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Le cri du cœur d'une journaliste burundaise

Domitille Kiramvu29 juin 2015

La crise politique au Burundi a eu pour conséquence l'exil de nombreux Burundais à l'étranger, notamment des journalistes. Parmi eux, Domitille Kiramvu, notre correspondante. Lisez sa Tribune en français et en Kirundi.

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Domitille Kiramvu
Image : DW

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"Je suis arrivée en Belgique au début de l'année pour rendre visite à ma famille installée ici depuis juillet 2013. Officiellement, j'étais en congé chômé et non payé de cinq mois. Mon retour au Burundi était donc prévu en juin. Officieusement, je prenais le large. Ce qui m'a poussée à fuir mon pays, c'est le régime Nkurunziza et ses miliciens Imbonerakure. J'ai été menacée de mort à plusieurs reprises par certains de ces jeunes miliciens et certains policiers. A l'origine de ces menaces, les nouvelles que je présentais à 12h30 à la Radio Publique Africaine, RPA, qui m'employait. La RPA, est une radio qui n'hésite pas à dénoncer tout ce qui ne marche pas au pays. Et c'est moi qui étais chargée de diffuser cela, par le biais de l'édition de 12h 30. J'étais la plus menacée de tous, parce que j'assurais la présentation de la grande édition de la mi-journée. La plus écoutée. Et dans une langue comprise par tout le monde. Depuis le président de la république jusqu'au commun des mortels.

Menaces et violences

La contestation a été étouffée mais le Burundi n'est pas pour autant sorti de la crise
La contestation a été étouffée mais le Burundi n'est pas pour autant sorti de la criseImage : Reuters/G. Tomasevic

Au mois de novembre 2014, un samedi matin, j'ai été réveillée par des cris des voisins. M'avertissant qu'il y avait une grenade posée devant mon portail. Heureusement, elle n'a pas éclatée. Peut être mal dégoupillée. Ce jour là, je devais me rendre à la radio pour présenter mon édition du weekend end. Je me souviens encore de cet appel que j'ai reçu juste après mon journal : "Idiote tu te crois immortelle ?". C'est à partir de ce moment là qu'ont commencé aussi les filatures. Et j'ai reçu de sérieuses menaces de mort. Au cours des mois de novembre et décembre 2014, je ne dormais pas chez moi mais chez des amis ou au bureau. Je rentrais à la maison juste pour me changer. Et prendre quelques affaires.

Le 20 décembre 2014, un Imbonerakure que je connaissais bien. Et à qui je dis merci est venu me trouver à la RPA pour me mettre en garde. Il m'a dit : "cette fois -ci, on ne va pas se contenter de t'emprisonner comme on l'a fait en 2006. On va te tuer". En 2006, j'ai été incarcérée à la prison centrale de Bujumbura pour avoir dénoncé un coup d'état fabriqué de toutes pièces, dans le but d'écarter les anciens dignitaires de la scène politique. Parallèlement, notre travail de journaliste nous a conduits à découvrir des disparitions mystérieuses des gens de l'opposition ou de la société civile. C'est à ce moment que j'ai commencé à penser sérieusement à prendre le large. Pour ne pas subir le même sort. Et je suis venue en Europe.

Les médias privés particulièrement exposés

Nous voici en juin 2015, à la fin de mon congé et les choses ont empiré. Non seulement les manifestations contre le troisième mandat du président Nkurunziza ont été sérieusement matées par la police et les miliciens Imbonerakure. Mais ces derniers ont également incendié ma radio. La RPA. Pour moi, cela signifie : plus de boulot et nulle part où aller.

Aujourd'hui, presque tous les journalistes des radios privées à savoir RPA, Isanganiro, Bonesha, Renaissance ont fui. Ceux qui sont restés vivent en cachette. Les radios ont été soit vandalisées soit incendiées. Cela me laisse penser qu'il se prépare quelque chose de terrible. Des tueries à grande échelle. Et sans témoins puisqu'il n'y a plus de médias pour relater les événements.

La radio RPA pour laquelle travaillait Domitille Kiramvu
La radio RPA pour laquelle travaillait Domitille KiramvuImage : Reuters/T. Mukoya

Aujourd'hui, Pierre Nkurunziza organise des « élections » en l'absence des opposants politiques en exil, en l'absence de plus de cent mille burundais réfugiés dans les pays limitrophes et même en Europe. Sans observateurs tant nationaux qu'internationaux. Sans medias privés pour donner une information diversifiée. Il ne reste que la radio nationale, pro gouvernementale. Sa radio. Qui reflète les points de vue de son gouvernement. Qui va croire aux résultats des élections hormis sa clique dont les membres se comptent désormais sur les doigts de la main ?

Actuellement, même ses compagnons de lutte, les gros poissons de la république fuient. Preuve que la situation est loin de s'améliorer. Et ce n'est pas exclu qu'un jour, qui n'est peut-être pas si lointain, ceux qui ont fui, organisent la résistance, rentrent au Burundi et le chassent par la force.

Pas de retour en vue

Manifestation en faveur de Pierre Nkurunziza après l'échec du putsch militaire
Manifestation en faveur de Pierre Nkurunziza après l'échec du putsch militaireImage : Reuters/G. Tomasevic

Pour ma part, je n'ai aucun espoir de retourner au pays tant que le président Nkurunziza ne lâche pas ce fameux mandat. Qu'il lâche le mandat. Et qu'il demande pardon à son peuple qu'il a maltraité sciemment. Mais n'est-ce pas déjà trop tard ?

Jusqu'à maintenant, la communauté internationale multiplie des déclarations dénonçant les abus du pouvoir de Nkurunziza. C'est bien. Mais ce n'est pas suffisant. Ses miliciens et ses policiers sont entrain de tuer les Burundais un par un. Les opposants. Les jeunes affiliés à l'opposition. Les membres de la société civile. Les journalistes. Ce sont les cibles principales en peu de mots, c'est un génocide politique qui s'installe au Burundi. Si la communauté internationale se réveille trop tard, elle risque de trouver un Burundi transformé en Rwanda de 1994.

Bref, ce qu'il faut à mon pays, ce sont des troupes étrangères pour aller sauver les Burundais en détresse."