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Un village dans la fièvre de l'or

Julia Hahn / Konstanze von Kotze15 février 2013

Avec ses 36 millions d'onces d’or, la Tanzanie est assise sur un trésor de plusieurs milliards dont Kewanja aimerait bien profiter. Dans ce village, nombreux sont ceux qui risquent leur vie pour quelques grammes d’or.

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Image : DW/J. Hahn

Kewanja se situe dans l'extrême nord-ouest de la Tanzanie, à une demi-heure à peine en voiture de la frontière kenyane. Il est un peu plus de midi lorsque la nouvelle fait le tour du village. C'est tout de suite le branle-bas de combat. Hommes, femmes, jeunes et vieux se ruent vers l'immense montagne qui s'élève, près de la principale route du village, jusqu'au ciel. Certains sont armés de machettes et de bâtons. Ils crapahutent, escaladent, fouillent et ramassent dans l'espoir de trouver dans les débris quelques miettes d'or. Quelques minutes plus tard cependant, des balles sifflent dans l'air. Au sommet de la montagne, deux policiers font leur apparition en uniforme vert. Le signal est clair. Les habitants du village se retirent. Au moins pour le moment.

Intrus et pilleurs

Cela fait longtemps que la ruée vers l'or est devenu un rituel quotidien à Kewanja. Pour certains, c'est même un métier. Ils se font appeler  « Intruder », les intrus, car les débris crachés par la montagne grise appartiennent en réalité à l'entreprise African Barrick Gold (ABG). C'est une filiale de la société canadienne Barrick Gold, leader mondial dans le secteur de l'or.

North Mara Gold Mine in Tansania
Une métier à risque : les chercheurs d'or de KewanjaImage : DW/J. Hahn

Ces pierres ont beau être des résidus issus de la mine à ciel ouvert située juste à côté, l'entreprise les fait tout de même surveiller. Elles sont l'unique source de revenus de la plupart des habitants de Kewanja. On dit qu'ici, environ une personne sur trois est un intrus. Le métier est exercé en particulier par des jeunes hommes, des adolescents et même des enfants. « Bien sûr que je n'en suis pas fier. Mais je n'ai pas le choix », explique ce jeune garçon vêtu d'un T-Shirt sale et qui préfère rester anonyme. « Nous n'avons pas d'emploi, pas de revenu. Ce n'est pas un travail enviable mais il faut bien vivre de quelque chose. » Les intrus vendent ensuite les pierres à des intermédiaires. Elles seront alors transformées de manière illégale en poussière d'or et en pépites.

Victimes régulières

Chaque jour, les intrus risquent leur vie. African Barrick Gold fait en effet surveiller le terrain de la mine par des agents de sécurité privés et par la police tanzanienne. Les intrus racontent que certains policiers corrompus acceptent de regarder ailleurs pendant quelques minutes en échange d'un pot de vin. Mais à partir du moment où la situation dégénère, les tirs fusent. Les journaux locaux titrent régulièrement sur les morts et les blessés de la mine. Rien qu'en 2012, au moins huit personnes ont été tuées devant ou sur le terrain de North Mara.

Du côté de l'entreprise, aucune indication ne filtre à propos des victimes. La colère est palpable chez les intrus. « Barrick se fiche éperdument de notre sort, c'est pour ça qu'on nous tire dessus comme des lapins » s'énerve le jeune homme rencontré plus haut. Ses camarades se contentent de hocher la tête en guise d'approbation.

Ces dernières années, le nombre de morts est devenu « alarmant » selon un rapport de l'organisation pour la défense des droits de l'homme Legal and Human Rights Center (LHRC) qui siège à Dar el Salam. Dans la plupart des cas, les coupables restent impunis, dénonce Helen Kijo-Bisimba, directrice de LHRC. A l'automne 2012, son organisation a déposé une plainte auprès des Nations unies et de la Cour pénale internationale à La Haye.

North Mara Gold Mine in Tansania
Un trésor surveillé : la mine d'or de North MaraImage : DW/J. Hahn

Un trésor souterrain

La mine à ciel ouvert de la région de Mara ressemble à une gigantesque carrière. Le métal précieux est extrait du sous-sol par dynamitage. En 2011, 170.000 onces (env. 4,8 tonnes) ont été extraites. L'or est ensuite transformé dans un gigantesque complexe. En 2011, ABG a fait plus de 200 millions de dollars de chiffre d'affaire rien qu'avec North Mara.

La mine a changé plusieurs fois de gérant jusqu'à ce que l'ABG la reprenne en 2006. L'entreprise est active depuis des décennies en Tanzanie et aujourd'hui, elle exploite quatre mines d'or dans le pays. Selon ses propres données, North Mara emploie 360 personnes qui viennent directement des environs de la mine et 1.500 autres de manière indirecte. Cela dit, on est loin du miracle : la mine n'offre que peu d'emplois à la population locale estimée à 70.000 âmes. Chiffre d'affaire conséquent, peu d'emplois : un problème typique dans le secteur des matières premières.

Une population courtisée

La société canadienne aime rappeler qu'elle est consciente de sa responsabilité sociale en Tanzanie. Dans la région de Mara, l'AGB a créé un département pour les « community relations » autrement dit, pour les relations entre les communautés. L'équipe comprend 17 personnes, hommes et femmes. Telles des travailleurs sociaux, elles font la tournée des villages, nouent des contacts avec les anciens et les chefs de communauté.

