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Quelles méthodes pour dénoncer la corruption au quotidien ?

Sébastien Martineau17 juillet 2012

Comment réagir lorsque l'on est témoin ou victime d'un acte de corruption ? Lignes "vertes", sites internet, institutions spécialisées... des outils existent. Le point avec des militants de la lutte anti-corruption.

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Image : AP

L'une des méthodes les plus courantes pour permettre aux citoyens de dénoncer les actes de corruption, c'est la mise en place - par l'État ou par des associations - d'une ligne téléphonique, gratuite, et qui permet généralement de garantir l'anonymat de la personne qui dénonce. Des lignes comme celles-ci, il en existe notamment au Bénin (numéro de téléphone : 81 00 00 88) et au Niger (08 00 11 11). Le principe : chaque dénonciation donne lieu à vérification. Le service anti-corruption intervient auprès des services concernés et éventuellement, s'il y a suffisamment d'éléments, auprès de la justice pour qu'il y ait des poursuites.

L'anonymat n'a qu'un temps

Symbolbild Korruption Handschellen auf US Dollar
Pour que ces numéros verts aient un effet, il faut que la justice suiveImage : Fotolia/ia_64

Mais si la procédure arrive en justice, c'en est généralement fini de l'anonymat, les dénonciateurs doivent souvent témoigner s'ils veulent qu'il y ait condamnation. Et c'est l'une des difficultés, comme l'explique Hassane Amadou Diallo, le coordonnateur du Centre d'assistance juridique et d'action citoyenne (Cajac), qui dépend de l'Association nigérienne de lutte contre la corruption :

« Il est évident qu'à un moment ou à un autre, en tant que témoin ou victime de corruption, il sera obligé de se faire connaître. Nous travaillons justement à leur dire cela, mais j'estime pour ma part que le plus grand intérêt réside dans le fait que les citoyens victimes ou témoins de corruption ne se sentent plus seuls. Ils sont accompagnés, ils sont assistés et cela renforce un peu leur confiance quant à porter plainte ou même à se présenter en justice pour dénoncer des cas de corruption. »

On l'a compris, pour que ce système de dénonciation fonctionne, il faut que le dénonciateur puisse être protégé. Il faut donc des moyens et des textes de loi adaptés. Le Bénin a adopté en octobre dernier une loi en ce sens. Le décret d'application toutefois, n'a toujours pas été signé.

La justice doit devenir plus efficace

Symbolbild Bestechung
Anodin le pot-de-vin ? Pas à grande échelleImage : fovito/Fotolia

La protection des témoins, c'est une chose, la transparence et l'efficacité de la justice, c'est l'autre aspect essentiel. Et là, il y a de grosses carences, constate Jean-Baptiste Elias, le président de l'Observatoire de lutte contre la corruption, au Bénin :

« Malheureusement, la justice prend son temps, elle est lente, elle dit qu'elle a beaucoup de dossiers... Si bien que les populations se découragent. Les cas de corruption que nous avons mis à la disposition de la justice depuis 2007, 2008, 2009 sont toujours en instruction à ce jour. Vous comprenez que ce sont des choses qui découragent. »

Ces chantiers décrochés illégalement

Au Sénégal, il existe une Autorité de régulation des marchés publics, car c'est là-aussi un secteur où la corruption est extrêmement répandue. Tout citoyen qui apprend qu'un chantier, par exemple, a été attribué contre un pot-de-vin, ou parce que l'entrepreneur a fait jouer ses relations, peut contacter l'Autorité. Là aussi, la dénonciation peut être anonyme. Elle entraîne la suspension de l'exécution du marché et l'ouverture d'une enquête. Mouhamadou Mbodj est le président du Forum civil, la section locale de Transparency International au Sénégal. Il explique pourquoi il est important que les citoyens se saisissent de cet outil :« Une prestation dans le cadre de la commande publique va délivrer une infrastructure publique, dont l'usage est destiné aux citoyens. Donc nous estimons qu'ils ont leur mot à dire. Si l'infrastructure est mal construite, il ont leur mot à dire, si le marché est mal exécuté, ils ont leur mot à dire. »

Transparency International Deutschland Edda Müller Jochen Bäumel
De nombreuses associations africaines travaillent main dans la main avec Transparency InternationalImage : dapd

Des progrès au Cap Vert et au Rwanda

Ces numéros de téléphone et ces institutions peuvent paraître bien lointains à des habitants qui vivent loin de Cotonou, de Niamey ou de Dakar. C'est pourquoi, toutes ces structures mènent aussi des opérations de sensibilisation sur le terrain et tentent d'ouvrir des antennes en dehors des grandes villes.

