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La "dictature du développement"

13 août 2010

L'élection présidentielle du 9 août au Rwanda est cette semaine le grand sujet de réflexion et de commentaire dans la presse allemande. Sans surprise le président sortant Paul Kagamé a été réélu avec 93% des voix.

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Paul KagaméImage : AP

Plus que 93%, remarque sans une once d'ironie la Tageszeitung qui rappelle qu'en 2003 Kagamé avait recueilli 95% des voix. Des observateurs internationaux, note le journal, relatent que dans huit au moins des bureaux de vote qu'ils ont visités, 100% des inscrits ont voté, et tous ont voté pour Kagamé. Dans les zones rurales de l'est du pays, des centaines de personnes ont été tirées de leur lit en pleine nuit pour voter Kagamé. Un témoin oculaire raconte au journal que dans un village les bureaux de vote ont ouvert peu après minuit. Mais relève la Süddeutsche Zeitung, pour Paul Kagamé, même 100% des voix, c'est la démocratie. Sa conception de la démocratie implique de tout faire pour promouvoir le développement économique de son pays. Son modèle est Singapour. Ses méthodes sont radicales. Kagamé, souligne le journal, est un dictateur du développement. Dur, mais intelligent. La communauté internationale quant à elle traine toujours la mauvaise conscience d'avoir assisté en spectateur au génocide de 1994. Raison pour laquelle les Etats-Unis et l'Europe s'abstiennent de critiquer Kagamé bien qu'il fasse arrêter des opposants et des journalistes.
Tous les articles sur le Rwanda évoquent ces arrestations, de même que les assassinats des derniers temps. Du rebelle au tyran, titre la Frankfurter Rundschau, alors que la Frankfurter Allgemeine Zeitung s'arrête par exemple sur le cas de l'ancien chef de l'armée, Nyamwasa, qui a failli être assassiné en Afrique du sud où il vit en exil, Selon le journal, le cas de ce général tombé en disgrâce est révélateur des désaccords au sein du FPR et du mécontentement grandissant suscité par le style autoritaire de Kagamé. Il illustre aussi le fossé qui s'est creusé entre Kagamé et l'élite tutsi anglophone venue d'Ouganda avec lui pour mettre un terme au génocide.

i-Pod schuffle mit 430 Diamanten besetzt
Un i-Pod orné de 430 diamantsImage : AP

Diamants maudits 

Les diamants du sang font encore parler d'eux cette semaine dans la presse allemande. Après le top modèle britannique Naomi Campbell c'est l'actrice américaine Mia Farrow qui a deposé dans le procès Taylor devant le tribunal spécial pour la Sierra Leone. Elle a contredit ce qu'avait déclaré Naomi Campbell à propos du ou des diamants que lui aurait offerts Charles Taylor en 1997 en Afrique du sud.Mais peu importe, lit-on dans Die Welt, que les deux femmes se contredisent. Leur déposition a au moins le mérite de propulser dans la presse internationale les crimes de Charles Taylor: assassinats, viols, réduction de milliers de personnes en esclavage pendant la guerre civile en Sierra Leone. Mais poursuit Die Welt, il n'y a pas que la Sierra Leone en Afrique. La guerre en République démocratique du Congo, de 1996 à 2003, a surtout été menée pour le contrôle de matières premières comme le coltan qui entre dans la fabrication de téléphones portables. Il ne s'agit pas, souligne le journal, d'opposer une résistance bien intentionnée à la réalité. Notre industrie a besoin de matières premières. Dans un monde qui aura bientôt neuf milliards d'habitants, elles vont se raréfier. La lutte pour les matières premières sera dure. Mais la vieille Europe, sur la toile de fond de son histoire coloniale, devrait exiger certaines normes minimales humanitaires, sociales et écologiques. A l'inverse des Chinois nous devons regarder de près avec qui nous faisons des affaires et ce que cela signifie pour les populations des pays concernés.
L'hebdomadaire Die Zeit publie un long article sur l'engouement des nouveaux riches pour les diamants - en Inde, en Chine, en Russie ou en Afrique. Les conséquences pour le continent africain sont dévastatrices. Le processus de Kimberley aurait réduit à 1% la part des diamants du sang. Mais un nombre inconnu de diamants parvient malgré tout à leurs destinataires finaux par des voies illégales. Ils proviennent souvent, ajoute Die Zeit, de pays en proie à la violence comme l'Angola ou la Sierra Leone.

Christiana Thorpe Deutscher Afrikapreis 2009
Image : DW

50 ans et plus d'alibis 

Le cinquantenaire des indépendances dans 17 pays africains inspire aussi une réflexion à un grand quotidien allemand. La Frankfurter Allgemeine Zeitung note que le bilan en Afrique est catastrophique comparé à celui des anciennes colonies asiatiques devenues indépendantes, elles aussi, en 1960. Comment expliquer ce retard? Le journal décortique les arguments le plus souvent avancés. Tout d'abord la rivalité Est-Ouest qui a fait rage en Afrique. Mais depuis la chute du mur de Berlin l'alibi de la guerre froide ne tient plus. Autre raison invoquée: l'introduction du multipartisme en Afrique au début des années 90. L'Afrique ne serait pas faite pour la démocratie, et moins encore pour le multipartisme. Il est vrai, souligne le journal, qu'un multipartisme basé sur des projets de société concurrents n'a pas de tradition en Afrique. L'absence de systèmes sociaux publics fait de l'appartenance ethnique la seule constante fiable dans la vie de nombreux Africains, ce qui explique la virulence des conflits ethniques. Mais poursuit notre confrère, il est faux d'en déduire que l'Afrique n'est pas faite pour la démocratie. Si elle ne l'était pas, pourquoi les opposants zimbabwéens se feraient-ils brutaliser depuis des années, pourquoi tant de Kényans seraient-ils descendus dans la rue pour exiger une nouvelle constitution? Les composantes ethniques de la politique africaine diminueront proportionnellement à la réduction de la pauvreté. L'élévation du niveau de vie des masses africaines doit donc être la tâche prioritaire des élites africaines.

Auteur: Marie-Ange Pioerron
Edition: Fréjus Quenum