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EconomieAfrique

L'Afrique peine à avoir des prix réduits pour internet

Jean-Michel Bos
20 septembre 2021

L'Afrique subsaharienne est l'une des régions du monde où internet reste le plus cher mais les baisses récentes de prix laissent espérer une amélioration.

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Simbabwe I Kostenloses Wifi in Mutare
A Mutare au Zimbabwe, il est possible de se connecter gratuitement au WiFi grâce à un hotspot public. Une aubaine dans un pays où les frais de connexion sont par ailleurs très élevés. Image : Tsvangirayi Mukwazhi/AP/picture-alliance

Le contraste sur le même continent pouvait difficilement être plus frappant. D'un côté, l'Afrique du Nord est la zone géographique où internet est le moins cher au monde. De l'autre, l'Afrique subsaharienne arrive à l'avant-dernière place. 

Entre les deux, plus de cinq dollars américains de différence pour un gigaoctet (un million d'octets) de données mobiles : 1,53 dollars contre 6,44 dollars, selon l'étude annuelle conduite par cable.co.uk.

Seule l'Amérique du Nord est plus chère mais le résultat est faussé par le prix de la connexion aux Bermudes (19,80 dollars) où, comme dans à peu près toutes les îles du monde, l'accès à internet est élevé.

Le contraste est clair entre l'Afrique du Nord et l'Afrique subsaharienne.
Le contraste est clair entre l'Afrique du Nord et l'Afrique subsaharienne.

Les consommateurs africains payent donc globalement deux fois plus que les abonnés européens.

Mais la comparaison est encore plus cruelle dans le détail. Toujours selon le classement établi par cable.co.uk, le pays le moins cher au monde est Israël (0,05 dollar pour un gigaoctet), la France (0,41 dollar) est à la onzième place, tandis que les Etats-Unis (3,33 dollars) et l'Allemagne (3,38 dollars) s'enfoncent dans le classement, respectivement aux places 155 et 156.

Mais que dire de la fin du tableau ? Sur les cinq pays les plus chers au monde, trois sont africains : Malawi, Sao Tomé-et-Principe et la Guinée équatoriale, dernier avec un record de 49,67 dollars pour un gigaoctet, soit près de mille fois plus qu'en Israël.

L'Afrique centrale mal placée

Dans la zone francophone, le Tchad (23,33 dollars) et la République centrafricaine (9,03) sont aussi deux pays où l'accès à internet, lorsqu'il n'est pas coupé, reste au-delà des capacités financières de la population.

Mais une illustration sur la carte du continent montre une couleur assez uniforme, bleu clair dans ce cas, qui indique une tendance qui n'est pas aussi désastreuse : la grande majorité des Etats africains restent en dessous de six dollars pour un gigaoctet de consommation.

Ce qui est toutefois une somme au regard du salaire moyen dans certains pays mais nous y reviendrons.

La Guinée équatoriale, le Malawi, le Tchad, la Centrafique et la Namibie sont les pays les plus chers d'Afrique.
La Guinée équatoriale, le Malawi, le Tchad, la Centrafique et la Namibie sont les pays les plus chers d'Afrique.

Cette histoire du prix de l'internet en Afrique n'est pourtant pas aussi déprimante et le récit aurait aussi pu débuter ainsi : malgré des prix supérieurs en moyenne au reste du monde, de nombreux pays africains ont connu des baisses spectaculaires au cours des dernières années.

A l'exception notable encore des deux pays d'Afrique centrale déjà cités (Tchad et République centrafricaine), la Mali, le Burundi et surtout le Bénin et le Niger ont vu leurs prix s'effondrer depuis deux ans. 

La chute est spectaculaire au Bénin où le prix d'un gigaoctet a été divisé par sept, passant de 27,22 à 3,61 dollars entre 2020 et 2021.

Au Sénégal, ce même prix est de 0,98 dollars et en dehors de la zone francophone, le Soudan (0,27 dollars) se place ainsi à la cinquième place mondiale, à égalité avec l'Italie, maintenant une accessibilité qui se confirme depuis plusieurs années.

Les prix ont chuté depuis deux ans dans plusieurs pays africains francophones.
Les prix ont chuté depuis deux ans dans plusieurs pays africains francophones.

