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Günter Grass et son passé nazi

17 août 2006

L'autobiographie de Günter Grass, dans laquelle l'auteur du "Tambour" révèle avoir été enrôlé dans les Waffen-SS à la fin de la Seconde Guerre mondiale, est déjà quasiment épuisée en librairie au lendemain de sa mise en vente. L'interview samedi dernier dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung avait déjà suscité la polémique.

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Image : AP

« Pour le dire cyniquement : il n’aurait peut-être pas eu le prix Nobel s’il avait parlé plus tôt. »

Une déclaration de l’un des plus grands critiques littéraires allemands, Hellmuth Karasek, suite à l’aveu de Günter Grass, sur son enrôlement à l’âge de 17 ans dans les Waffen-SS. Hellmuth Karasek s’empresse toutefois d’ajouter que le passé nazi de Günter Grass n’enlève en rien la qualité littéraire de l’auteur du « Tambour », et que le Prix Nobel de littérature décerné en 1999 était tout à fait mérité.

Chacun en va de son commentaire depuis l’interview accordée samedi dernier dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung, dans laquelle Günter Grass raconte avoir été enrôlé au cours des derniers mois de la guerre dans l’unité d’élite du régime national-socialiste. Jusqu’à présent, celui qui était la conscience morale de l’Allemagne avait seulement avoué au grand public avoir fait partie de la Flak, la défense anti-aérienne, avant d’être fait prisonnier par les Américains. En fait, le plus grand écrivain allemand contemporain s’était porté volontaire à l’âge de quinze ans dans la marine, qui ne recrutait pas à ce moment-là. Le jeune Grass est mobilisé un an plus tard et réquisitionné à 17 ans – comme de nombreux jeunes Allemands alors - par les Waffen SS, unité impliquée dans le déroulement de la Shoah. C’est pourtant un écrivain juif, Ralph Giordano qui le défend aujourd’hui :

« Ce qui est pire qu’une erreur, c’est de ne pas regarder cette erreur en face. Je suis sûr que pendant toutes ces années, Grass s’est confronté avec son passé. Et puis enfin, il en a parlé publiquement. Et là je ne peux que dire : «C’est bien, Günter Grass, d’avoir osé dire la vérité »

« Idiot que j’étais », souligne Günter Grass, je pensais alors que les Allemands ne pouvaient pas commettre d’atrocités, j’ai tout pris pour de la propagande ». A l’origine, le jeune homme avait voulu s’enrôler pour échapper à l’étroitesse de son milieu familial, à Dantzig, la ville aujourd’hui polonaise de Gdansk, théâtre de son roman le plus célèbre, « Le Tambour ». Dans ce best-seller mondial qui date de 1959, Günter Grass dénonce précisément la culpabilité allemande, le silence de tout un peuple devant l’innommable. Mais pour bon nombre d’intellectuels aujourd’hui l’écrivain ne peut plus faire office d’instance morale : C’est l’avis notamment de Michael Jürgs, biographe de Günter Grass

« Désormais, lorsque je l’entendrai parler de la culpabilité allemande, je me demanderai : « Et toi cher Günter Grass ? » Tous ceux qui l’ont admiré se sentent trompés ».

Si la plupart des critiques littéraires et des historiens disent ne pouvoir blâmer l’écrivain pour ses erreurs de jeunesse, alors que la dictature d’Adolf Hitler semait la terreur en Allemagne et en Europe, ils sont en revanche très sévères sur le long silence de l’écrivain, en particulier pour un intellectuel de gauche qui a toujours appelé la population à faire la lumière sur son passé. C’est l’opinion notamment d’un autre prix Nobel, le Polonais Lech Walesa, fondateur du syndicat Solidarnosc, qui demande à Günter Grass de rendre son titre de citoyen d’honneur de la ville de Gdansk. En revanche l’un des plus grands intellectuels polonais, Adam Michnik, considère l’aveu de Günter Grass comme digne d’admiration et de respect. « Il a profondément réfléchi sur cet acte », estime Adam Michnik, et l’a effacé par sa vie ultérieure, par tous ses livres ».

Une opinion qui s’imposera, espère Günter Grass, dont la biographie « Beim Häuten der Zwiebel », « En épluchant l’oignon » est sortie deux semaines avant la date prévue. Son commentaire sur son long silence :

« Je n’étais manifestement en mesure de faire cet aveu qu’aujourd’hui. Celui qui veut me juger, me jugera. Mais ce que je vis en ce moment donne l’impression que l’on veut remettre a posteriori en question ce qui a caractérisé ma vie au cours des dernières décennies. Des années qui ont justement été marquées par la honte et la culpabilité. »