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Au Qatar, le cricket unit les travailleurs migrants

Max Merrill
24 décembre 2022

La Coupe du monde de football étant terminée, le cricket reprend ses droits. Dans un pays où les travailleurs migrants sont majoritaires, ce sport unit les expatriés du sous-continent asiatique.

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Katar - lokale Cricket-Spieler
Image : Maximilian Merrill/DW

Vendredi, 6 heures du matin, dans la banlieue de Doha. Sur une vaste étendue de sable et de gravier située entre une route, une autoroute et un chantier de construction, cinq matchs de cricket viennent de commencer.

"Nous avons tous des journées chargées en semaine , alors le vendredi est en quelque sorte une sortie spéciale pour nous", explique Bibin, capitaine des Truth Fighters. "Le cricket, c'est toute notre vie".

La plupart des joueurs ici présents travaillent cinq à six jours par semaine, le vendredi étant traditionnellement le jour de congé dans de nombreux pays musulmans. Il y a trois raisons à ce départ matinal, dont la Coupe du monde de football.

"Il y a également la température. Et puis, certains de nos joueurs sont musulmans, et comme ils doivent aussi aller prier, nous faisons en sorte de terminer les matchs à 10 heures", explique Bibin, qui est hindou. "Certaines équipes jouent aussi normalement l'après-midi, mais elles ont dû s'arrêter car il a fallu bloquer des routes pour les visiteurs au cours du Mondial."

Un match de cricket disputé le cricket
Les joueurs de cricket jouent souvent le vendredi, jour de repos au QatarImage : Maximilian Merrill/DW

Des rivalités mises de côté

Si les rivalités entre les amateurs de cricket asiatiques sont féroces et que des tensions politiques existent entre certains pays de la région, au Qatar, ce sport a un effet unificateur.

"Nous jouons toute l'année, nous ne nous arrêtons que pendant le Ramadan", explique Bibin, ingénieur informatique, dont l'équipe comprend des joueurs originaires d'Inde, du Pakistan, du Sri Lanka et du Bangladesh.

"Le cricket nous unit tous, il n'y a pas beaucoup de conflits. Ici, on joue juste pour le plaisir, pas pour notre pays. Après les rencontres, nous allons au restaurant, tous ensemble. Ici, il ne s'agit pas de défendre un pays ou un état."

L'équipe de cricket des Truth Fighters
L'équipe de cricket des Truth Fighters est composée d'Indiens, de Pakistanais, de Sri-Lankais et de Bangladais.Image : Maximilian Merrill/DW

Le rival de Bibin aujourd'hui est son bon ami Jhitin, capitaine des Doha Challengers.

"Nous jouons tous comme des frères et profitons de ces journées, même pendant l'été quand il fait 50 degrés et que nous devons commencer à jouer à 4h30 du matin", explique cet ingénieur en environnement, qui est né et a grandi au Qatar mais qui n'a que la nationalité indienne. Comme Bibin, sa famille est originaire de l'État du Kerala, dans le sud de l'Inde.

Le football au centre de l'attention, mais le cricket a la cote

Le football est le sport dans lequel le Qatar a le plus investi au cours de ces dernières années; mais dans un pays où 90 % des habitants ne sont pas citoyens, le cricket est devenu le sport national dominant parmi les amateurs.

"Il y a au moins 250 équipes ici au Qatar", assure Jhitin. "Chaque équipe doit inscrire un minimum de 20 joueurs, donc imaginez le nombre de joueurs qu'il peut y avoir !".

À eux seuls, les citoyens indiens sont au moins deux fois plus nombreux que les quelque 300.000 Qataris vivant dans l'État du Golfe, qui ne représentent qu'environ 10 % de la population. Le Qatar qui possèdepar ailleurs une équipe nationale de cricket, qui a disputé son premier match de compétition en 2002. Son capitaine actuel et son ancien capitaine sont tous deux Pakistanais de naissance, et l'équipe occupe actuellement la 23e place au classement Twenty20 du Conseil international du cricket (ICC).

