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SociétéAllemagne

Il y a 30 ans, l'attentat xénophobe de Mölln

Vu d'Allemagne
26 novembre 2022

Le 23 novembre 1992, une femme et deux enfants perdaient la vie dans un incendie criminel à Mölln, dans le nord de l'Allemagne. Retour sur un des actes xénophobes qui ont marqué les années 1990 en Allemagne. // L'Albanie fait face à un exode massif de ses jeunes qui partent à la recherche d'un avenir meilleur, avec des lourdes conséquences sur l'économie.

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Bahide Arslan, 51 ans, Yeliz Arslan, 10 ans, Ayse Yilmaz, 14 ans. Trois victimes de l'attentat xénophobe qui s'est produit à Mölln, dans le nord de l'Allemagne, il y a tout juste 30 ans.

Le 23 novembre 1992, peu après minuit, deux néonazis envoient des cocktails Molotov sur deux immeubles d'habitation de cette petite ville du Schleswig-Holstein. Lars C. a 19 ans à l'époque des faits, Michael P., 25 ans. Ils ont choisi cette cible car ils savaient que des familles turques y vivaient.

Des pompiers sortent de l'immeuble incendié à Mölln, des voisins ont déposé des fleurs dans les décombres
Neuf personnes ont également été gravement blessées lors de l'incendie de MöllnImage : picture-alliance/dpa

Après leur attentat, un interlocuteur anonyme téléphone à la police et aux pompiers pour prévenir de l'incendie et conclut son appel par "Heil Hitler".

Les habitants du premier immeuble réussissent à se sauver, certains au prix de graves blessures. Dans l'autre, Bahide Arslan, sa petite-fille Yeliz et sa nièce Ayse périssent dans les flammes. La grand-mère réussira tout de même à sauver son petit-fils de 7 ans, Ibrahim, en l'enveloppant dans un drap mouillé. 

Vague de xénophobie mais aussi de solidarité

Cet attentat s'inscrit dans une série d'actes criminels racistes qui frappent l'Allemagne dans le sillage de la réunification. En quelques mois, entre 1991 et 1993, des attentats sont commis à Sarrelouis, Rostock, Mölln ou encore Solingen. 

Les cibles sont des foyers de demandeurs d'asile ou des habitations de familles immigrées. A Solingen, cinq personnes perdent la vie le 29 mai 1993, toutes membres d'une même famille d'origine turque.  

Des manifestants portent une banderole sur laquelle est inscrite "contre la violence et le fascisme".
Après l'incendie criminel de Mölln, plusieurs milliers de personnes manifestent spontanément à Hambourg contre la violence et le fascismeImage : picture-alliance/dpa

Une vague de xénophobie attisée par le débat qui agite alors le pays autour de la politique d'asile du gouvernement. Katrin Inga Kerstein, avocate de la famille Arslan, se souvient de l'ambiance qui régnait à l'époque en Allemagne.

"Ce que l'on peut dire, c'est que c'était une période où il y avait une grande exclusion sociale de la population immigrée, dans presque tous les domaines. Il y avait aussi un racisme ouvert, y compris dans les médias. Il ne pouvait et ne devait pas être nommé comme tel, mais il a contribué à ce qu'il y ait parfois une véritable ambiance de pogrom." 

Xénophobie ouverte, mais aussi élan de solidarité : après l'attentat de Mölln, plusieurs milliers de personnes se rassemblent spontanément pour une marche silencieuse dans la ville. Les jours et les semaines qui suivent, des manifestations et des chaînes de lumière sont organisées à travers le pays pour protester contre le racisme. 

Un peu plus tôt en novembre, un collectif de musiciens de Cologne, dans l'ouest de l'Allemagne, rassemble plus de 100.000 personnes pour un concert contre le racisme et les néonazis. 

Des Berlinois se tiennent debout, une lumière à la main, devant la Porte de Brandebourg
200.000 personnes ont participé à une chaîne de lumière pour protester contre la xénophobie et les violences néonazies, le 25 décembre 1992Image : picture-alliance/dpa

Helmut Kohl absent des funérailles

Environ 10.000 personnes sont également présentes aux funérailles des victimes de Mölln à Hambourg, mais une personnalité brille par son absence : le chancelier Helmut Kohl. Son bureau fait savoir qu'il ne souhaite pas faire de "tourisme de condoléances".

Les Allemands lui reprocheront de minimiser les violences xénophobes pour ne pas nuire à l'image de l'Allemagne à l'étranger, juste après la réunification du pays.

Une foule suit le défilé des cercueils des victimes de Mölln à Hambourg, le 27 novembre 1992
Helmut Kohl n'a pas tenu à se rendre aux funérailles des victimes de Mölln le 27 novembre 1992 à HambourgImage : picture-alliance/dpa

Dans une émission du programme francophone de la Deutsche Welle, diffusée en juin 1993, le politologue allemand Ingo Kolboom s'interrogeait sur les conséquences de cette absence sur les autres événements

"Je ne sais pas si on aurait pu éviter Solingen si le chancelier avait assisté tout de suite. Ce genre d'attentats est le fait de gens malades, on peut difficilement les éviter. Mais ce qu'on peut éviter, c'est un environnement qui les encourage. Ce qu'on peut faire, c'est développer une culture de vigilance de société civile. En ce moment, je pense que la population allemande représente beaucoup plus cet esprit de vigilance contre ces dangers-là."

