juridique dans les colonies", raconte aujourd’hui le sénateur en charge de la culture à Berlin, Klaus Lederer. "Ils exigeaient la participation et la représentation avec des formulations qui ressemblaient à des réformes, mais ils remettaient en fait en question le système même de domination coloniale fondé sur l'inégalité fondamentale et la violence."

Deutschland Gedenktafel für Martin Dibobe
Cérémonie en hommage à Martin Dibobe à Berlin, en 2016Image : picture-alliance/dpa/T. Rückeis

Une pétition courageuse et parfaitement réfléchie. "Ils ne disent pas seulement "Nous voulons mettre fin au colonialisme", car il était clair que cela n'allait pas se produire", souligne l'historienne Paulette Reed-Anderson. "Ils étaient très pragmatiques".

Perte des colonies allemandes

Mais quelques jours seulement après la remise de cette pétition prennent fin les négociations du traité de Versailles en France. Ces négociations de fin de la Première guerre mondiale font perdre leurs colonies aux Allemands au profit de la France ou de la Grande-Bretagne.

Lire et écouter aussi → Il y a cent ans : l'Allemagne "humiliée" par le traité de Versailles

Les demandes de la pétition Dibobe n'aboutiront donc pas. Théoriquement, les personnes originaires de ces colonies doivent même repartir dans leur pays d'origine et quitter l'Allemagne. Mais beaucoup resteront, soit parce qu'ils n'ont pas les moyens de repartir, soit parce qu'ils se sont mariés et ont eu des enfants, soit encore parce que les nouvelles puissances coloniales anglaises ou françaises craignent qu'ils ne fassent de la propagande allemande sur place.

La vie continue donc pour certains en Allemagne. Quelques-uns arrivent à avoir un statut d'existence légal. Mais les difficultés ne s'effacent pas pour autant. Certains perdent leur emploi avec la perte des colonies et une partie de la société ne veut toujours pas accepter ces hommes et ces femmes venus d'ailleurs.

"Ils ne sont pas considérés comme des Allemands, même si l'un des parents est Allemand", raconte aujourd'hui l'activiste germano-tanzanien Mnyaka Sururu Mboro. "Vous trouvez toujours bien quelqu'un qui, même s'ils parlent la langue, même s'ils ont grandi ici, ne veut toujours pas les accepter."

Martin Dibobe disparaît

Deutschland Martin Dibobe als Zugführer bei der Berliner U-Bahn
Image : BVG Archiv

C'est cette situation qui poussera finalement Martin Dibobe à repartir au Cameroun. Mais les Français qui sont désormais colonisateurs sur place le voient arriver d'un mauvais oeil. On perd la trace de Martin Dibobe, en 1922, au Liberia.

Reste donc cette pétition qui porte son nom et marquera les esprits. "Quand on regarde les demandes, ils ont exigeaient aussi un député africain et, ce n'est pas une blague, ça a pris cent ans ! Maintenant il y en a un", sourit aujourd'hui Mnyaka Sururu Mboro, en référence au député du parti SPD Karamba Diaby. Né au Sénégal, il est élu au Bundestag allemand pour la première fois en 2013.

Aujourd'hui, l'histoire coloniale fait toujours débat en Allemagne. De nombreuses associations, des historiens, des citoyens, demandent à ce qu'on enseigne et fasse davantage de recherches sur cette période.

Ecouter et lire aussi → Visite post-coloniale à l'université de Cologne

La petite plaque au nom de Martin Dibobe dans la Wilhelmstraße à Berlin doit aider à ce long travail. Pour ceux qui la rateraient, le portrait de l’initiateur de la pétition est aussi affiché en photo dans la station de métro "Hallesches Tor" dans la capitale allemande.

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Jinn, la série qui fait polémique en Jordanie

Symbolbild Videostreaming
La série qui fait polémique en Jordanie est diffusée sur NetflixImage : picture-alliance/dpa/A. Warnecke

Dans la seconde partie de Vu d’Allemagne, direction la Jordanie. Votre magazine radio parle cinéma et série Netflix. Retour sur une série tournée et diffusée sur place : "Jinn ", "génie" en arabe. Elle met en scène des adolescents issus de familles aisées partis en voyage scolaire dans la cité historique de Pétra dans le Sud du pays.  

Le problème c’est que cette mise en scène n’est pas du goût de tous. La série fait un tollé, illustrant le conservatisme du pays, qui dans le même temps s’ouvre sur l’Occident.

Reportage de Jérôme Borusweski en deuxième partie de votre magazine.

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Portrait Hugo Flotat-Talon
Hugo Flotat-Talon Journaliste au programme francophone de la Deutsche WelleHugo_FT_