Jhitin et ses coéquipiers
Quand leur équipe joue, Jhitin et ses coéquipiers entrent les statistiques dans une application en ligne.Image : Maximilian Merrill/DW

"Les Qataris ne sont pas tellement portés sur le cricket, ils sont plus intéressés par le football", admet Bibin qui a emménagé dans l'État du Golfe il y a une quinzaine d'années. "Ce qui est étrange, c'est que j'ai un ami qatari, Ali, qui a fait un de ces terrains pour nous. C'est vraiment un gars sympa".

Jointe par téléphone, l'association qatarie de cricket du Qatar a déclaré qu'elle n'était pas disponible pour des interviews pendant la Coupe du monde, car tous ses employés étaient occupés à travailler sur l'événement, ce qui souligne le statut que ce sport a actuellement ici. Les terrains de cricket de Lusail ont été fermés pendant la Coupe du monde, tout comme le stade national de cricket, qui accueillait la FIFA fan zone située dans la zone industrielle de Doha.

Le stade national de cricket de Doha transformé en fan zone
Durant la Coupe du monde, le stade national de cricket a été transformé en fan zone pour les travailleurs migrantsImage : Maximilian Merrill/DW

Il faudra davantage d'amateurs qataris de cricket comme Ali pour obtenir des financements et développer sérieusement ce sport, mais pour l'instant, il domine déjà l'action sportive sur le terrain, l'accès à des terrains gratuits nécessitant une certaine initiative personnelle.

Des terrains fabriqués avec les moyens du bord

"La disponibilité des terrains est un problème de nos jours", admet Jhitin. "Nous avons quelques terrains officiels mais la plupart du temps, nous ne pouvons pas nous évoluer dessus pour des matchs amicaux ou des tournois. C'est pourquoi nous avons mis sur pied un projet comme celui-ci."

Les joueurs ont donc fait venir des amis et du matériel pour niveler la surface et couler des guichets (ensemble de piquets, ndt) en béton sur ces terrains improvisés. Mais il y a des risques, notamment lorsque la municipalité locale n'a pas donné son accord.

La surface principale au cricket
Du béton a été coulé pour créer une surface plane, permettant au lanceur et au batteur d'évoluer dessusImage : Maximilian Merrill/DW

"Un de mes amis a mis un terrain près d'un bord de route qui n'était pas censé être là et il a reçu une amende de 12 000 rials qataris (environ 3 100 €, ndt)". révèle Jhitin.

"Nous jouons là où nous trouvons de la place. Pour être honnête, ce terrain n'est pas légal mais nous n'avons pas d'autre option, alors nous jouons dessus. Ce sont de très vieux terrains, donc on nous ne dit rien."

Il faut dire que le cricket se joue normalement sur gazon, mais ici, les rares fois où il pleut, la pluie emporte le sable, et la surface devient alors rocheuse et dangereuse.

"C'est un peu dangereux, on peut se blesser quand on tombe donc il faut faire attention", dit Jhitin.

Une balle de tennis en guise de balle de cricket
La surface n'étant pas plate, c'est une balle de tennis qui est utilisée en lieu et place d'une balle de cricket.Image : Maximilian Merrill/DW

La ligue du vendredi, qui est informelle, est organisée par des joueurs comme Bibin, qui font appel à des sponsors locaux pour les aider à payer les maillots et l'équipement. Ils utilisent des joueurs d'autres équipes comme arbitres et marqueurs, et ne font appel à une aide extérieure que pour les matchs finaux.

Ce vendredi, les 120 runs de Bibin ont permis à son équipe de battre confortablement les Doha Challengers de Jhitin, mais les joueurs des deux équipes sont tout sourire après le match. Bien qu'ils soient rivaux ici, les deux capitaines jouent pour la même équipe dans leur championnat du samedi.

"Je suis heureux", dit Jhitin avec un large sourire. "Bibin est en grande forme pour demain, ce qui est une bonne chose pour moi".