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Angela Merkel : "Mon intérêt pour l'Afrique est ancien"

Max Hofmann | Sandrine Blanchard
10 novembre 2021

La chancelière sortante a accordé une interview à la DW. Angela Merkel revient sur les moments forts de ses 16 ans à la chancellerie.

https://p.dw.com/p/42nvf

Angela Merkel est notre invitée cette semaine. Elle vient de diriger le gouvernement allemand pendant seize ans. Angela Merkel va bientôt quitter ses fonctions de chancelière... dès que les partis en négociation auront trouvé un accord de coalition qui leur permettra de mettre sur pied une nouvelle équipe gouvernementale stable.

Comme chancelière, Angela Merkel aura marqué toute une époque, elle a traversé des moments historiques, a dû affronter des crises d'ampleur planétaire... et elle a accepté de revenir sur ces grands moments au pouvoir au micro de Max Hofmann de la Deutsche Welle. 

Interview exclusive avec la chancelière allemande Angela Merkel

DW: Madame la Chancelière, cet entretien est sans doute l’un des derniers que vous accordez avant de quitter vos fonctions. Etes-vous contente de bientôt ne plus être au centre de toutes les attentions ?

Angela Merkel : C’est vrai, c’est l’une de mes dernières interviews. Je suis en train de faire une sorte de tournée d’adieux et dans ces derniers jours que je passe comme chancelière, je suis contente, d’un côté. Mais une certaine nostalgie viendra sans doute car j’ai toujours fait mon travail avec cœur et c’est encore le cas aujourd’hui. Et je resterai vigilante jusqu’au dernier jour. (…)

Emmanuel Macron et Angela Merkel se sont dit au revoir il y a quelques jours
Emmanuel Macron et Angela Merkel se sont dit au revoir il y a quelques joursImage : Francois Mori/AP/dpa/picture alliance

DW: Vous avez dû vous entretenir avec beaucoup de vos homologues – des entretiens qui n’ont sans doute pas toujours été aussi cordiaux que celui que vous avez eu avec Emmanuel Macron il y a quelques jours. Et là je pense par exemple à Vladimir Poutine ou Recep Tayyip Erdogan en Turquie. Avez-vous toujours abordé ces entrevues avec la même stratégie ? En vous disant : "Il faut que je parle de la même façon à tous" ? Ou vous est-il arrivé de vous dire : "Là, il va falloir être ferme" ?

A.M. : Cela aurait été malvenu de ne pas être ferme aussi avec les chefs de gouvernements qui sont nos amis. Nous poursuivons toujours nos propres intérêts allemands. Les autres ont leurs intérêts français, ou autres, et il nous faut essayer de les faire se rejoindre. Mais ce qui nous unit dans ce cas, ce sont des valeurs de base communes, une même vision de la démocratie. J’aborde toujours ces entretiens avec franchise.
J’espère toujours que les discussions feront bouger les choses et je défends les intérêts allemands. 
Je m’engage aussi en faveur de bonnes relations bilatérales et parfois ces discussions sont plus controverses. Mais de mon point de vue, même quand quelqu’un porte un regard clairement différent du nôtre sur le monde, il faut l’écouter. Car sans écoute, il n’y a pas de solutions possibles aux problèmes.

(…) Je me suis toujours efforcée de trouver des compromis, y compris lorsque cela réclamait du temps. Et la plupart du temps, nous en avons trouvé. (…)

Des manifestations en amont de la COP26
Des manifestations en amont de la COP26 pour faire pression sur les EtatsImage : Danny Lawson/dpa/picture alliance

DW: Que dites-vous aux jeunes gens qui sont très préoccupés de l’avenir de la planète, de leur avenir personnel ? Le monde n’est pas devenu plus simple en ces seize ans qui ont suivi votre arrivée à la chancellerie. Que dire à ces jeunes gens ? Comment les convaincre que les responsables politiques vont surmonter leurs divergences pour lutter efficacement contre le changement climatique ?

A.M.: Ma longue expérience avec le réchauffement climatique me permet de leur dire que nous avons toujours tenté de faire des choses. Nous en sommes à la 26è conférence des Etats parties (COP26) et pourtant, les rapports du GIEC empirent et sont de plus en plus menaçants.
Nous devons suivre les estimations scientifiques, et cela signifie qu’il faut s’en tenir aux 1,5°C. Le sommet de Glasgow a déjà produit quelques résultats. Mais pour les jeunes - c’est compréhensible – c’est encore trop lent. (…)

Des Sud-Soudanais touchés par des inondations extrêmes dans l'Etat de Bahr el Ghazal, dans le nord du pays
Des Sud-Soudanais touchés par des inondations extrêmes dans l'Etat de Bahr el Ghazal, dans le nord du paysImage : Adrienne Surprenant/AP/dpa/picture alliance

DW : Quelles sont les crises auxquelles vous avez dû faire face en seize qui vous ont personnellement le plus affectée ?

A.M.:D’abord les arrivées massives de migrants – je n’aime pas en parler comme d’une "crise", car ces personnes sont des êtres humains. Mais ce qui les a poussés à l’exil depuis la Syrie ou les pays voisins. Et puis la pandémie actuelle de coronavirus. Ce sont peut-être les deux où l’on a le plus remarqué qu’elles avaient un impact direct sur les gens, sur les destins d’êtres humains.

Pour moi, c’étaient les plus grands défis. (…)

J’ai aussi connu l’émergence du G20 après la crise financière. C’est un cadre important de mon point de vue pour montrer que les problèmes ne peuvent se régler que par la concertation.