Les autorités prennent l'attentat de Mölln toutefois suffisamment au sérieux pour ordonner une enquête du parquet fédéral. Selon le procureur de l'époque Alexander von Stahl, l'attentat vise "à désabiliser la sécurité intérieure du pays".

Les auteurs sont traduits en justice et consamnés un an plus tard à des peines de prison pour tentative d'homicide sur sept personnes. Les deux ont entretemps été libérés...

La xénophobie n'a pas disparu en Allemagne

Au niveau de l'Etat fédéral, la "vigilance morale" est représentée par le président Richard von Weizsäcker, qui lance un appel contre le climat de xénophobie:

"On ne peut pas continuer ainsi, avec ces agressions révoltantes et et surtout, il ne faut pas laisser se répandre plus longtemps les cellules d'extrême droite qui se sont formées ici".

Trente ans plus tard, c'est également le président fédéral, qui a reçu des représentants de la famille Arslan pour parler, notamment des difficultés rencontrées par ces derniers après l'attentat de Mölln.

Dans un discours prononcé en août, Frank-Walter Steinmeier a également mis en garde contre un climat social propice aux actes de violence et appelé l'Etat à faire tout ce qui est en son pouvoir pour protéger les gens contre l'incitation à la haine et la violence.

Car le climat de xénophobie n'a pas disparu depuis les années 1990. Il y a eu d'autres attentats xénophobes : au moins neuf assassinats du groupe néonazi NSU au début des années 2000, ou encore les attentats de Halle et Hanau ces trois dernières années - pour ne citer que les plus connus. Un parti xénophobe, l'AfD, siège depuis 2017 au Bundestag. Ce qui fait dire à l'avocate Katrin Kerstein:

"Ce qui a changé - et c'est d'ailleurs ce que Faruk Arslan a décrit - c'est que les nazis sont aujourd'hui en costume-cravate. On ne les reconnaît plus aussi facilement, mais ils sont toujours là."

Un mur rappelle les noms des neuf victimes de l'attentat de Hanau, le 19 février 2020
Le 19 février 2020, un attentat xénophobe a causé la mort de neuf personnes à Hanau. Leurs noms sont inscrits sur ce mur.Image : Boris Roessler/dpa/picture alliance

Une étude récemment publiée par l'université de Leipzig montre à quel point le racisme et la xénophobie sont toujours d'actualité en Allemagne. Si elle constate un recul des idéologies d'extrême droite chez les Allemands, l'étude souligne en effet que les attitudes xénophobes restent répandues. 

Près d'un tiers des personnes interrogées déclarent ainsi que les "étrangers" ne viennent ici que "pour profiter de l'État social". Et presque autant considèrent que la République fédérale est "dangereusement envahie par les nombreux étrangers". 

Katrin Kerstein note parallèlement un changement d'attitude de la part des victimes de violences xénophobes.

"Ce qui a également changé, c'est que les personnes concernées par les violences xénophobes se soutiennent mutuellement. Elles renforcent leurs revendications, y compris contre l'État qui ne les a pas protégées et contre un État qui a en partie rendu des meurtres possibles en n'agissant pas ou en fermant les yeux, en menant des enquêtes partiales, etc."

Le collectif Arsch Huh de Cologne a quant à lui ressorti ses instruments à plusieurs reprises au cours des deux dernières décennies : en 2008, lorsqu'un mouvement d'extrême-droite avait tenté d'organiser un "congrès anti-islamique" européen, puis en 2012 et 2019, cette dernière fois pour protester contre l'utilisation de chansons populaires dans les manifestations néonazies.  

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Les jeunes Albanais ne voient pas d'avenir chez eux

Tirana, Place Scanderbeg
La place Scanderberg, nommée après le héros national albanais Georges Castriste, est de plus en plus déserte Image : Niklas Mönsch/DW

Vu d'Allemagne, deuxième partie. Un nouvel accord entre la France et le Royaume-Uni prévoit d'accentuer les contrôles dans la Manche. L'objectif est d'empêcher la traversée de la France vers l'Angleterre. Depuis le début de l'année, au moins 40.000 personnes ont tenté ce périple au péril de leur vie. Un tiers d'entre elles étaient des Albanais. Le nombre d'Albanais qui arrive de l'autre côté de la Manche dépasse désormais celui des Kurdes et des Syriens et la majorité ont entre 20 et 30 ans. Pourquoi ces jeunes partent-ils de leur pays ? Et quelles sont les conséquences de cet exode pour l'économie locale?

Réponses dans le reportage de Niklas Mönch à Tirana, la capitale albanaise.

 

Vu d’Allemagne est un magazine radio hebdomadaire, proposé par Hugo Flotat-Talon et Anne Le Touzé, diffusé le mercredi et le dimanche à 17h30TU, et disponible aussi en podcast. Ont contribué à ce numéro : Christoph Hasselbach (Mölln) et Niklas Mönsch. 

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Politique, économie, histoire... Vu d'Allemagne est un podcast hebdomadaire sur l'Allemagne, avec un grand reportage international en seconde partie d'émission.