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Entre peur et liberté d'expression

Sandrine Blanchard27 septembre 2006

De nombreuses voix ont critiqué la déprogrammation d’Idoménée par le Deutsche Oper de Berlin. Parmi elles, la chancelière Angela Merkel, qui a estimé que „l’autocensure par peur“ n’était pas tolérable. La scène litigieuse, dans laquelle le roi de Crète rapporte les têtes de Poséidon, de Jesus, de Bouddha et de Mahomet et les pose en riant sur des chaises, cette scène figure ce matin à la Une de plusieurs journaux allemands. Et la presse se fait l’écho de la polémique qui divise les partisans de la prudence et ceux d’une liberté d’expression et de création totale pour les artistes.

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La scène objet de polémique
La scène objet de polémiqueImage : picture-alliance/ dpa

La Süddeutsche Zeitung estime que, lorsque la police et les services de renseignement estiment que « l’Allemagne fait partie de l’espace global menacé » et se trouve dans « le champ visé » par les musulmans fanatiques sans pour autant qu’il y ait d’indice concernant des attentats concrets, cela signifie que les services de sécurité ne savent rien mais qu’ils n’excluent rien non plus. Le quotidien rappelle que le risque statistique, pour un Européen moyen, de mourir dans un accident de la route est bien plus élevé que celui d’être victime d’un attentat. Et pourtant, on met constamment en garde contre les attaques terroristes. Dans le cas de l’opéra, la police a simplement reçu un appel anonyme d’une femme qui exprimait ses doutes quant aux possibles interprétations qui pourraient circuler au sujet du Mahomet décapité, après la polémique sur les caricatures danoises. Et le quotidien munichois s’étonne que cette mise en garde parmi tant d’autres ait été prise au sérieux.

Die Welt parle de « capitulation anticipée » et la Frankfurter Allgemeine Zeitung va même plus loin. Pour elle, la déprogrammation de l’opéra de Mozart relève de l’hystérie, précipitée, dont la liberté de création artistique est la victime. Le quotidien rappelle qu’en juin 1967, la police avait encerclé le Deutsche Oper de Berlin, afin de protéger le Shah d’Iran et sa femme des sacs de farine, tomates et divers autres projectiles des étudiants de gauche. Il semblerait qu’une telle opération soit à nouveau souhaitable pour protéger cette fois la représentation des affres de l’atrophie du courage civique et du dépérissement intellectuel des créateurs artistiques occidentaux. Alors que Mozart met en garde dans Idoménée contre la déchéance des hommes dont le dieu exige qu’ils tuent d’autres hommes, Mozart qui montre aussi la solitude de celui qu’aucun dieu ne secourt plus. Et la mise en scène va dans le sens du compositeur.

La tageszeitung enfin titre sur l’ « art décapité ». La taz écrit que le directeur ou la directrice d’un théâtre a le droit de retirer du programme une œuvre qui ne trouverait pas de public, mais lorsque la raison invoquée pour ce retrait, c’est la peur de réactions violentes de la part d’islamistes, il faut tirer la sonnette d’alarme. Surtout que le spectacle d’Idoménée a été à l’affiche durant plus d’un an que personne ne s’en plaigne, hormis quelques huées lors de la première. On peut effectivement se demander si la scène des têtes coupées est vraiment réussie ou si elle ne s’inscrit pas dans une tradition de la provocation tout droit venue des années 1970, mais pour la taz, la véritable question dans cette affaire est bien celle de l’autocensure, justifiée par un sentiment de menace diffus, alors que les musulmans du pays ne se sont même pas plaints du spectacle. La véritable menace ne vient donc pas en Allemagne des milieux islamistes mais de directeurs de théâtre de plus en plus timorés.