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Un algorithme pour améliorer l'intégration ?

6 février 2018

Un groupe de scientifiques pense avoir trouvé un moyen peu coûteux d'améliorer la répartition des réfugiés : un algorithme qui choisit où les gens doivent être placés en fonction de leurs chances de trouver un emploi.

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Deutschland  - Arbeitslose stehen Schlange
Réfugiés dans une agence pour l’emploi en AllemagneImage : picture-alliance/dpa/J. Stratenschulte

Quelle est la meilleure façon de répartir les réfugiés à travers un pays ? De nombreux experts connaissant bien le processus d’affectation des réfugiés estiment que l'Union européenne et ses États membres, y compris le plus grand pays hôte d’Europe, l'Allemagne, peuvent encore s'améliorer considérablement dans ce domaine.

"La réalité de la répartition actuelle des réfugiés est à bien des égards en contradiction avec ce à quoi ressemblerait une répartition idéale", a déclaré Bernd Mesovic de Pro Asyl à InfoMigrants.

Aujourd'hui, des scientifiques du Laboratoire de politique d'immigration de l'Université de Stanford et de l'ETH de Zurich pensent qu'ils ont trouvé un mécanisme bon marché et facile à mettre en œuvre qui pourrait contribuer à améliorer considérablement la répartition des réfugiés.

Ils ont collecté des données sur l'âge, le sexe, la langue maternelle, la formation et l'expérience professionnelle des réfugiés et des demandeurs d'asile en Suisse et aux Etats-Unis, ainsi que sur leur date d'entrée dans le pays, le lieu de résidence où ils ont été affectés et leur situation professionnelle. À partir de ces données, ils ont élaboré un algorithme visant à déterminer où les réfugiés auront les meilleures chances d’obtenir un emploi. 

"Les procédures en vigueur dans les pays hôtes pour déterminer la répartition des réfugiés entre les sites de réinstallation sur le territoire ne tirent pas pleinement parti des synergies entre les réfugiés et les zones géographiques", écrivent-ils dans un article publié récemment dans la revue Science. Dominik Hangartner, l’un des auteurs de l’étude, explique : "Nous savons que l’endroit où un réfugié est affecté est décisif pour la réussite de son intégration. Nous avons donc essayé de créer un algorithme qui aide les autorités à déterminer dans quelle ville ou dans quel département une personne devrait être envoyée."

 73% de chances en plus de trouver un emploi

En utilisant l'algorithme, affirment les scientifiques, le taux d'emploi des réfugiés aux Etats-Unis serait amélioré de 41% au 90ème jour suivant leur arrivée. Toujours selon eux, en Suisse, le taux d’emploi au bout de trois ans des personnes bénéficiant d’un permis de séjour temporaire dans le pays augmenterait de 73%.

"Nous essayons d'apporter des preuves empiriques et des idées novatrices dont nous avons tant besoin dans un domaine politique souvent dominé par des débats idéologiques passionnés", a déclaré M. Hangartner à InfoMigrants. "L'objectif de notre étude et de la politique que nous proposons est de relever l'un des défis fondamentaux auxquels de nombreux pays sont actuellement confrontés : l'intégration économique et sociale d'un grand nombre de demandeurs d'asile et de réfugiés".

Lui et ses collègues pensent que leur algorithme pourrait non seulement améliorer les procédures dans les deux pays qu’ils ont étudiés, mais aussi dans d'autres pays dont l'Allemagne. Bien que la plupart des politiques qui peuvent aider les nouveaux arrivants à s'intégrer - comme les cours de langue et les cours d'intégration - exigent beaucoup de travail et sont coûteuses, ils estiment que leur algorithme peut aider les organismes gouvernementaux à répartir les réfugiés à peu voire pas de frais supplémentaires.

Difficile à mettre en œuvre en Allemagne?

Cependant, certains experts contactés par InfoMigrants estiment qu’intégrer un algorithme dans les structures existantes des agences nationales de migration serait assez difficile, surtout en Allemagne.

Birgit Naujoks, directrice du conseil des réfugiés du plus grand Land d’Allemagne, la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, a déclaré à InfoMigrants: "L'Agence fédérale pour l'emploi ne recueille des informations sur l'emploi et l'éducation des demandeurs d'asile qu'une fois qu’ils ont été affectés à un Land pour y vivre. Il faudrait donc complètement restructurer le système." De son côté, Dominik Hangartner affirme que, même sans connaître le parcours de travail d'une personne, son algorithme pourrait déjà optimiser son affectation, simplement en fonction de son pays d'origine, de son sexe et de son âge.

En Allemagne, les demandeurs d'asile sont affectés à l'un des 16 États sur la base d'un quota - le nombre de personnes que chaque État doit prendre en charge est déterminé aux deux tiers par les revenus fiscaux, et à un tiers par le nombre d’habitants du Land.  Le système allemand est similaire à celui de la Suisse, où les réfugiés sont affectés de manière aléatoire dans les comtés selon une clé de répartition proportionnelle. Bien qu’en Allemagne, les demandeurs d'asile et les réfugiés puissent demander à être placés dans des états ou des régions spécifiques, Birgit Naujoks affirme que ces préférences sont rarement prises en considération.

Les réfugiés sont tenus de rester dans l'État - et parfois même dans la ville - où ils ont été affectés jusqu' à trois ans auparavant.

L’affectation des réfugiés doit être améliorée 

Le système actuel, qui consiste essentiellement à attribuer de manière aléatoire un lieu de résidence aux réfugiés, pourrait être considérablement amélioré, selon les défenseurs des réfugiés et les experts avec lesquels InfoMigrants s'est entretenu.

"Actuellement, les réfugiés sont traités comme s'ils n'étaient pas assez mûrs pour prendre leur propre décision", explique Bernd Mesovic de Pro Asyl. Birgit Naujoks affirme pour sa part que "les préférences individuelles devraient être davantage prises en considération".

M. Mesovic a salué l'idée d'optimiser le placement d'un réfugié en fonction des possibilités d'obtenir un emploi, en affirmant que "le fait de travailler est bien entendu très important pour les gens".

Birgit Naujok est plus sceptique quant à l'idée de faire de l'emploi un critère essentiel. "Mettre la valeur économique des réfugiés au premier plan et au centre, ce qui a beaucoup été fait ces derniers temps, c’est délicat", a-t-elle déclaré. "Parce que cela met l'accent non pas sur les intérêts du réfugié, mais sur la façon dont les autres peuvent tirer profit de la situation." 

Elle ajoute que le fait de savoir si quelqu'un pourrait avoir accès à une structure de soutien - une famille ou même simplement une communauté ethnique de son pays d'origine - devrait être un critère clé lors de l’affectation d'un demandeur d'asile.

Le scientifique Dominik Hangartner a toutefois déclaré que, bien que leur algorithme soit conçu pour maximiser les possibilités d'emploi des réfugiés, il pourrait aussi, à l'avenir, prendre potentiellement en considération les liens familiaux - et il a souligné que cet outil prend déjà d'autres facteurs importants en considération, de manière indirecte. "Les opportunités d'emploi sont souvent liées à d'autres facteurs qui peuvent améliorer l'intégration. Les gens sont plus susceptibles de trouver un emploi dans un endroit où il y a une communauté ethnique de leur pays, donc notre algorithme les enverrait dans ces endroits."

 

Cet article a été publié pour la première fois sur le site InfoMigrants le 26 janvier 2018: http://www.infomigrants.net/en/post/7196/could-an-algorithm-improve-refugees-chances-to-integrate