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La restitution d'œuvres d'art, un sujet qui reste sensible

5 mai 2022

La question de la restitution d'œuvres d'art par des musées européens aux pays africains reste au cœur de l'actualité.

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Ausstellung Museum Fünf Kontinente in München
Image : Museum Fünf Kontinente

 Des centaines d'objets conservés en Allemagne devraient faire leur retour sur le continent cette année. Ceci est l'occasion de faire le point sur toute une série de questions comme la réticence observée au sein de certains musées en Allemagne, le devenir de ces œuvres une fois de retour sur le continent sans oublier les politiques culturelles. Dans un entretien qu'il nous a accordé, Hans Peter Hahn, ethnologue à l'université de Francfort revient sur ces thématiques.

DW : A propos de la restitution des œuvres d'art, quelles ont été selon vous les réticences que l'on a pu observer au sein des musées allemands contre cette restitution?

Hans Peter Hahn : Effectivement, j'ai parlé avec pas mal de responsables et des directeurs des différents musées en Allemagne et j'ai constaté qu'il y a différentes sorte de réticences. Parfois, on entend par exemple le fait que des objets appartiennent à une institution, un organisme public et que cela va au delà de la responsabilité du droit de décider du directeur du musée. J'ai aussi entendu un raisonnement qui nous indique que les objets sont en mauvais état et qu'il faut d'abord faire tout le travail de conservation et de rétablir un bon état matériel avant de rendre ces objets. Là encore, c'est très peu convaincant pour moi parce qu'effectivement, si on a besoin d'un objet, en bon état ou en mauvais état, c'est quelque chose à décider ensemble avec ceux qui ont le droit de prendre cet objet plus tard. Il y a aussi certains qui disent on a des objets qu'on a voulu bien restituer, mais les groupes cibles, les partenaires des pays tiers, ne sont même pas intéressés de reprendre cet objet. Il faut qu'on soit quand même sérieux. Parce que parfois, au niveau interne de certains pays, il n'y a pas encore une stratégie claire qui va prendre la responsabilité. Est ce qu'un objet, une fois que ça arrive quelque part, ça va rester dans ce pays là? Au niveau du musée national, est ce qu'il va plutôt partir pour le lieu ou il a été pris à l'époque coloniale? Est ce que c'est la famille du propriétaire originel qui est responsable de cela? Est ce que c'est plutôt la nation en tant que telle qui prend la responsabilité? Voilà, vous avez au moins trois exemples comment les gens expliquent leur réticence de restituer des objets.

DW :  Alors si on vous écoute, il y a cet aspect. Souvent, on parle d'infrastructures du fait qu'on ne sait pas très bien ou est ce que les objets vont revenir et ça, on peut l'entendre. Par contre, l'aspect au niveau de la conservation dont vous parlez, la dégradation de certains objets, là j'ai quand même un peu du mal à vous suivre parce que ce sont des objets qui sont depuis des années dans les musées qu'on peut observer, en tout cas pour la grande majorité d'entre eux. Est ce que ce n'est pas un argument qui est un peu balléable du revers de la main?

Hans Peter Hahn : Je suis d'accord avec votre scepticisme quand même, mais il faut aussi tenir compte du fait que ces objets, ils ont vraiment duré longtemps. Souvent, leur arrivée en Allemagne date de plus d'une centaine d'années. Ça veut dire qu'au bout de ce temps là, il y a des problèmes considérables de solidité de ces objets. Il y a aussi les problèmes de mauvais entretien, parce que souvent, les collections ethnographiques sont très complexes, avec des matériels très sensibles comme la peau, des plumes, le bois des fibres végétales. Ce n'est pas facile tout simplement de mettre un tel objet dans un carton et de l'envoyer. N'oublions pas que par exemple, aux Etats Unis, il y a depuis les années 80 une loi qui impose aux musées de restituer les objets. Le NAC Pratt, qui est le terme précis, est devenu le modèle de comment les musées en Europe devraient agir, mais ce n'est pas toujours le cas pour le moment.

Ecoutez l'audio

DW :  Alors, selon vous, justement, si on revient sur ce débat concernant la restitution des œuvres d'art qui se trouve dans les musées en Europe pour retourner en Afrique, en quoi est ce que ce débat est symptomatique d'un débat beaucoup plus large sur la décolonisation et le racisme en Allemagne?

Hans Peter Hahn : Je ne nie pas qu'il y a du racisme en Allemagne. Je vois aussi que la décolonisation des relations internationales est toujours un défi. Mais je voudrais quand même bien séparer le débat sur la restitution de ce discours plus général. Je suis convaincu qu'il y a une très grande conscience que la restitution est une nécessité. Elle est une nécessité pour l'avenir de ces musées qui ont des collections à l'échelle mondiale. C'est une nécessité pour la politique culturelle nationale des pays qui vont recevoir ces objets alors qu'en ce qui concerne les autres aspects que vous avez touchés le racisme, le caractère colonial implicite dans les relations internationales, il y a beaucoup moins de conscience si on fait cette relation. On a l'espoir que les débats autour de la restitution est une voie pour ouvrir les consciences de façon plus large. Et de montrer que ce n'est pas seulement la culture, mais c'est aussi l'économie. C'est aussi au quotidien qu'on doit réfléchir. Quelles sont les inégalités qui persistent toujours?

DW : Alors ce qui est assez intéressant dans ce que vous dites par rapport justement à cette façon naïf de penser que la décolonisation ou les restitutions pourraient permettre de décoloniser tout ou de décloisonner tous les autres secteurs. C'est assez intéressant parce que finalement, en Afrique, quand on regarde dans les gouvernements, la culture est toujours mise au dernier plan. Mais là, pour une fois, on a un basculement, c'est à dire qu'on a l'impression que c'est la culture qui, d'une manière ou d'une autre, pourra ouvrir la voie pour décoloniser d'autres secteurs comme vous le dites par exemple l'économie, les relations internationales entre le Nord et le Sud.

Hans Peter Hahn : C'est un espoir que je viens d'exprimer. Vous avez bien retenu le point qu'effectivement la Restitution peut devenir un symbole. Pour avoir un effet pertinent, il est très important que, au delà du moment que les objets sont emballés, envoyés vers l'Afrique, desemballés là bas et installés peut être au Musée national, au delà de ce moment, il y aura de nouvelles pratiques de collaboration.

DW-Redaktion Afrika-Französisch
Wendy Bashi Journaliste au programme francophone de la Deutsche Welle@WenBash