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"C'est un triomphe contre la peur..." (Kamel Daoud)

Luisa von Richthofen
28 mars 2019

C’est une première victoire pour les Algériens qui manifestent par millions pour exiger la démission du président Abdelaziz Bouteflika. Le chef d'état-major de l'armée algérienne, Ahmed Gaïd Salah, a proposé mardi que le président Bouteflika soit déclaré inapte à exercer le pouvoir en vertu de la constitution. L'écrivain algérien Kamel Daoud réagit au micro de la DW.

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En Algérie, la fin de Bouteflika est un rêve qui se réalise peut- être pour de nombreux Algériens, dont Kamel Daoud, l’un des chroniqueurs et écrivains les plus connus du Maghreb. Mais si Daoud est heureux de cette tournure des évènements, le chemin à parcourir est encore long, nous dit-il, dans cette interview exclusive accordée à la DW.

 

DW : Bonjour M. Daoud.

 

Daoud : Bonjour Madame.

 

DW : La situation politique en Algérie a été marquée, ce mardi, par l'annonce du chef d'état-major de l'armée appelant que le président Bouteflika soit déclaré inapte à exercer le pouvoir. Peut-on parler de la fin du régime Bouteflika?

 

Daoud: Nous sommes sortis dans la rue par millions en Algérie et nous avons obtenu de plus en plus de choses. Nous avons obtenu que Bouteflika ne se présente pas pour un cinquième mandat. Ce qui était bien. Nous avons obtenu maintenant que qu'il ne peut pas aller au-delà de la fin de son mandat, ce qui est aussi bien. Donc, on en a fini avec Bouteflika. Maintenant, il faut aller plus loin vers des changements plus profonds et des réformes profondes de l'Etat et du régime en Algérie.

 

DW: Pensez-vous que la mobilisation de la rue sera impliquée dans ce changement ?

 

Daoud: Je pense qu'il faut continuer à maintenir la pression parce que sinon le régime va se reconstituer. Bouteflika n'est que le visage avec sa famille. Il n'est que le visage de ce régime. Si on coupe la tête le corps va se régénérer par la suite. Donc il faut accentuer la pression pour engager des réformes profondes dans les structures mêmes de l'administration et de l'Etat algérien. Il faut s'attaquer aux appareils de reproduction du régime :  syndicats, partis de soutien, zaouïas dans la ruralité algérienne etc. Donc beaucoup de choses qu'il faut démanteler.

 

DW: Mais la contestation est faite de façon plutôt heureuse - enfin, c'est ce qu'on peut lire de vos écrits et autres commentaires. Vous avez l'air très enthousiaste et heureux.

 

Daoud: Bien sûr que je suis heureux. Ça fait 20 ans que j'attends ce moment-là, sinon toute ma vie. Il y a des Algériens qui sont morts pour qu'on arrive à ce jour-là. Beaucoup d'Algériens sont morts pour ce jour-là. Donc, quand on arrive à un moment où les Algériens sortent dans la rue avec pacifisme, avec discipline, dans la mixité et sans qu'il y ait de violence.

C'était un double triomphe. D'abord c'est un triomphe contre la peur puis un triomphe contre les possibilités de glissement et de dérapage. Donc c'est un triomphe de la maîtrise de soi. Et donc, bien sûr que je suis heureux. On ne peut pas ne pas être heureux pendant un moment de révolution.

 

DW : La tournure que prennent les événements vous donne envie de vous impliquer davantage. Comment voyez-vous le rôle que vous devriez jouer ?

 

Daoud : Je pense que la vocation de l'écrivain ne gagne pas beaucoup lorsque l'écrivain se transforme en politicien. Donc, je préfère exercer mon droit de lucidité et être une sorte de témoin de mon époque. Avertir autant sur les risques d'un régime que sur les fantasmes d'une révolution. Et je pense que je peux être plus utile comme ça.