Marylène Patou-Mathis (1/2) : "L'homme préhistorique est aussi une femme" | PROGRAMME | DW | 06.04.2021
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PROGRAMME

Marylène Patou-Mathis (1/2) : "L'homme préhistorique est aussi une femme"

La préhistorienne Marylène Patou-Mathis nous explique en deux volets comment la misogynie du XIXe siècle a déformé notre idée de la préhistoire.

Nous nous entretenons cette semaine et la semaine prochaine avec la préhistorienne Marylène Patou-Mathis, du CNRS.

La chercheuse rappelle, comme le proclame le titre de son dernier ouvrage paru aux éditions Allary : L’homme préhistorique est aussi une femme !
Et vous allez voir, que non, au paléolithique, les femmes n’étaient pas des objets réduits aux travaux subalternes et à subir la violence masculine. Non, elles chassaient, elles étaient artistes, peut-être, artisanes, guerrières.

Marylène Patou-Mathis nous explique pourquoi, alors, on a l’image de femmes faibles qui balaient les grottes de notre imaginaire collectif… et en quoi cela a un rapport avec les mécanismes qui entretiennent le racisme. Lisez ici un extrait de l'entretien :

***

Marylène Patou-Mathis, bonjour, vous êtes historienne, directrice de recherche au CNRS en France. Donc ça veut dire que vous êtes historienne de la préhistoire et spécialiste des Néandertaliens qui tirent leur nom d'une vallée qui n’est pas si loin de nos studios de la DW. De quelle période parle-t-on, de quelle durée et de quel espace géographique?

J'ai essayé d'aborder les femmes dans la préhistoire à d'autres périodes aussi que celle des Néandertaliens. Mais c'était passionnant pour moi, au départ, de travailler sur Néandertal. Ils ont été trouvés dans la vallée de Neander, ils précèdent une grande partie des Homo sapiens, nos ancêtres directs. C’est une période où on a beaucoup de fouilles qui nous permettent de comprendre ces humains. Elle commence à peu près à partir de 400.000 ans pour les premiers Néandertaliens. Et puis, ils vont disparaître vers 35.000 ans.

 

Vous avez publié en 2020 "L'homme préhistorique est aussi une femme, une histoire de l'indivisibilité des femmes", aux Editions Allary. Dans l'introduction vous citez Simone de Beauvoir, notamment, qui écrivait : "Toute l'histoire des femmes a été écrite par des hommes". Est-ce qu'on peut dire même qu'elle a été écrite par des hommes blancs, essentiellement au 19ème siècle, en ce qui concerne la préhistoire telle qu'on se la représente encore largement aujourd’hui ?

Oui, vous avez tout à fait raison. Parce que la préhistoire, en tant que discipline scientifique émerge vers 1860, est à cette période-là, en fin de compte, ceux qui étudient les découvertes sont en France, en Belgique et en Angleterre, en Europe occidentale, et ce sont essentiellement des hommes : des instituteurs, des curés, des médecins. Et donc, ce sont eux qui font les fouilles et ce sont eux qui vont calquer leur mode de vie à eux, en tant qu’homme blanc occidental, leur société patriarcale, sur l’époque des humains préhistoriques.

 

Vous dites que votre propos est de restituer aux femmes leur juste place dans l'évolution humaine. Ça veut dire qu'il faut d'abord identifier tous ces préjugés, tous ces stéréotypes qui ont été calqués sur les découvertes pour ensuite proposer une autre lecture, d'autres hypothèses ?

C’est tout à fait ce que j'essaie de faire. En fin de compte, j'avais fait le constat qu'on ne parlait pas beaucoup des femmes, qu'elles étaient un peu transparentes. J’ai voulu comprendre pourquoi. Je pense qu'en mettant en évidence le biais méthodologique, les présupposés, les préjugés, etc. cela permet ensuite de regarder de plus près les données archéologiques dont on vient de parler - tout le matériel concernant des fouilles archéologiques – puis de les regarder avec un regard neuf et pas simplement avec ce regard qui verrait donc, par exemple, des taches très marquées entre les sexes dès ces périodes-là, ou qui verrait l'infériorité des femmes à cette période-là. Après, on travaille pour essayer de redonner leur juste place aux femmes dans l'histoire, dans l'évolution.

 

Ce que vous dites aussi, c'est qu’il n'y a pas de preuve qui nous permettent d'affirmer, par exemple, qu'à l'époque, les femmes étaient considérées comme inférieures aux hommes dans les sociétés humaines.

Au Paléolithique, on ne voit pas du tout le statut inférieur des femmes. Au contraire, les femmes sont très présentes dans la symbolique, mais il va y avoir évidemment après d'autres sociétés dans la préhistoire, plus modernes, au lieu d'être des chasseurs cueilleurs.

Au Néolithique, il y a à peu près 12.000 ans, l’humain va devenir éleveur et agriculteur. On s'aperçoit qu’avec ce changement, la femme va obtenir un statut inférieur, subordonné, peut-être arrivons-nous à une division sexuée des tâches, à une différenciation entre des tâches féminines et des tâches masculines. C'est là que se met en place le système patriarcat qu'on va retrouver un

 

Vous faites également un parallèle entre cette hiérarchisation des sexes, des genres, des rôles attribués au sexe dans les sociétés et la hiérarchisation des races qui a eu lieu à peu près à la même époque, quand la préhistoire est arrivée dans le domaine scientifique. Est-ce à dire que ça a servi aussi à légitimer de pouvoir les équilibres qui étaient en place à l'époque où les grands empires coloniaux étaient en train de se mettre en place ?

C'est ce qui m'a fait penser, justement, qu'il serait intéressant de travailler sur le sujet de la femme parce que j'ai fait un précédent livre qui s'appelle "Le sauvage et le préhistorique, miroir de l'homme occidental", chez Odile Jacob (voir ici). Et en fin de compte, je m'étais aperçue, en travaillant sur ce livre, qu’à chaque fois, dans cette classification du 19ème siècle, on fait des mesures, des catégorisations des êtres humains en fonction de cette mesure, ce que Stephen J. Gould appelait « la mal-mesure de l'homme » qui a fait tant de mal. Donc, ces mesures permettaient à ces anthropologues de classer les humains. Comme bien sûr, cette notion qui est maintenant complètement désuète : la notion de race. Et là, je me suis aperçue à chaque fois que dans chaque catégorie, eh bien, la femme était plus bas encore que l'homme. Vous vous rendez compte que dans cette classification, à l'intérieur de chaque catégorie raciale que vous avez, la femme était considérée comme inférieure à l'homme. C'est terrible et c'est pour ça que pendant des décennies, voire des siècles, on a pensé qu'il n'était pas possible que les femmes soient des guerrières, par exemple.

Droits et Libertés est une émission préparée, produite et présentée par Sandrine Blanchard.

Avec un grand merci cette semaine à Marylène Patou-Mathis que nous retrouvons pour le second volet de notre entretien la semaine prochaine!

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