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La cour martiale, idée inutile et dangereuse au Tchad

Blaise Dariustone
6 juin 2019

Le président Idriss Déby a menacé de rétablir la cour martiale pour mettre fin aux conflits intercommunautaires dans son pays. La menace d'une justice militaire est critiquée par l’opposition et la société civile.

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Nord-Mazedonien Gefängnis Idrizovo in Skopje
Image : Petr Stojanovski

"Il y a toutes les juridictions compétentes pour juger les crimes au Tchad" (Dobian Assingar, représentant FIDH aurpès de la CEMAC)

A la fin du mois de mai, les provinces du Sila et de l’Ouaddai à l’est ont enregistré plus d’une trentaine de morts dans des conflits liés à la transhumance. Une violence qui a poussé le chef de l'Etat Idriss Deby Itno a menacer de rétablir la cour martiale pour mettre un terme à ce qu’il qualifie de "cruauté humaine".

Une annonce qui a suscité des inquiétudes chez de nombreuses organisations de défense des droits de l’homme. Dobian Assingar est le représentant au Tchad de la Fédération internationale des droits de l’homme, la FIDH, auprès de la CEMAC. "Il y a toutes les juridictions compétentes pour juger des crimes au Tchad donc je ne vois pas pourquoi encore réactiver la cour martiale. L’article 17 de la constitution dispose clairement que la personne humaine est inviolable et on veut rétablir la cour martiale, ça fait désordre. Tous les jours que Dieu fait, les conflits intercommunautaires entre agricultures et éleveurs font des morts. Dans ces condition, il faudrait que le président de la République sache que c’est peut-être la moitié des Tchadiens qu’il va passer par les armes," martèle Dobian Assingar.

Max Kemkoye est le président de l’Union pour le développement et le progrès (UDP), un parti d’opposition. Pour lui, cette situation est la conséquence de l'absence de l’autorité de l’Etat. "Le recours à l’application de la loi martiale sous-entend qu'il s'agit d'un gouvernement incapable de faire appliquer la loi ou respecter la justice, ce qui traduit une absence de l’État qui doit recourir à des juridictions d’exception. Parce que c’est de ça qu’il s’agit. La loi martiale retire la possibilité du maintien de l’ordre public à la police pour la donner à l’armée et pour nous c’est tout simplement un recul," explique-t-il.

Tschad Straßenszene in Ndjamena
Image : DW/F. Quenum

Mais pour Jean Bernard Padaré, chargé des affaires juridiques du Mouvement patriotique du salut (MPS), le parti au pouvoir, le rétablissement de la cour martiale pourrait dissuader les auteurs des violences. Et dans tous les cas, celle-ci ne serait que provisoire. "Le chef de l’Etat ne peut prendre une décision qui peut aller à l’encontre des intérêts de la nation. S’il avertit, c’est parce qu'il a constaté que du fait de ce conflit, la nation risque d’être en péril. Si la cour martiale peut permettre à ce qu’il y ait moins de perte en vies humaines, je pense qu’il vaut mieux la rétablir. Je sais que serait d’une certaine manière un recul mais est ce qu’il vaut mieux sauver des vies humaines ou camper sur un principe qui en réalité produit des effets contraires ? Si le chef de l’état est amené à rétablir la cour martiale, ce sera provisoire et pour permettre à ce que ces genres de conflits cessent," souligne Mr. Padaré.

Rappelons que la cour martiale avait été mise en place en 1990 lors de l’arrivée au pouvoir du Mouvement patriotique du salut (MPS). Cette juridiction d’exception a prononcé à l’époque plusieurs condamnations à mort suivi d'exécutions.

Face à des critiques de nombreuses organisations de défense des droits humains nationales et internationales, elle a été supprimée en 1993 lors de la Conférence nationale souveraine.