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Julienne Lusenge : "La paix profite à tout le monde"

3 mai 2022

Interview avec Julienne Lusenge, présidente de Solidarité féminine pour la paix et le développement intégral qui milite pour la paix dans le Nord-Kivu.

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Notre invitée cette semaine est Julienne Lusenge. Originaire du Nord-Kivu, dans l'est de la RDC, cela fait plus de quarante ans maintenant que cette femme milite pour améliorer les conditions de vie de ses concitoyennes.

L'organisation que préside Julienne Lusenge s'appelle Sofepadi- Solidarité féminine pour la paix et le développement intégral. Une structure qui lui permet notamment de venir en aide aux femmes victimes de violences sexuelles, mais aussi de promouvoir la paix dans l'espoir de voir un jour la population de l'est du Congo vivre normalement.

De passage à Berlin à l'invitation de Global Perpsectives, Julienne Lusenge parle, au micro de Sandrine Blanchard, de son engagement qui lui a valu de nombreuses distinctions internationales, elle parle aussi de ses difficultés... et de son optimisme malgré tout.

***

Julienne Lusenge, bonjour.

Bonjour.

Vous êtes originaire du Nord-Kivu, dans l'est de la RDC. Vous présidez l'Organisation Sofepadi, Solidarité féminine pour la paix et le développement intégral. Alors à quoi ressemble au quotidien votre travail? Quel est le type d'aide, de soutien que vous prodiguez ? Vos domaines d’action sont très vastes…

Oui, en fait, on est dans un pays en guerre pendant plus de 30 ans.

Il y a la question des violences sexuelles contre des femmes qui nous arrivent chaque jour. Les victimes sont aussi des enfants, des hommes détruits, traumatisés à cause des violences sexuelles qu'ils ont traversées.

Mais aussi, il y a toute la question de la cohésion sociale, les guerres, les conflits entre les communautés, comment les femmes peuvent s'impliquer pour restaurer la paix, faire les recherches, identifier les conflits, former les gens sur la résolution des conflits, la transformation des conflits pour que les gens puissent vivre ensemble malgré la situation.

Il faut également autonomiser les femmes, les former sur la gestion, leur donner accès à des activités génératrices de revenus. Il y a d'autres femmes qui veulent apprendre des métiers comme les victimes de violences sexuelles ou les déplacés. On ouvre des centres d'apprentissage des métiers où les femmes apprennent l'artisanat. Elles apprennent la couture. Elles apprennent la fabrication de pâtisseries. Elles font de l'alphabétisation.

Pour les jeunes filles qui sont victimes de violences sexuelles ou qui sont nées de viols, nous payons les frais scolaires pour qu'elles entrent à l'école et on les accompagne.

Les psychologues les accompagnent au quotidien pour les aider à surmonter les traumatismes et même les victimes des violences sexuelles sont suivies au quotidien. Les déplacés sont aussi suivis au quotidien par nos psychologues. Les avocats suivent au quotidien les victimes ou au tribunal, ils les aide à obtenir le jugement, à gagner des procès, à rassembler les preuves, amener les témoins. Tous les frais de justice, nous payons.

Nous mobilisons des ressources. Et pour répondre à ces besoins, il faut écrire des rapports à tous ces gens qui nous ont donné les moyens. Nous recevons des petits sous par ci, par là. Donc c'est beaucoup de travail. On n'a pas de congés, ce n'est pas facile. Mais on est soudés.

On est resté treize sur 18 fondatrices. On a 52 agents, on a maintenant cinq bureaux avec les antennes. Nous avons construit notre centre médical à Bunia avec l'aide de la Fondation Hope, une fondation qui nous a beaucoup, beaucoup soutenus depuis des années. Elle est basée à Genève et nous aide à avoir un salaire, à couvrir les frais de fonctionnement et aussi faire nos activités. Mais nous recevons aussi des fonds d’autres fondations pour appuyer nos activités. C'est comme ça que nous arrivons à nous en sortir.

Vous travaillez dans une région qui, depuis des décennies, plus de 30 ans maintenant, est très instable. Il y a encore beaucoup de groupes armés qui viennent de différents pays, qui y sont toujours actifs et s'en prennent toujours à la population. Est-ce qu'il y a des gens qui n'apprécient pas ce que vous faites? Des responsables politiques, peut-être, qui estiment que vous empiétez sur leur terrain, ou alors des gens qui peuvent craindre que vous les fassiez traduire en justice ?

Oui, bien sûr. Quand on travaille sur la paix et la justice, on n'est pas la bienvenue. De 2002 jusqu'à 2008, nous avons connu beaucoup, beaucoup de persécutions des groupes armés.

On a été délocalisé trois fois.

Une des collègues a été découpée par des coups de machette. Sa maison complètement détruite.

Il y a des collègues qui ont failli être violées. On a vraiment connu trop de problèmes à cette période-là. Bon, ce n'est pas encore fini. On travaille toujours avec tous les risques.

Il y a un collègue qui récemment a reçu des menaces, à Béni. Il a été délocalisé à Goma. Il est à Goma, puis Kinshasa. Il ne peut pas rester basé dans une même ville, simplement parce que nous travaillons sur ces questions.

Bien sûr, nous disons nous n'allons pas nous arrêter. Nous devons continuer. Continuer à travailler parce que sans cela, on ne va pas changer. La paix, c'est pour tout le monde. Tous ces gens-là qui sont en train de s'affronter aujourd'hui, demain, s'il y a la paix, ils vont aussi en bénéficier.

Julienne Lusenge, merci beaucoup.

Merci à vous.