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Afropresse, l’Afrique à travers la presse allemande.

Marie-Ange Pioerron9 avril 2004

C‘est évidemment la commémoration, cette semaine, du génocide de 1994 au Rwanda qui domine l’actualité africaine dans les journaux allemands.

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Au mémorial de Nyamata, au sud de Kigali, consacré aux victimes des massacres de 1994
Au mémorial de Nyamata, au sud de Kigali, consacré aux victimes des massacres de 1994Image : AP

La Tageszeitung de Berlin consacre un dossier de cinq pages à l’événement, avec des éclairages par exemple sur le rôle de la France dans l’appui aux génocidaires, sur les traumatismes psychiques endurés par les victimes et les bourreaux, ou encore sur les difficultés de la justice. Le journal note également que le Rwanda est aujourd’hui un autre pays qu’en 1994. 30% de la population sont nés après le génocide, beaucoup ont vécu auparavant dans d’autres pays. Cela influence le regard sur l’Histoire. Dans un long éditorial le même journal dénonce l’oeuvre des révisionnistes. Là aussi la France est montrée du doigt. La France qui, à point nommé pour le 10ème anniversaire du génocide, note notre confrère, et sur la base d’une "enquête", entre guillemets, du juge Bruguière, remet en circulation la thèse selon laquelle l’avion du président Habyarimana aurait été abattu au soir du 6 avril 94 par le FPR – thèse cynique, écrit le journal, et structurellement identique à la théorie qui veut que les juifs aient participé à la planification de l’holocauste ou l’aient au moins laissé se produire pour légitimer la création de l’Etat d’Israël. Les révisionnistes, note un peu plus loin le journal, sont certes devenus plus prudents aujourd’hui. Ils ne tentent plus de nier le génocide. Ils laissent entendre que la domination tutsie est illégitime puisqu’il y a plus de Hutus que de Tutsis, ou encore que les Tutsis au pouvoir ont commis des actes aussi graves, sinon pires. Et lorsque cela ne convainct pas, on dit que tout le monde a souffert et qu’il faut oublier les vieilles histoires. Des défenseurs de cette thèse, ajoute notre confrère, sont régulièrement invités, en Allemagne à des débats sur le Rwanda. Ils y sont confrontés à des survivants tutsis, pour provoquer des disputes et montrer à l’auditoire qu’il y a précisément des opinions divergentes sur le génocide. Imagine-t-on que dans des tables rondes sur l’holocauste des survivants d’Auschwitz doivent discuter des chambres à gaz avec d’anciens nazis?

Toujours à propos du génocide rwandais, l’indifférence de la communauté internationale est épinglée par Die Welt. L’échec de l’Amérique en Somalie un an auparavant avait eu un effet traumatisant, écrit le journal. Fermer les yeux, rester à l’écart, attendre. Le malheur des Tutsis aura aussi été qu’aucune télévision occidentale ne projette des images de l’horreur dans les salles de séjour. La prévention, souligne Die Welt, vaut mieux que l’intervention. Mais pour cela il ne faut pas seulement un système d’alerte précoce et efficace qui perçoive les déchirures dans l’histoire et la culture des peuples. Il faut également être prêt à intervenir, avec - ou si nécessaire - sans mandat de l’ONU.

Réconciliation, écrit la Frankfurter Rundschau, le mot est sur toutes les lèvres maintenant que la communauté internationale se souvient de l’extermination systématique de centaines de milliers de personnes – des Tutsis et des opposants hutus, saignés plus brutalement que du bétail, dépecés, coupés en morceaux ou martyrisés au point que ceux qui en avaient les moyens donnaient de l’argent pour une mort rapide. Si vraiment ce génocide perpétré dans la lointaine Afrique n’est pas refoulé depuis longtemps, des questions lancinantes s’imposent aujourd’hui, poursuit le journal: qu’en est-il de la réconciliation au Rwanda quelques années seulement après l’innommable, après l’un des plus grands crimes contre l’humanité depuis la fin de la seconde guerre mondiale. La réconciliation au Rwanda? S’interroge le journal. Un processus pour les gens patients, un projet pour la prochaine, si ce n’est pour de nombreuses générations. Les leçons à tirer de la sanglante tragédie rwandaise est qu’il faut s’ingérer, ne pas tirer profit des conflits, reconnaitre la propagande de haine et d’exclusion comme une tentative d’extermination verbale qui peut être suivie d’une extermination réelle, contribuer à des "conditions de survie" dans la paix. Et pas seulement au Rwanda.