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EconomieBénin

Les intérêts mutuels de la Chine et du Bénin

31 août 2023

Patrice Talon est en visite d'Etat en Chine. Il espère y signer une quinzaine de nouveaux contrats de coopération économique.

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Bénin: Patrice Athanase Guillaume Talon assis sur un siège lors de sa seconde investiture, en mai 2021
Le président béninois, Patrice Talon, admire la Chine et son développement économiqueImage : Yanick Folly/AFP/Getty Images

Le président béninois Patrice Talon est en visite d'Etat à Pékin, sa première à l'étranger depuis son élection. Il s'agit du plus haut grade du protocole diplomatique chinois, ce qui montre l'importance accordée par la Chine à ce déplacement. Patrice Talon doit s'entretenir avec son homologue chinois, le Premier ministre ou encore le président de l'Assemblée populaire, équivalent du Parlement. Les deux Etats ont célébré, fin 2022, les 50 ans de leurs relations bilatérales. Des relations diplomatiques, donc, mais aussi culturelles… et surtout économiques

Regain sous l'ère Kérékou

C'est en 1972, sous la présidence de Mathieu Kérékou, que le Bénin et la Chine renouent des relations étroites. Le chef de l'Etat béninois, général se réclamant du marxisme-léninisme, se rend en Chine cinq ans plus tard, en 1977, à l'invitation de Deng Xiaoping.

Mathieu Kérékou qui arbore d'ailleurs des cols Mao, en signe de non-alignement au bloc occidental.

Des échanges universitaires et scientifiques se mettent en place dès les années 1980. La Chine mise d'ailleurs aussi sur les échanges culturels et scientifiques, avec l'ouverture en 1988, au Bénin, du tout premier Centre culturel chinois d'Afrique de l'ouest et du centre. Ou, plus récemment, de l'Institut Confucius sur le campus de l'Université d'Abomey-Calavi qui permet à des étudiants d'apprendre le mandarin.

A l'époque de la Guerre froide, "la Chine avait besoin du soutien du Bénin dans les relations internationales, comme par exemple lors des votes aux Nations unies, pour donner de la visibilité à la Chine", rappelle le professeur Messanh Emmanuel  Ahlinvi, de l'Université de Parakou. Il dirige le Centre d'études et de recherches pour la gouvernance démocratique et les politiques publiques appliquées (CERGD-PPA).

Benin Xover App, une application pour le Covid-19, sur un écran d'ordinateur portable avec deux mains sur le clavier (illustration)
Au Bénin, la Chine investit dans l'économie numérique, l'agriculture, les infrastructures, le tourisme...Image : Yanick Folly/AFP/Getty Images

Un marché attrayant

Mais depuis la période révolutionnaire, la Chine est devenue une puissance économique. Et désormais, c'est d'abord sur ce plan qu'elle s'intéresse au Bénin, poursuit Messanh Emmanuel  Ahlinvi : "La Chine veut irriguer les marchés africains, dont le Bénin, de ses produits économiques."

D'autant que les produits chinois sont moins chers que ceux venus d'Europe, surtout depuis la guerre en Ukraine.

 

"Ici, les pays européens fournissaient un certain nombre de produits à certains pays africains mais les coûts de l'énergie et du gaz ont fait que ces produits sont devenus plus chers, analyse le directeur du CERGD-PPA. Et l'Europe est entrée dans une dépression économique qui était latente mais s'est accentuée avec la guerre en Ukraine. Donc de plus en plus, les présidents africains seront tentés de se tourner vers la Chine qui continue de proposer des produits à des prix meilleurs."

La Chine finance aussi des infrastructures au Bénin. Parmi les plus importantes, citons le Stade de l'Amitié, emblématique de Cotonou, des axes routiers comme la route cotonnière, ou encore l'échangeur de Godomey et bientôt la zone industrielle et l'aéroport de Glo-Djigbé.

A compter de 2021, c'est aussi une entreprise chinoise, China Harbour Engineering Co (CHEC), qui est choisie pour investir dans la modernisation du Port autonome de Cotonou. Ce port représente à lui seul 45% des recettes fiscales du Bénin.))

Le marché béninois permet également d'écouler des produits chinois manufacturés. ((Des foires spécialisées sont régulièrement organisées à Cotonou.

China Außenpolitik | Kenia
Image : Zhang Gaiping/Xinhua/picture alliance

Des milliers d'emplois

Vu du Bénin, la Chine est donc à la fois un grand investisseur, un pays qui opère du transfert de technologie et un pourvoyeur d'emplois.