L'équipe veille également sur les projets sociaux du groupe. A ce propos, s'il y en a un dont Barrick Gold est particulièrement fier c'est l'école Ingwe (Ingwe Secondary School) qui se situe à quelques minutes seulement du terrain de la mine. Les salles de classe étaient délabrées. L'entreprise les a fait rénover. Un réfectoire et des bâtiments scolaires supplémentaires sont en train d'être construits et les chantiers ont été confiés à des entreprises locales, ce qui a permis de créer des emplois, souligne l'attachée de presse. De son côté, le directeur de l'école Joash Mageka, vêtu d'un costume couleur café, tient la société en haute estime. « Autrefois, beaucoup d'élèves devenaient des intrus dès la sortie de l'école. Il y en a moins aujourd'hui. L'éducation aide. »

North Mara Gold Mine in Tansania Schuldirektor Joash Mageka
Joash Mageka est fier de sa nouvelle école. Il en est le directeur.Image : DW/J. Hahn

L'école Ingwe n'est pas le seul projet de l'AGB. Parmi les investissements du groupe, on trouve également un hôpital, une installation pour traiter les eaux, des formations professionnelles, des programmes de lutte contre le paludisme et le sida. Selon ses propres chiffres, AGB a dépensé au total 20,6 millions de dollars US en 2010 pour des projets sociaux dans toute la Tanzanie – c'est moins d'1% de son chiffre d'affaire global. Une partie non négligeable de cet argent  a afflué vers la région de Mara. Dans ce contexte, comment expliquer que l'engagement social de l'entreprise s'accompagne de violences quasi-quotidiennes aux alentours de la mine ? « Il faut du temps, de la continuité et de la patience pour mettre les communautés en confiance. C'est ainsi que nous parviendrons à gagner au moins leur respect  », estime Gary Chapman, gérant de la mine.

Une région à problème ?

Jusqu'en 1992, la Tanzanie était un Etat socialiste à parti unique. Les investisseurs étrangers n'avaient pas accès au pays. Le développement d'une industrie minière moderne était impossible. Pendant longtemps, les habitants des villages autour de la mine extrayaient eux mêmes l'or, en petites quantités bien sûr mais c'était suffisant pour vivre. À la fin des années 90, les entreprises internationales sont arrivées. Depuis, il n'y a pratiquement plus de place pour les chercheurs d'or artisanaux.

Kewanja est l'un des sept villages qui entourent la mine d'or. Ces villages sont parmi les plus pauvres du pays. Ils sont isolés et oubliés de l'Etat. Ici, la plupart des habitants appartiennent à la tribu Kuria. Traditionnellement, ce sont des cultivateurs et des éleveurs qui vivent dans cette zone, frontalière entre le Kenya et la Tanzanie. Les routes de la région sont parsemées de nids de poule. L'eau courante et l'électricité sont un luxe. La majorité de la population vit avec moins d'un dollar par jour.

Alors, qu'est-ce qui ne tourne pas rond à Mara ? Nous posons la question au gouvernement tanzanien basé à Dar el Salam, la métropole économique du pays. Sospeter Muhongo, ministre des Minerais vient lui-même de la région. Il est géologue de formation et occupe son poste depuis quelques mois seulement. Il souhaite mettre davantage les multinationales face à leurs responsabilités et encaisser plus consciencieusement les impôts. Mais pour ce qui est de la mise en pratique, les choses sont encore floues. « Nous avons tout essayé et nous allons continuer à faire de notre mieux pour garantir la paix et la sécurité dans la région », dit le ministre. « Pour atteindre cet objectif, nous devons surtout investir dans l'éducation. Si les gens sont bien éduqués, ils commenceront à penser autrement. » Et qu'en est-il de l'échec des politiques de ces dernières années ? Le ministre ne veut pas en entendre parler.

North Mara Gold Mine in Tansania Sospeter Muhongo Minister für Energie
L'éducation est un enjeu-clé, selon le ministre Sospeter MuhongoImage : DW/J. Hahn

Les affaires florissent

Parler de croissance économique ou même de boom serait exagéré. Il n'empêche que l'or de North Mara attire désormais aussi des étrangers. David Arumba par exemple. Il y a un an environ, lui et sa femme enceinte ont quitté le Kenya pour s'installer ici. David a 25 ans. Dans sa famille, il est le seul à être allé à l'école. Il a ouvert une petite station de lavage à Kewanja. Sa femme vend des bananes et de l'essence dans des bouteilles en plastique.

North Mara Gold Mine in Tansania
David est Kenyan. Il est venu s'installer à North Mara et a monté sa propre affaire.Image : DW/J. Hahn

David lave les motos des habitants de la ville à l'aide d'un nettoyeur haute pression. Ses meilleurs clients sont les intrus. Nombre d'entre eux ont en effet réussi à atteindre une relative aisance. Des autocollants de fan du club de football londonien FC Chelsea s'étalent sur les carrosseries. Certains ont même monté des petites radios et des hauts parleurs sur leur engin. Ces motos s'appellent « Piki piki » et sont devenues le symbole d'un certain statut social dans l'une des régions les plus pauvres du pays.

« La plupart des intrus sont tués ou blessés », raconte David qui polit encore une fois minutieusement la moto d'un client. « Mais moi je n'ai pas envie d'avoir tout le temps peur de la police. C'est pour ça que j'ai monté ma petite entreprise. Je me sens libre comme ça. » David gagne 50.000 schillings tanzaniens par jour, soit environ 25 euros. Ce n'est pas énorme mais c'est de l'argent honnêtement gagné.