Un gigaoctet pour 2% du salaire

Mais ces valeurs brutes ne suffisent pas pour dessiner la réalité de l'accès à internet car elles dépendent du salaire moyen et du pouvoir d'achat des utilisateurs.

L'Alliance pour un internet abordable (Alliance for afordable internet), une initiative qui réunit des entreprises privées comme Google, Huawei et Facebook mais aussi des acteurs publics comme la fondation allemande Friedrich Ebert ou des Etats africains (Ghana, Nigeria et Mozambique), conduit depuis plusieurs années une campagne baptisée "1 for 2” : un gigaoctet pour un prix représentant au maximum 2% du salaire mensuel moyen. 

Cet objectif est censé être soutenu par la Communauté des Etats de l'Afrique de l'Ouest mais il apparaît très vite que là encore, les pays africains sont souvent éloignés de cet objectif et la situation est encore moins satisfaisante pour les Etats francophones d'Afrique de l'Ouest.

Sur les 54 Etats du continent, toujours selon l'Alliance pour un internet abordable, seuls 14 réalisent cet objectif de "un pour deux” et parmi ces derniers, on trouve à peine deux pays francophones subsahariens.

Seuls 14 pays africains sur 54 réalisent l'objectif d'un internet financièrement abordable.
Seuls 14 pays africains sur 54 réalisent l'objectif d'un internet financièrement abordable.

Mais la comparaison peu flatteuse pour les pays francophones situés au sud du Sahara ne s'arrête pas là et ce dernier constat vient relativiser l'optimisme apporté par les chutes de prix enregistrées ces dernières années.

En effet, si on prend cette fois les cinq pays les plus chers au monde en rapport du salaire moyen, tous sont africains et quatre sont francophones : le Tchad, le Togo, la République démocratique du Congo et la République centrafricaine. 

Dans ce dernier pays, un gigaoctet représente un quart du salaire mensuel moyen. Autant dire qu'internet reste encore inabordable.

Pourquoi les prix restent-ils aussi élevés en Afrique ? Un premier réflexe pourrait conduire à considérer l'état de la démocratie dans certains pays. Internet étant considéré comme un outil d'information redouté par les régimes autoritaires, un prix élevé pourrait faire l'affaire de certains tyrans.

Un Go de données mobiles coûte un quart du salaire moyen en Centrafrique.
Un Go de données mobiles coûte un quart du salaire moyen en Centrafrique.

Mais la théorie ne tient pas : en comparant le Democracy index publié chaque année par l'hebdomadaire The Economist, il est malaisé d'établir un lien entre la faiblesse de la démocratie et la hauteur des prix.

Le Top 10 des pays les moins chers au monde, en valeurs absolues, réunit des pays dont les structures démocratiques sont aussi variées que l'Italie, le Chili, la Russie, le Soudan ou le Kirghizistan.

Une autre hypothèse reposerait sur le manque de concurrence qui offre des marchés à des opérateurs pouvant se permettre de maintenir des prix élevés. C'est le cas en Guinée Equatoriale où la compagnie Getesa, détenue majoritairement par l'Etat, est l'opérateur principal du pays. 

Dans d’autres pays francophones, l’opérateur Orange détient aussi des parts de marché importantes qui lui permettent de maintenir des prix élevés. 

Au Bénin, la récente et spectaculaire baisse des prix s’explique en grande partie par la pression réalisée par l’Etat sur les opérateurs afin que ceux-ci réduisent leurs prix. 

Un autre facteur est celui des infrastructures et de ce point de vue, la mise en service, le 30 juin dernier, du câble sous-marin Africa Coast to Europe est une bonne nouvelle.

Long de 17.000 kilomètres et représentant un investissement de 700 millions de dollars, ce câble relie la France à l’Afrique du Sud en couvrant une bonne partie de la côte ouest de l’Afrique. 

Le projet a été conduit par un consortium de 20 entreprises, dont Orange (Côte d’Ivoire, Cameroun et Mali), MTN (Afrique du Sud), Sonatel (Sénégal), Guilab (Guinée) et Dolphin Telecom (Dubaï). 

DW Mitarbeiterporträt Jean-Michel Bos
Jean-Michel Bos Journaliste au programme francophone de la DW.JMBos