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Libye: intervenir ou pas?

11 mars 2011

Deux grands sujets se partagent l'actualité africaine dans la presse allemande: la Libye et la Côte d'Ivoire. L'éventualité d'une intervention de la communauté internationale en Libye soulève de nombreuses questions.

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Rebelles près de Ras LanoufImage : dapd

Aucun journal n'apporte une réponse tranchée, la presse soupèse bien plutôt le pour et le contre. Intervenir en Libye? s'interroge la Frankfurter Allgemeine Zeitung dans son édition du 8 mars. L'éventail des options militaires est étroit: une intervention massive par des frappes aériennes sur des objectifs gouvernementaux libyens et le débarquement de troupes, un appui aux insurgés par des forces spéciales, des conseillers militaires et du matériel, une zone d'exclusion aérienne, surveillée par des avions de combat alliés. L'armée libyenne, note le journal, est équipée principalement de matériel ex-sovétique qui pour les Américains et d'autres pays de l'OTAN ne représente pas un risque militaire important. Mais le risque politique est infiniment plus grand: à savoir la consolidation de la violence en une guerre civile d'une durée indéterminée et d'une intensité grandissante avec des pertes croissantes dans la population.

L'hebdomadaire Die Zeit se demande dans son édition du 10 mars pendant combien de temps encore les occidentaux peuvent assister en spectateurs à la tuerie en Libye. Les grandes puissances sont d'accord, note le journal: Kadhafi doit dégager. Il se moque des sanctions du conseil de sécurité de l'ONU. Mais si l'impulsion d'intervenir militairement est honorable, elle est aussi douteuse. Un mandat de l'ONU passe pour la condition préalable. Mais l'adoption d'un tel mandat butera sur le refus de la Russie et de la Chine. Alors intervenir sans mandat, comme au Kosovo? Pour l'heure les réticences l'emportent encore. Les occidentaux, poursuit Die Zeit, seraient à coup sûr soupçonnés de ne s'intéresser qu'au pétrole et de vouloir préserver leurs investissements en Libye. Plus grave encore : toute intervention occidentale ôterait sa dignité au soulèvement contre le Saddam Hussein du Sahara. La révolution libyenne apparaîtrait comme le résultat d'une intervention occidentale. Le coeur pousse à l'intervention, la raison commande la retenue, conclut Die Zeit. La Tageszeitung est elle aussi déchirée. Une entrée en guerre des Etats-Unis ou de l'OTAN peut être considérée comme la meilleure option pour mettre un terme au carnage en Libye. Mais encore faut-il le dire clairement et désigner tout aussi clairement le but de guerre. Les guerriers du bien ne sont pas à l'abri de revers militaires. Ce ne serait pas la première fois que de nobles mobiles débouchent sur un désastre.

Libyen Proteste gegen Gaddafi
Manifestation anti-Kadhafi à Benghazi le 10 marsImage : ap

Des rebelles qui demandent des armes

La presse allemande regarde aussi du côté des insurgés. Le Tagesspiegel de Berlin, brosse dans son édition du 10 mars un portrait de Moustapha Abdel Jalil, l'ex-ministre de la justice, aujourd'hui président du conseil national provisoire qui entend gouverner l'est rebelle du pays jusqu'à la chute de Kadhafi. Comme ministre, écrit le journal, et avant même le soulèvement contre Kadhafi, il jouissait d'une bonne réputation auprès d'organisations de défense des droits de l'homme comme Human Rights Watch et amnesty international. Il n'hésitait pas à défendre les droits des prisonniers et à dénoncer l'arbitraire de la Sécurité d'Etat et du ministère de l'intérieur. Aujourd'hui Jalil sait que le temps joue contre les rebelles. Les insurgés note le journal, souhaitent surtout une zone d'exclusion aérienne et des armes contre les chars, les hélicoptères et les avions de Kadhafi, Jalil plaide auprès des capitales occidentales pour un appui militaire sans intervention militaire.

Elfenbeinküste Flüchtlingskinder in Abidjan
Enfants déplacés à AbidjanImage : dapd

Quand un patronyme vous condamne à mort

L'autre grand sujet est la Côte d'Ivoire. Et plus de trois mois après le début de la crise post-électorale, les journaux allemands sont très pessimistes.

Le Tagesspiegel de Berlin relève que les Nations Unies en sont encore à mettre en garde contre l'éclatement d'une nouvelle guerre civile, alors que la Côte d'Ivoire est déjà replongée dedans. Depuis la fin février 200 000 personnes ont fui Abidjan. La Süddeutsche Zeitung fait de la Côte d'Ivoire son thème du jour dans son édition du 7 mars. L'un des articles est intitulé "Les boyscouts du mal". Ces boyscouts ce sont les Jeunes Patriotes, des bandes de voyous, écrit le journal, dirigées par un homme du nom de Charles Blé Goudé qui comme nervi et propagandiste s'est rendu indispensable auprès de Gbagbo. Sa troupe répond toujours présente lorsqu'il s'agit de tuer, d'incendier ou de piller. Comme toujours, déplore le journal, l'Union africaine a beaucoup palabré mais n'a pas produit une seule idée pour résoudre le conflit. Le reste du monde regarde vers la Libye. Pour être prise au sérieux, la Côte d'Ivoire devra d'abord produire des milliers de morts.

Elfenbeinküste Ausschreitungen
Les corps calcinés de trois soldats présumés pro-GbagboImage : AP

Dans le second article la Süddeutsche Zeitung relate comment un patronyme, en Côte d'Ivoire, peut signer votre arrêt de mort. Rien dans la vie de Moussa Coulibaly, écrit le journal, ne laissait présager qu'il mourrait d'une mort violente. C'était un gentil jeune homme qui vivait dans le quartier de Yopougon, à Abidjan. Il gagnait sa vie comme monteur d'antennes-satellites, il s'occupait de sa femme et de ses deux enfants. Il faisait la fierté de ses parents. Tout allait pour le mieux - sauf son nom. Car qui s'appelle Coulibaly en Côte d'Ivoire est un musulman originaire du nord du pays, ou d'un des pays voisins du nord. Il passe automatiquement pour un partisan d'Alassane Ouattara. Le conflit a transformé des voisins en ennemis et rendu particulièrement vulnérables ceux qui, de par leur seul nom, peuvent être rangés dans un camp ou dans l'autre, Moussa Coulibaly en est un exemple. Sa prudence n'aura été d'aucune utilité la nuit où son assassin est venu. C'est la démocratie à l'ivoirienne, poursuit le journal: il suffit qu'un patronyme semble indiquer une certaine préférence politique et que quelqu'un d'autre y voit un sacrilège à venger pour qu'un homme meurt et que sa famille soit plongée dans le malheur. Moussa Coulibaly avait tout juste vingt ans.

Auteur: Marie-Ange Pioerron
Edition: Fréjus Quenum