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Allemagne : Un Sénégalais meurt suite à un tir de la police

Ralf Bosen | Carole Assignon
12 août 2022

Des questions demeurent, après le décès d'un Sénégalais lors d'une opération de police. L'opération se serait-elle déroulée autrement si ce n'était pas un réfugié africain ?

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Plusieurs centaines de personnes, encadrées par des agents de police, protestent contre la mort du jeune Sénégalais
Quatre interventions de la police se sont soldées par quatre morts en une semaine en AllemagneImage : Roberto Pfeil/dpa/picture alliance

Lundi après-midi (08.08.2022), un surveillant d'un centre d'aide à la jeunesse appelle la police à l'aide. Il craint que Mohammed D., un réfugié mineur , seul, ne se tue avec un couteau. Le jeune est considéré comme mentalement instable, hospitalisé en psychiatrie avant le drame.

Onze officiers arrivent. Ils utilisent des pistolets paralysants et du gaz poivré. En vain. Le jeune ne se calme pas.

La situation dégénère complètement lorsque Mohammed D. menace les agents avec le couteau. Des coups de feu sont tirés.

Cinq balles d'une mitraillette touchent le jeune homme. Peu de temps après, il meurt à l'hôpital.

Une enquête est en cours : le policier de 29 ans qui a tiré les coups de feu doit notamment s'expliquer. Une procédure courante dans les cas où un policier tire des coups mortels.

Cette intervention fatale pour le jeune Mohammed D. vient s'ajouter à une série d'opérations policières, qui se sont toutes soldées par des décès, en à peine une semaine d'intervalle : à Francfort-sur-le-Main et à Cologne, la police a abattu deux hommes, chacun étant armé d'un couteau. Dans la ville d'Oer-Erkenschwick, dans la région de la Ruhr, un homme de 39 ans est décédé après que du gaz poivré a été utilisé pour le maîtriser.

Pour beaucoup de gens, la dernière tragédie est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Des centaines de manifestants, majoritairement de gauche, ont protesté contre les violences policières cette semaine et crié "meurtrier, meurtrier" en passant devant les forces de sécurité.

Des hommes portent un cercueil contenant le corps du jeune réfugié sénégalais Mohammed D.
Le quartier de Dortmund où le drame est survenu est souvent le théâtre d'actes de violenceImage : Roberto Pfeil/dpa/picture alliance

Il faut dire que le quartier où Mohammed D. a été tué se trouve dans le nord de Dortmund et défraie souvent la chronique. Les relations entre la police et les habitants, dont beaucoup sont issus de l'immigration, sont considérées comme extrêmement tendues comme l'explique Thomas Feltes, juriste et criminologue, de l'Université de la Ruhr à Bochum.

"La police du nord de Dortmund n'est pas vraiment connue pour agir indépendamment de la couleur de la peau. Les contrôles à caractère raciale sont donc d'actualité là-bas."

Du retard à rattraper

Depuis le décès de Mohammed D. une question revient sans cesse : l'opération policière aurait-elle été différente s'il n'avait pas été un réfugié africain mais un citoyen allemand blanc ?

Il est difficile pour Thomas Feltes de répondre à cette question, mais il assure qu'un Allemand aurait pu mieux communiquer avec les policiers. La langue étant souvent une barrière quand il s'agit de personnes d'origine étrangère.

Ce qui est sûr, c'est qu'au-delà de ce drame, la police a beaucoup de retard à rattraper dans la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, et pas seulement à Dortmund.

Des hommes et des femmes tiennent des pancartes sur lesquelles sont écrites des phrases exigeant la justice et une enquête
Manifestation à Dortmund pour réclamer justice pour les victimes de violence policièreImage : Roberto Pfeil/dpa/picture alliance

Selon une nouvelle étude menée par une association nationale de chercheurs en matière de migration en Allemagne, ces sujets sont rarement évoqués dans la formation des policiers. Jusqu'à présent, il n'y a eu d'études indépendantes sur le racisme qu'à Berlin, en Basse-Saxe et en Rhénanie-Palatinat.

Le ministre de l'Intérieur de Rhénanie du Nord-Westphalie, Herbert Reul, n'a pas encore reconnu de bavure de la part de ses fonctionnaires dans l'affaire actuelle. Selon lui, l'utilisation d'une mitraillette est assez courante lors d'interventions qui s'aggravent.

L'arme à feu en dernier recours

Dans cette affaire, Michael Maatz le coordonnateur adjoint du syndicat régional de la police de Rhénanie du Nord-Westphalie met en garde contre les "raccourcis" et prend la défense de son collègue.

"Les attaques au couteau sont extrêmement dangereuses. Un coup de couteau ou une coupure lorsque vous frappez une artère est généralement mortel car vous saignez à mort immédiatement. De telles situations sont difficiles parce que mes collègues doivent décider en quelques secondes comment arrêter l'attaque au couteau. Et quand quelqu'un s'approche avec un couteau, si d'autres ressources ne sont pas disponibles ou ont été utilisées sans succès, le dernier recours reste l'arme." 

Un argument que la porte-parole adjointe du groupe parlementaire de la gauche au Bundestag, Nicole Gohlke, dit ne pas comprendre.

Dans un tweet, elle estime que c'est "inexplicable que les onze policiers présents n'aient pas pu mettre en garde à vue un jeune de 16 ans".

La présidente des Verts au parlement de Rhénanie du Nord-Westphalie, Verena Schäffer, a déclaré pour sa part qu'elle était "choquée" par la mort du jeune qui avait fui en Allemagne "pour avoir un avenir sûr ici".

Des agents de la police de la ville de Dortmund attendent le début d'une protestation
Une enquête a été ouverte pour faire la lumière sur les circonstances de la mort de Mohammed D.Image : Roberto Pfeil/dpa/picture alliance

Les experts de la police critiquent également les actions violentes des forces de sécurité. Le criminologue Rafael Behr de l'Académie de police de Hambourg a qualifié d'inhabituelle, l'utilisation de la mitraillette dans ce genre d'interventions. Bien que ces armes fassent partie de l'équipement des voitures de police allemandes, elles ne sont destinées qu'à des "cas absolument exceptionnels". 

L'Association allemande des avocats (DAV) exige que les circonstances du décès du jeune homme de 16 ans fassent l'objet d'une enquête approfondie. Les investigations n'en sont qu'à leurs débuts.

DW Französisch Carole Assignon
Carole Assignon Journaliste au programme francophone de la Deutsche Welledw_afrique