1. Aller au contenu
  2. Aller au menu principal
  3. Voir les autres sites DW

L'été 1989, ou le démantèlement du Rideau de fer

26 juin 2009

Six mois avant la chute du Mur, le destin du Vieux continent se joue le long de la frontière entre l'Autriche et la Hongrie. Le 27 juin 1989, les chefs de la diplomatie des deux pays coupent les premiers fils barbelés

https://p.dw.com/p/Ibhj
Image : picture-alliance/ ZB

Quelques semaines avant la chute du Mur de Berlin, le destin du Vieux continent se joue le long de la frontière entre l’Autriche et la Hongrie. Helmut Kohl, le chancelier de la Réunification, rend hommage au courage des Hongrois:

Helmut Kohl Porträt
Helmut Kohl, le chancelier de la RéunificationImage : AP

"Sans la décision courageuse du gouvernement hongrois de laisser passer nos concitoyens à la frontière austro-hongroise, le processus de démocratisation en RDA n’aurait pas pu se dérouler comme il l’a fait. Pas aussi vite, en tous les cas. C’est la Hongrie qui a démantelé les premières pierres du Mur de Berlin."

Un démantèlement, qui commence le 2 mai 1989, avec la décision du gouvernement hongrois de lever le rideau de fer qui court sur 260 km le long de la frontière autrichienne. Une décision qui se concrétise le 27 juin, il y a tout juste vingt ans. Alois Mock, alors ministre autrichien des Affaires étrangères, et son homologue hongrois Gyula Horn, munis de pinces spéciales, coupent symboliquement les fils de fer barbelés qui séparent les deux pays, non loin de la ville de Sopron. Une première ouverture dans une frontière hermétique qui ne devient légale que le 10 septembre 1989. Mais entretemps, il y a eu un événement qui a fait couler beaucoup d’encre : le pique-nique pan-européen de Sopron. Laszlo Magas en est l’un des principaux organisateurs :

Grenzöffnung zwischen Ungarn und Österreich 1989
Alois Mock et Gyula Horn à la frontière austro-hongroiseImage : DPA

"C’était comme si le génie sortait de la lampe merveilleuse d’Aladin. C’est comme un gros coup de chance, une ironie de l’Histoire, que des Allemands de l’Est ont pu prendre la fuite, comme ça, d’un seul coup. On nous a menacés de nous dénoncer. On nous a dit qu’il y aurait des conséquences fâcheuses à nos actes. Mais dès le lendemain, je me suis rendu compte que quelque chose de grandiose s’était produit. Un ami m’a dit : « Tu sais, on a écrit une page d’Histoire."

Le 19 aout 1989, l’opposition hongroise et le mouvement pan-européen du prince Otto de Habsbourg organisent une petite fête champêtre, non loin de Sopron, petite ville hongroise sur la frontière autrichienne. Environ 600 citoyens de RDA en profitent pour forcer la frontière et s’enfuir en Autriche. Le Hongrois Arpad Bella est à cette époque garde-frontière :

Deutschland Berlin Berliner Mauer Mauerfall Feier
La joie des Allemands, juste après la chute du Mur, le 10 novembre 1989Image : AP

"D’un seul coup, il y a des tas de gens qui viennent vers moi, en provenance de la Hongrie. Je croyais que c’était la délégation officielle. Et puis, lorsqu’ils se sont approchés, je me suis rendu compte qu’il s’agissait de centaines d’Allemands de l’Est qui voulaient traverser la frontière. J’avais environ 30 secondes de réflexion. Qu’est-ce que je devais faire ? Les retenir ? Les laisser passer ? Selon les consignes, il fallait d’abord que je tire en l’air, que j’envoie des coups de semonce. Mais comment réagit un groupe des personnes assez remontées lorsqu’elles voient que quelqu’un sort son arme ? Peut-être que ces gens m’auraient attaqué. Et alors, toujours selon les consignes, j’aurais dû tirer sur eux. Fallait-il risquer un bain de sang ? Fallait-il les laisser passer, mais dans ce cas, vraisemblablement, c’est moi qui en subirais les conséquences ? J’ai décidé de ne pas broncher. Et une heure plus tard, c’était clair, mon supérieur est venu me voir et m’a dit, plutôt énervé, que c’était moi, et moi seul, qui endossais la responsabilité de tout cela."

Michael Gorbatschow
Mikhail Gorbatchev, l'artisan de la PerestroikaImage : AP

Un acte de bravoure à replacer dans le contexte du démantèlement de l’empire soviétique. Dès 1987, des passeports sont distribués aux Hongrois, des papiers qui donnent à la plupart de ces citoyens la liberté de voyager à l’étranger. Pendant ce temps en Union soviétique, Mikhail Gorbatchev, arrivé au pouvoir en mars 1985, tente de sauver un système figé et menacé d’asphyxie. L’homme fort de Moscou encourage une certaine liberté d’expression, c’est la Glasnost, et la restructuration d’une machine économique à l’agonie, c’est la Perestroika. Deux termes qui font chavirer le monde. L’historien Zsolt Vitari revient sur l’attitude du gouvernement hongrois.

"C’était un test, en ce sens que l’on voulait voir où était le seuil de tolérance de l’Union soviétique. La « doctrine Brejnev », qui préconisait l’ingérence soviétique en cas de problèmes, avait été abandonnée en 1986. Et sans Moscou, on ne pouvait pas appliquer de méthodes plus brutales. En ce sens, Gorbatchev est vraiment le personnage central de tous ces événements. C’est un fait acquis."

Berliner East Side Gallery
L'East Side Galery, l'un des vestiges du Mur de BerlinImage : picture-alliance/ ZB

Il n’est reste pas moins qu’à l’été 1989, personne ne pouvait prévoir ce qui allait se passer dans les semaines à venir. La chute du Mur de Berlin n’intervient qu’au mois de novembre. Laszlo Magas souligne donc l’importance du rôle des gardes-frontière :

"Qu’est-ce qui ce serait passé si Árpád Bella avait tiré ? Ç’aurait été une tragédie. Je crois qu’on nous aurait prévenus, ainsi que les gardes-frontière, si les Allemands de l’Est avaient véritablement planifié leur fuite. Mais personne n’a rien dit."

Árpád Bella est l’un des innombrables héros de la fin de rideau de fer. 20 ans après, cet ancien garde-frontière retrouve de temps en tempos les protagonistes de l’été 1989. Et bien sûr, son homologue, le garde-frontière autrichien Hans Göltl :

"Le pauvre Hans Göltl ! Qu’est-ce qu’il a eu peur quand il a vu les Allemands de l’Est venir vers lui ! Il m’a crié en allemand : « Mais pourquoi tu m’as rien dit ! T’es malade ou quoi ? Aujourd’hui encore, quand on boit un pot ensemble, il me répète qu’il ne me croit pas quand je lui dis que je n’étais pas au courant."

Les images de ce pique-nique pan-européen de Sopron, le 19 aout 1989, ont fait le tour de monde. Le 9 novembre 1989, le mur de Berlin tombait, comme un fruit avarié…

Auteurs : Carine Debrabandère, Christian Erdei
Edition : Anne Le Touzé