Des migrants faisants la queue devant la LAGESO, bureau berlinois pour la santé et les affaires sociales, en octobre 2015
Des migrants faisants la queue devant la LAGESO, bureau berlinois pour la santé et les affaires sociales, en octobre 2015Image : Reuters/F. Bensch

DW : Revenons-en à l’arrivée de près d’un million de réfugiés et de migrants en 2015. A l’époque, vous avez prononcé une phrase devenue culte : "Wir schaffen das", "Nous y arriverons", qui a fait le tour du monde. Pensez-vous qu’on y soit vraiment "arrivé"?

A.M. : Oui, nous y sommes arrivés. Mais il y a eu vraiment beaucoup, beaucoup de gens en Allemagne, qui ont aidé, des maires, de nombreux bénévoles qui assument encore aujourd’hui des parrainages. 
Bien sûr, nous avons vu que tout ne se déroulait pas toujours de façon idéale. Et il faut encore améliorer l’aide au développement et agir en faveur de l’immigration légale.

Je regrette que les passeurs et les réseaux aient encore la mainmise sur la migration. Il existe pourtant des voies légales pour migrer. Et quand le HCR nous dit "Acceptez tel ou tel contingent de réfugiés" ; nous savons que ce sont les gens qui en ont réellement besoin. Et là, il y a encore beaucoup à faire.

Donc nous avons réussi beaucoup, mais l’exil forcé et la migration vont hélas rester [d’actualité] à cause de la situation en Syrie et dans d’autres pays. (…)

Angela Merkel en visite au Niger, auprès de Mariana Moussa, fondatrice de SOS FEVVF qui vient en aide aux femmes victimes de violences
Angela Merkel en visite au Niger, auprès de Mariana Moussa, fondatrice de SOS FEVVF qui vient en aide aux femmes victimes de violencesImage : Michael Kappeler/dpa/picture alliance

DW: A propos des pays d’origine [des migrants], on a l’impression – et corrigez moi si cette impression n’est pas juste – que vous avez découvert votre intérêt pour l’Afrique à partir de 2015. Plusieurs pays du continent sont des pays d’émigration et vous y avez multiplié les visites, non ?

A.M. : Pas tout-à-fait. Je m’intéressais déjà avant beaucoup à l’Afrique. […] Mais c’est ce que je me disais encore aujourd‘hui, l’intérêt de l’Allemagne pour l’Afrique s’est un peu déplacé de l’Afrique de l’Est, l’Ethiopie, le Kenya – des pays qui étaient au premier plan de nos préoccupations – en direction de l’Afrique de l’ouest. Pas seulement à cause de l’émigration, mais à cause des défis liés au terrorisme. En fait, depuis la Libye. C’était une situation dans laquelle l’Allemagne s’est abstenue au sein du vote de l’Otan [pour ou contre une intervention militaire en Libye, en 2011 ].

En janvier 2020 à Berlin, Angela Merkel et Denis Sassou Nguesso à l'ouverture du sommet sur la Libye
En janvier 2020 à Berlin, Angela Merkel et Denis Sassou Nguesso à l'ouverture du sommet sur la LibyeImage : Reuters/H. Hanschke

J’ai été très critiquée pour cela à l’époque. Mais j’étais très, très préoccupée par ce qui allait suivre l’ère Kadhafi, est-ce que ce serait vraiment mieux ? Depuis, il s’est avéré que cela représentait un énorme problème pour la communauté internationale. Et ce sont surtout les pays voisins qui paient les pots cassés, ceux du sud de la Libye, parce que des quantités incroyables d’armes sont tombées entre les mains d’organisations terroristes ce qui provoque une grande déstabilisation de toute la région.

Quel avenir pour les relations germano-africaines après Angela Merkel ?

C’est pourquoi il est important de restaurer l’Etat de droit en Libye et d’aider à ce que la Libye appartienne aux Libyens, tout en stabilisant les autres pays. Cela n’a pas directement de lien avec l’émigration.

Ce n’est pas du Mali ou du Niger que viennent la plupart des demandeurs d’asile africains. 
Cela m’a fait découvrir une nouvelle partie de l’Afrique dont l’Allemagne ne s’était pas trop préoccupée durant les décennies précédentes car la France y était très présente. (…)

DW: Encore un mot de votre successeur. Vous avez fait quelque chose d’inhabituel en emmenant votre successeur probable, Olaf Scholz, au sommet du G20. Était-ce une façon de rassurer vos homologues et partenaires que la continuité et la stabilité de l’Allemagne étaient garanties aussi avec Olaf Scholz comme chancelier ?

A.M. : (…) J’ai pensé que c’était un message important pour Olaf Scholz que de faire partie de toutes ces discussions bilatérales. De cette façon, j’ai pu dire, voici l’homme qui sera certainement votre prochain interlocuteur en tant que chef du gouvernement allemand.

Olaf Scholz (à droite) a accompagné Angela Merkel au sommet du G20
Olaf Scholz (à droite) a accompagné Angela Merkel au sommet du G20 Image : Oliver Weiken/dpa/picture alliance

DW: Madame la Chancelière, merci beaucoup pour cet entretien. Et si je puis me permettre une remarque personnelle : cela va faire bizarre de voir quelqu’un d’autre que vous à la chancellerie, après seize ans.

A.M. : Vous vous y habituerez. Merci beaucoup

DW: Merci.