Reste que pour beaucoup de victimes, l'impression générale est que rien ne change. Y a-t-il des exemples encourageants ailleurs sur le continent ? La réponse de Mouhamadou Mbodj : « Dans la zone, au nord du Sénégal, il y a les îles du Cap Vert, qui sont indépendantes seulement depuis 1975. Alors que le Sénégal l'était 15 ans avant et même les a soutenues dans leur effort de libération. La plupart des élites de ce pays ont été formées dans nos lycées, dans nos universités... Aujourd'hui, ils sont dans la bonne partie du classement en Afrique, ils sont dans le "top 10" en Afrique. »

Plus à l'est sur le continent, un pays qui est régulièrement cité en exemple - en tout cas dans ce domaine - c'est le Rwanda. Pourquoi est-il parvenu à agir aussi efficacement contre ce fléau ? Nos interlocuteurs mettent cela en partie sur le compte des circonstances historiques, qui ont créé un terrain favorable au changement. Jean-Baptiste Elias, qui préside actuellement la fédération des institutions de lutte contre la corruption en Afrique, était au Rwanda en avril dernier. Il témoigne :

« Je déplorais le manque de sanctions dans mon pays. Là-bas, les sanctions sont réellement appliquées et ça permet à tout le monde de se mettre dans la ligne... de travailler... Que vous soyez parent ou pas du chef de l'État, si vous tombez dans le panneau, on vous sanctionne. »

Des gestes isolés qui pèsent des milliards

Kampf gegen Korruption in Marokko
Une manifestation contre la corruption, au Maroc en février 2012Image : DW

Et pour ceux qui pensent qu'un acte de corruption isolé n'a pas tant de conséquences que cela, Mouhamadou Mbodj cite une étude réalisée par des chercheurs sénégalais :

« Il y a deux de nos universitaires - des agrégés en économie - qui ont démontré que, dans l'indice de perception de la corruption fait par Transparency International, chaque fois que la position du Sénégal s'est dégradée, ça a correspondu à une perte de 1% de croissance. Et que du point de vue de la valeur absolue au Sénégal, entre 2007 et 2011, il y a eu une dégradation continue avec un point perdu par année sur quatre ans. Et un de nos économistes l'évalue à près de 384 milliards par année, ce qui fait plus de 1.700 milliards [de francs CFA]... un peu moins du budget annuel du Sénégal. »

Pour le Nigérien Hassane Amadou Diallo, le coordonnateur du Cajac, il est grand temps que les citoyens prennent la question en main :

« Notre objectif est de faire en sorte que la question de la lutte contre la corruption ne soit pas seulement une préoccupation des pouvoirs publics ou des ONG. Ça doit être une préoccupation des citoyens, parce que ce sont eux qui vivent les drames de la corruption. »

Et si internet changeait la donne ?

Et pour contribuer à cette prise de conscience, le réseau internet pourrait se montrer utile, surtout s'il devient plus accessible. Au Kenya, depuis décembre 2011, s'inspirant d'une expérience en Inde, le site "I paid a bribe" (j'ai payé un pot-de-vin) permet de raconter publiquement dans quelles circonstances les gens ont été contraints de payer un pot-de-vin. De manière anonyme. Il n'y a aucune suite juridique, mais cela permet de se rendre compte de l'ampleur du phénomène, de voir que l'on n'est pas seul face à la corruption et, à terme, d'alerter les décideurs politiques pour qu'ils passent à l'action. Au Kenya, plus de 800 cas ont été signalés sur le site depuis le mois de décembre.

Précision : ce sujet a été diffusé dans le magazine Économie et développement la semaine du 16 juillet 2012. Vous pouvez réécouter cette émission.

Quelles méthodes pour dénoncer la corruption au quotidien ?