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Jumelages vivants

Sabine Hartert / Audrey Parmentier10 janvier 2013

Au début des rencontres, ils étaient sceptiques. De ce scepticisme est né un jumelage entre Hauteville, en France, et Ronneburg, en ex-Allemagne de l’Est. Des habitants des deux villes l'entretiennent depuis 20 ans.

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Image : DW

« Il n'y a pas de femmes au foyer stressées », voilà l'une des impressions qui ont marqué Thomas Laich lors de sa première visite à Hauteville-Lompnes et de son premier voyage en France. Le musicien d'Eglise s'extasie quand il y repense. Il est assis dans la salle de répétition des instruments à vents de la tour de l'église de Ronneburg et explique qu'il a été impressionné par le savoir vivre des Français. C'était en 1992. L'amitié entre Hauteville, comme on l'appelle là-bas en version racourcie, et Ronneburg en Thuringe est désormais établie. Depuis 2003, cette amitié s'est dotée d'un cadre juridique et s'est transformée en jumelage. Et l'enthousiasme des participants des deux petites villes est intact.

Apprendre de ses amis

De Lyon, métropole française, il faut rouler pendant une bonne heure en direction de l'est, et traverser tout d'abord de douces collines. Ensuite une route sinueuse descend dans des gorges profondes où rugissent les cascades pour remonter jusqu'au plateau. C'est par là, en passant devant la carrière du célèbre calcaire jaunâtre de Hauteville, que l'on accède au centre de la petite ville de 4 000 habitants. A Hauteville, on est fier de cette pierre qui a servi à construire la Statue de la Liberté ou encore l'Empire State Building de New York. Les maisons sont réparties au hasard dans le paysage, à environ 900 mètres d'altitude. Tout autour, de grands bâtiments ressemblent ici et là à d'anciens grands hôtels. Une bonne moitié d'entre eux semble abandonnée, ce sont les anciens sanatoriums. Au début du 20ème siècle, Hauteville était une station thermale très prisée, où venaient se faire soigner des malades atteints de la tuberculose. Aujourd'hui, quelques uns des 30 bâtiments servent de centres de réhabilitation pour des victimes d'accidents. Une partie d'entre eux est vacante, d'autres ont été transformés: pour faire des économies, les caisses d'assurance et les communes du département de l'Ain ont dû regrouper certains d'entre eux. Pour le maire Bernard Maclet, la pilule a du mal à passer. Mais grâce au jumelage avec Ronneburg, il peut observer les mesures prises là-bas pour faire face au changement de la situation économique. Dans ce domaine, Hauteville a beaucoup appris de sa ville jumelle.

Le calcaire de Hauteville est exporté dans le monde entier
Le calcaire de Hauteville est exporté dans le monde entierImage : DW

Plus proche de la France que de l'Allemagne de l'Ouest

Les amis de Ronneburg sont unanimes : c'est la convivialité des habitants de leur ville partenaire qui fait oublier la grande distance géographique qui les sépare. « La France me plaisait parce que, de par ses rapports entre les gens et son développement, elle représentait une étape intermédiaire entre l'Allemagne de l'Ouest et l'Allemagne de l'Est », explique Regina Born, qui peu après la chute du Mur, a quitté Ronneburg pour Hauteville où elle a exercé le métier d'infirmière. Elle dit avoir perçu un côté humain qu'elle connaissait de la RDA et qui lui manquait en Allemagne de l'Ouest. Le musicien d'Eglise Thomas Laich, qui était là lors du premier séjour des habitants de Ronneburg à Hauteville, voit les choses de la même manière : « la mentalité ici était assez semblable à la mentalité de RDA ».

Mais tous les habitants de Hauteville n'ont pas sauté de joie à l'idée que leur ville soit jumelée avec une commune allemande. Certains, d'après Marie-Hélène Oucherfi, présidente du Comité de jumelage, ont même été choqués. Il faut dire que, pendant la Seconde Guerre mondiale, la région environnante a servi de terrain de repli aux résistants français, et la ville de Lyon, où sévissait le criminel de guerre Klaus Barbie plusieurs fois condamné par la suite, n'est pas loin. Mais dans le comité, deux membres qui avaient vécu la guerre ont vivement défendu l'idée d'un échange avec les Allemands, comme l'explique Marie-Hélène Oucherfi. Pour le maire Bernard Maclet, si cette amitié a autant d'importance, c'est parce que les deux parties ont appris à se connaître et qu'elles ont pu laisser le passé derrière elles.

