1. Aller au contenu
  2. Aller au menu principal
  3. Voir les autres sites DW

Les manifestations anti-CPE vues d'Allemagne

Anne Le Touzé22 mars 2006

En France, le bras de fer se poursuit entre le gouvernement et les anti-CPE. CPE comme Contrat première embauche, un projet de loi qui prévoit une période d’essai de deux ans et la possibilité d’un licenciement sans motif. Un contrat prévu à l’origine pour favoriser l’emploi des jeunes, mais les jeunes justement, y voient une généralisation de la précarité. Depuis quelques semaines, des centaines de milliers d’étudiants et lycéens manifestent pour un retrait pur et simple du projet. Ils sont soutenus par les syndicats et l’opposition et entendent bien faire plier le gouvernement. Pour l’Allemagne voisine, c’est le vent de la révolution qui souffle sur la France.

https://p.dw.com/p/C70J
Image : AP

La Révolution avec un grand R. C’est l’image choisie par la Süddeutsche Zeitung pour sa caricature. On y voit Dominique de Villepin – vêtu de noir comme Robespierre. À ses côtés, sur l’échafaud, la protection contre le licenciement attend d’être guillotinée. Mais c’est sur le premier ministre français que sont pointés les doigts accusateurs de la foule. Les nobles d’aujourd’hui, observe le journal dans son commentaire, sont les diplômés des grandes écoles. Ce sont eux qui constituent la classe politique, une véritable caste qui ne comprend pas les inquiétudes de la population. Selon la SZ, la crise durera tant que la société française n’aura pas comblé les fossés qui séparent le peuple de la politique, et la jeunesse des adultes.

Le conflit générationnel, du déjà vu pour Die Welt. Mais de là à comparer les manifestations d’aujourd’hui avec la révolte de 1968… c’est comme mettre dans le même sac une bouteille de Château Laffitte et des harengs au vinaigre. Contraire­ment à 1968, rappelle le journal, la France traverse aujourd’hui la plus grande crise économique de l’après-guerre. Mais la moitié des Français refusent de reconnaître la réalité. Ils refoulent leur peur de la mondialisation et se réfugient dans les souvenirs de la période glorieuse du plein-emploi. Les tentatives successives pour sortir le pays du marasme se sont toutes heurtées à un mur de résistance. La France, conclut Die Welt, semble aujourd’hui plus que jamais hermétique au changement.

La Tageszeitung rappelle qu’en Allemagne aussi, le gouvernement prévoit d’allonger la période d’essai à deux ans. Non seulement pour les jeunes, mais pour l’ensemble des salariés. Pourtant, s’étonne le journal, on ne sent pas de vent révolutionnaire souffler comme chez les voisins Français. Une simple différence de culture et de tempérament ne peut pas en être la seule cause. Bien plus, le journal y voit un travail de communication réussi de la chancelière Merkel, qui a troqué sa rhétorique radicale contre une « politique des petits pas ». Grâce à sa retenue, Angela Merkel s’est placée en mère de la Nation et a atteint bien plus que ses confrères français qui eux, dirigent le pays seuls.

La Berliner Zeitung trace un parallèle entre les manifestations actuelles et la révolte des banlieues en novembre. La nation française vit dans la peur de voir ces événements se répéter. Une peur qui se transforme en colère, non pas contre les hommes politiques, qui pendant des dizaines d’années ont raté le coche de l’intégration, mais contre les jeunes, et surtout contre les jeunes issus de l’immigration. D’après une enquête de la commission nationale des droits de l’homme, un Français sur trois se déclare ouvertement raciste, rapporte la Berliner Zeitung. Soit huit points de plus que l’an passé. Ce qui traduit bien moins une mentalité révolutionnaire qu’une mentalité réactionnaire.

Le mouvement français a tout de même des répercussions outre-Rhin : ce matin le patron de la Confédération des syndicats allemands DGB, Michael Sommer, a réclamé le retrait du projet d'allongement de la période d'essai de six mois à deux ans prévu par le gouvernement de coalition. Il menace de lancer un mouvement de protestation.