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"Le Sénégal est préservé du terrorisme, mais il faut reste vigilant" - Gilles Yabi

Hugo Flotat-Talon
19 février 2019

Alors que les attaques terroristes sont courantes au Mali, au Nigeria, se multiplient au Burkina Faso, le Sénégal semble encore épargné. Selon Gilles Yabi, analyste politique et docteur en économie du développement, c'est la stabilité politique, mais ausi le poids des confréries, qui en sont les raisons.

https://p.dw.com/p/3Ddn2

Interview avec Gilles Yabi, analyste politique, docteur en économie du développement et fondateur et le président de WATHI, un think tank citoyen de l’Afrique de l’Ouest.
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DW : Le Sénégal est un pays plutôt stable, dans une région qui ne l'est pas toujours, touchée par des attaques terroristes à répétition. Qu'est ce qui explique cela, selon vous ?

Gilles Yabi : Je crois qu'il y a plusieurs explications. La première, c'est que les foyers à partir desquels prospèrent les attaques terroristes en Afrique de l'Ouest sont assez clairement identifiés : le Mali d'une part, le nord du Nigeria d'autre part. Le Sénégal est éloigné de ces deux foyers. Il n'y a pas cette continuité, non seulement territoriale, mais pas il n'y a pas non plus les liens culturels, ethniques, qui souvent jouent aussi un rôle dans la possibilité pour un groupe de monter des attaques loin de sa base. 

DW : On dit souvent que l'armée sénégalaise est bien formée. Est-ce que cela joue un rôle aussi selon vous ? 

Gilles Yabi : Oui, mais je ferais d'abord une distinction entre le fait d'être relativement préservé de la violence terroriste et la question de la stabilité politique de longue durée d'un pays. Ce n'est pas la même chose. Le Sénégal est un pays qui a été stable politiquement sur la longue durée depuis son indépendance.

Cela tient beaucoup à la culture de l'État, mise en place plus fortement qu'ailleurs dans la région. Mais cela tient aussi de manière plus spécifique la qualité de la formation notamment effectivement des membres des Forces de défense et de sécurité, qu'il s'agisse de l'armée mais aussi la police, la gendarmerie, les services de renseignement.

Je crois qu'il y a un souci depuis longtemps d'avoir des ressources humaines de qualité dans ces institutions et cela est effectivement déterminant. Là où l'État n'a pas su se construire, soit pas du tout soit très peu ou là où il s'est effondré.

C'est là également où les violences multiformes s'installent de manière plus facile.

DW: On sait que les confréries ont aussi un rôle important au Sénégal. Est-ce que cela peut aussi expliquer selon vous qu'il y ait moins de monde prêt à se tourner vers le terrorisme ?

Gilles Yabi : Je crois que les confréries jouent un rôle important dans la cohésion de la société sénégalaise et également jouent un peu le même rôle que l'institution militaire dans le fait de représenter une sorte de d'autorité morale capable de dire "non" aux dérives qui peuvent venir des acteurs politiques en compétition pour le pouvoir.

Mais je crois que sur le plan strictement religieux, c'est vrai que le fait d'avoir des confréries aussi puissantes organise la société sénégalaise qui est très majoritairement musulmane autour d'un certain nombre de valeurs, de pratiques et surtout autour de l'autorité morale qui sont nombreuses dans le pays à incarner cette forme de religiosité musulmane tranquille et tolérante.

Mais il faut faire très attention, cela peut changer. Les confréries continuent à être très importantes, très dominantes mais on sait très bien qu'il y a aussi des courants différents qui s'installent dans la société et qui peuvent profiter de la désintégration du tissu social pour atteindre de plus en plus de jeunes.

DW : On a vu un des exemples les plus flagrants avec le procès qui a eu lieu l'an dernier autour de l'imam Ndao. Y a-t-il quand même aujourd'hui des inquiétudes à avoir pour le Sénégal ?

Gilles Yabi : il y a des inquiétudes pour tous les pays de la région. La situation est préoccupante dans beaucoup de pays. Partant du Mali, on a bien vu comment l'insécurité s'est propagée dans quasiment tous les pays voisins du Mali et aujourd'hui le Burkina Faso connaît des attaques très régulières et à nouveau il y a un autre foyer qui vient du nord du Nigeria et qui déborde sur tout le bassin du Lac Tchad et qui touche également le Niger mais aussi le Cameroun, etc.

On est vraiment dans une situation de vulnérabilité, vous pouvez ne pas avoir dans un territoire de gros problèmes d'extrémisme par exemple, mais vous pouvez en même temps importer d'une autre manière les problèmes qui viennent de pays voisins. Le Sénégal est de ce point de vue pas du tout préservé.

C'est pour ça qu'il est important de continuer à travailler sur la stabilité des institutions et de ne pas donner de signes de fractures dans lesquelles pourraient justement pénétrer des groupes armés.

DW : À propos de vigilance, pour la présidentielle qui arrive, M. Sall propose d'instaurer une surveillance accrue au niveau des frontières pour parer au terrorisme, on parle aussi de "prévention", de "réponse forte", d'"éradication" du terrorisme... Est-ce que selon vous, les candidats en lice aujourd'hui sont conscients de ce problème du terrorisme dans la région et proposent suffisamment de réponses dans leurs programmes?   

Gilles Yabi : Je pense qu'ils sont globalement conscients qu'on est dans une région avec différente menaces, c'est vrai que dans les programmes, il n'y a pas un accent très fort sur les questions de défense et de sécurité et sur celles qui touchent à la région. Il y a une très grande focalisation sur ce qui se passe au Sénégal – c'est un peu le cas dans toutes les campagnes électorales dans la région, on ne s'intéresse pas suffisamment encore à ce qui se passe dans l'environnement immédiat et qui est extrêmement important sur le plan de la sécurité mais aussi sur tous les autres plans, économique et social.

Aujourd'hui l'évolution de chaque pays d'Afrique de l'Ouest dépend aussi de manière importante de ce qui se passe dans son environnement immédiat. De ce point de vue là, les programmes de campagne sont quand même assez centrés sur le Sénégal et pas assez sur l'environnement dans lequel le Sénégal évolue.

DW : Merci beaucoup Gilles Yabi.

Portrait Hugo Flotat-Talon
Hugo Flotat-Talon Journaliste au programme francophone de la Deutsche WelleHugo_FT_