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Quand les politiciens allemands se mêlent de la justice

16 août 2018

L'expulsion du Tunisien Sami A. en dépit de l'avis contraire d'un tribunal administratif suscite une polémique sur la séparation des pouvoirs en Allemagne. Histoire d'un fiasco.

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Illustration Abschiebung
Image : picture-alliance/dpa/J. Stratenschulte

Ce qui aurait pu n‘être qu'un petit raté administratif est en train de se muer en Allemagne en un énorme scandale. L'affaire « Sami A. » défraie la chronique, du nom de ce ressortissant tunisien soupçonné d'avoir été le garde-du-corps d'Oussama Ben Laden et que l'administration allemande a expulsé vers la Tunisie en dépit d'un avis contraire de la justice.

Screenshot | Sami A. - mutmaßlicher Leibwächter Osama bin Ladens
"Sami A."Image : Youtube/spiegeltv

Un individu considéré comme dangereux

„Pour le moment, Sami n'est apparemment pas mal traité par les autorités. Mais je ne peux pas présumer de l'avenir."

Ces déclarations de Seif Eddine Makhlouf, l'avocat de Sami A., le 18 juillet, ont médiatisé la polémique.

Au cœur de l'affaire : un certain Sami A. - identifié par les autorités tunisiennes comme Sami Idoudi. Cet homme arrêté en juin vivait depuis plus de dix ans en Allemagne, sa demande d'asile avait été refusée : soupçonné de liens avec al-Qaïda et d'avoir été garde-du-corps d'Oussama Ben Laden, Sami Idoudi est considéré comme dangereux.

Un tribunal administratif se prononce toutefois contre son expulsion vers la Tunisie par crainte qu'il ne subisse dans son pays d'origine des actes de torture.

Officiellement, le fax envoyé par le tribunal a été vu trop tard par les services de l'immigration et Sami Idoudi a été renvoyé le lendemain même en Tunisie. Son expulsion était donc illégale.

Deutschland Oberverwaltungsgericht Münster
Image : picture-alliance/dpa/B. Thissen

Des déclarations hâtives

Pourtant, plusieurs responsables politiques se félicitent ouvertement de sa reconduction en Tunisie, comme le député régional social-démocrate Serdar Yüksel qui déclare: "Il était temps de procéder à l'expulsion de Sami A. Il s'agit d'un islamiste dangereux qui a servi comme garde du corps de Ben Laden. Il est symptomatique d'une radicalisation de nombreux jeunes dans la ville de Bochum et ses environs. C'est pourquoi je suis content qu'il ait été expulsé."

La chancelière aussi y va de son appréciation et déclare que l'Allemagne ne peut tolérer que « l'ancien garde-du-corps de Ben Laden ait vécu de nombreuses années sur son territoire ». Même son de cloches du côté de Horst Seehofer, le ministre fédéral de l'Intérieur.

Sauf que Sami Idoudi n'a jamais été jugé ni encore moins condamné pour appartenance à un réseau terroriste. Et que les expulsions sont du ressort des Länder, pas du gouvernement fédéral.

Le principal intéressé déclare aussi au journal à grand tirage Bild Zeitung qu'on lui avait signifié que l'ordre "venait de tout en haut".

Quid de la séparation des pouvoirs?

Depuis, cette affaire est devenue emblématique des violations d'une stricte séparation des pouvoirs dans une démocratie.

Le ministre régional de l'Intérieur de Rhénanie du nord-Westphalie, Herbert Reul (CDU), du Land qui a procédé à l'expulsion de Sami Idoudi, a réclamé aux juges de garder en tête "ce que la population considère comme juste ", c'est-à-dire d'éloigner les terroristes présumés.

Ces propos ont de nouveau déclenché une avalanche de réactions pour rappeler au ministre que l'exécutif n'avait pas son mot à dire dans les affaires judiciaires. Le secrétaire-général du SPD réclame désormais sa démission.

Kriminalgericht Moabit
Image : picture-alliance/dpa/J.Kalaene

Un autre ministre régional, celui de l'Intégration, a reconnu des « déficits dans l'information » mais refusé de quitter son poste, tandis que la plus haute juge du Land accuse les responsables politiques d'avoir fait de la rétention d'information pour permettre l'expulsion de Sami Idoudi.

L'administration de Rhénanie du Nord Westphalie doute du risque de torture encouru par Sami Idoudi en Tunisie, où il vit actuellement en liberté mais sans passeport valide. Et l'administration régionale a indiqué qu'elle continuerait de procéder à l'expulsion de tout individu considéré comme dangereux.

Bochum chargée du retour

Dernier rebondissement : un autre tribunal administratif de la région demande à la ville de Bochum de faire revenir Sami Idoudi en Allemagne. La municipalité va "tolérer" sa présence exceptionnelle dans le pays, en dépit de l'interdiction qui lui a été faite par d'autres services d'entrer sur le territoire.

Ce qui alimente le débat, c'est que la Tunisie est en passe d'être déclarée par les autorités allemandes comme un "pays sûr", à l'instar du Maroc, de l'Algérie et de la Géorgie. Un "pays sûr" est un pays vers lequel les demandeurs d'asile déboutés d'Allemagne peuvent être expulsés sans que leur intégrité physique ou morale ne soit en danger.