Hauteville-Lompnes est située non loin de Lyon, sur un plateau
Hauteville-Lompnes est située non loin de Lyon, sur un plateauImage : DW

A Hauteville, Ronneburg fait partie du quotidien

«On nous aborde au supermarché », explique la maire de Ronneburg Krimhild Leutloff, « parce que les gens s'intéressent à nous ». Ils veulent savoir « quand on est arrivé et combien de temps on reste ». Ils arrivent à communiquer, même si tous ne maîtrisent pas la langue de l'autre aussi parfaitement que Krimhild Leutloff. Avec un petit sourire, son collègue Bernard Maclet note que le plus grand problème des Français, c'est qu'ils parlent uniquement français. « Mais ce n'est pas un obstacle. On arrive plus ou moins à se comprendre avec le dictionnaire, les mains et les gestes. » Entre les rencontres, la plupart des participants restent en contact par lettres, téléphone ou par Internet. « J'essaie de communiquer en allemand mais je fais certainement beaucoup de fautes », confie Marie-Hélène Oucherfi et elle ajoute : « nos amis allemands essaient eux aussi de s'exprimer en français ». La présidente du comité de jumelage côté allemand, Brigitte Kühn, a appris le français à l'école et les contacts avec les amis de Hauteville l'encouragent à entretenir et à rafraîchir ses connaissances. Tous, à Hauteville comme à Ronneburg, sont d'accord pour dire qu'Internet est un bon moyen de garder le contact, mais qu'il ne remplace pas les rencontres en chair et en os.

Le maire d'Hauteville, Bernard Maclet
Le maire d'Hauteville, Bernard MacletImage : DW

Les membres du groupe de punk-rock PVC ne considèrent pas non plus le jumelage comme une relique du passé. Pendant une pause lors de leur répétition ils évoquent, entre leurs instruments et les enceintes, les bonnes expériences qu'ils ont faites à Ronneburg. Ils s'y sont rendus pour la première fois à l'été 2012. Valentin Scion a un avis très tranché : « Bien sûr, sur Internet, tout le monde peut parler à tout le monde. Mais le contact personnel avec l'interlocuteur, c'est complètement autre chose. » Pour lui, le jumelage permet de rencontrer de nouvelles personnes, ce qui est très enrichissant. Son ami Valentin Leroy partage cet avis : « Internet ne fait pas tout. Avec le jumelage, on fait vraiment de très belles rencontres, ce qui n'est pas possible sur Internet. »

On se réjouit d'avance

La prochaine rencontre est prévue à Hauteville en automne 2013. D'ici là, les habitants vont regarder régulièrement les vidéos et les albums photos soigneusement entretenus. A Ronneburg, la tension est déjà montée d'un cran : « Quel programme nous attend ? », se demande dès aujourd'hui la maire Krimhild Leutloff. Ce qui est sûr, c'est que la bière allemande et plusieurs centaines de saucisses grillées de Thuringe seront du voyage. Ces deux spécialités sont très appréciées à Hauteville. Ariane Stölzner, la femme du boucher, se réjouit de voir que les produits de la région dépassent les frontières : « On est quand même un peu fier de faire connaître nos saucisses dans le vaste monde». Sur une petite place au centre de Hauteville, elles sont ensuite grillées sous un vieux tilleul imposant. Et c'est à ce moment là que retentit le « cri de guerre » du comité de jumelage français : « Ein Prosit der Gemütlichkeit », « Trinquons à la convivialité » prononcé avec un fort accent français. Krimhild Leutloff le sait déjà : « Quand à Hauteville, j'ouvre les fenêtres de bonne heure, que je vois le brouillard monter à travers les arbres, et que j'entends les coqs chanter, je sais pourquoi j'ai fait tout ce chemin. »

Les présidentes des deux associations de jumelage, Brigitte Kühn (à g.) et Marie-Hélène Oucherfi
Les présidentes des deux associations de jumelage, Brigitte Kühn (à g.) et Marie-Hélène OucherfiImage : DW