L'ambassade de Chine au Bénin affirme qu'une quarantaine d'entreprises chinoises sont installées au Bénin, et qu'elles emploieraient environ 5.000 Béninois, notamment dans l'hydraulique et les travaux publics. L'entreprise Jiangxi Water and Hydropower Construction (JWHC) en est un exemple. Tout comme des entreprises de technologie telles que Huawei qui octroie des bourses à des étudiants béninois.

A contrario, les produits béninois bénéficient de tarifs préférentiels lors de leur exportation en Chine, scellés par les accords bilatéraux : la noix de cajou et le coton, par exemple.

Les activités commerciales avec la Chine sont d'ailleurs facilitées par des procédures d'obtention de visas allégées pour les opérateurs économiques.

Le Bénin représente également une porte d'entrée à l'influence culturelle de la Chine en Afrique de l'ouest. Angelo Kpotounou, politiste et assistant de recherche au CiAAF, un groupe de réflexion sur la gouvernance publique en Afrique basé à Cotonou, explique ainsi : "La Chine contribue à la réalisation d'infrastructures routières et fait beaucoup de choses. Mais le Bénin est aussi un enjeu stratégique pour la Chine dans la mesure où il constitue un carrefour qui lui permet d'intervenir dans les autres pays limitrophes du Bénin."

Des travailleurs dans une usine d'empaquetage de roses au Kenya (illustation)
Le chef de l'Etat béninois espère développer l'industrie au Bénin avec l'aide de la ChineImage : Zhang Yu/Xinhua News Agency/picture alliance

Un modèle pour Patrice Talon

De son propre aveu, Patrice Talon est fasciné par le développement de la Chine, un pays qui l'"inspire".

Le président béninois compte sur les entreprises chinoises pour appuyer son grand programme industriel aux portes de Cotonou. Depuis son élection en 2016, le chef de l'Etat a en effet changé d'axe pour sa politique extérieure : désormais, le Bénin place l'économie en tête de ses priorités.

"C'est ainsi que la coopération étrangère a pour objectif final la mobilisation de ressources pour le financement du développement", déclare Angelo Kpotounou.

En mars 2023, les deux pays ont signé un accord de financement par le biais du China Africa Development Fund qui touche à l'économie numérique, à l'agriculture, à l'énergie, au tourisme et aux infrastructures.

Une quinzaine de nouveaux accords devraient être signés durant ce séjour du président béninois en Chine.

"La Chine est devenue l'un des partenaires économiques les plus importants du Bénin, notamment dans les domaines de l'agriculture, de l'industrie et des infrastructures", énumère Angelo Kpotounou.

Et depuis 2019, le Bénin adhère aux initiatives de la Ceinture et des Nouvelles routes de la soie. Là encore, cette initiative prévoit des aides de plusieurs millions de dollars dans différents secteurs.

Patrice Talon tenant Emmanuel Macron par le poignet en bas d'un escalier (archive de 2022)
Patrice Talon entend jouer sur plusieurs tableaux: miser sur la Chine sans pour autant délaisser les EuropéensImage : Ludovic Marin/AFP

Sécurité, dette, long terme

Sur le plan sécuritaire, Pékin a fourni cette année des drones de combat et de reconnaissance aux autorités béninoises et, toujours en soutien à la défense du territoire béninois et à la lutte contre les groupes armés terroristes, le personnel militaire béninois bénéficie de matériel et de formation venus de Chine.

La Chine est également l'un des principaux partenaires du projet de construction d'un pipeline destiné à exporter le pétrole nigérien en passant par le Bénin.

Par ailleurs, en 2020, la Chine détenait près d'un tiers de la dette extérieure du Bénin. Une partie de cette a été annulée en janvier 2023, sans que la nature ni le montant exact ne soient dévoilés.

Messanh Emmanuel Ahlinvi cite un autre atout du partenaire chinois : "Les Chinois travaillent sur la durée. Ils vont envoyer des experts pour des formations, ce qu'ils font déjà. Ils vont sans doute se montrer beaucoup plus ouverts. Et dans cette histoire, c'est sans doute l'Europe, avec sa locomotive allemande, qui va certainement en faire les frais."

Même si l'enseignant estime que Patrice Talon continuera de jouer sur les deux tableaux : ne pas totalement abandonner les Européens tout en misant de plus en plus sur la Chine.